Le gouvernement veut attirer plus d'étudiants internationaux en France. D'une part, en augmentant les frais de scolarité des jeunes extra-européens et, d'autre part, en finançant davantage de bourses. Mais passer de 170€ à 2.770€ pour une année en parcours licence "angoisse" ces jeunes.
A Poitiers et La Rochelle, l'annonce le 19 décembre dernier par le Premier ministre Édouard Philippe de l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers (hors Union européenne, Suisse et Québec) à la rentrée 2019 ne passe pas.
"Je vous le dis, on vit dans un climat d'angoisse", confie Axil, étudiant en licence 3 de biotechnologie à l'université de La Rochelle. "Les étudiants vivent ça comme si leur vie était finie!"
Axil est arrivé d'Algérie il y a deux ans. Il voulait poursuivre ses études et vivre une "expérience à l'étranger".
"Si j'avais su il y a deux ans que ça allait me tomber dessus, j'aurais fait un choix différent. J'avais choisi la France pour son mode de vie, l'accès à la culture et la possibilité de s'ouvrir personnellement. Et, maintenant, je me retrouverais dans une impasse ? On n'a pas été prévenus."A mon avis personnel, la logique économique prend le dessus, c'est un choix financier (S. Agbofoun)
Pour lui, débourser 3.770€ l'an prochain (contre 243€ cette année pour tous les étudiants) pour poursuivre sa scolarité en master est tout simplement impensable.
"Vu l'état de la monnaie de mon pays, l'Algérie, il est impossible à mes parents de m'envoyer même 100€ (d'argent de poche) par mois. Et pourtant, ma mère est avocate et mon père gradé dans la police!"
Celui qui devrait être un étudiant "privilégié" se retrouverait donc lui aussi dans une situation délicate quant à la possibilité de terminer les études débutées en France.
Beaucoup travaillent à côtéon annonce une mesure d'en haut sans réfléchir aux conséquences en bas. Mais quelle image donne-t-on à nos partenaires avec un message comme ça ? (C. Fernandez)
A Poitiers, ce sentiment est partagé par Saturnin Agbofoun, à la tête du collectif Entr'Action qui gère le dispositif Maeva d'accueil des étudiants étrangers.
"Beaucoup d'étudiants étrangers travaillent en plus pour financer leurs études, car beaucoup financent eux-mêmes leurs études", explique-t-il.
"Rien ne laissait croire que les frais allaient être multipliés par 12, que les présidents d'université ne seraient même pas consultés", poursuit-il.
Le choc pour cet étudiant en thèse a été violent. "A mon avis personnel, la logique économique prend le dessus, c'est un choix financier."
Soutien du président de l'universitéles étudiants étrangers rapportent plus qu’ils ne coûtent à l’économie française (Y. Jean)
Les étudiants étrangers ont reçu l'appui du président de l'université de Poitiers, Yves Jean, très mobilisé sur le sujet. Dans une tribune publiée mercredi 5 décembre dans le journal Le Monde, il estime que « l’augmentation des droits de scolarité heurte les fondements de l’université française ».
Pour lui, "réserver la quasi-gratuité aux seuls citoyens français et européens qui s’inscriront demain dans une université française ne repose sur aucune justification objective".
Dans cette tribune, il rappelle qu'une étude commandée par Campus France révèle "que les étudiants étrangers rapportent plus qu’ils ne coûtent à l’économie française, lorsqu’ils séjournent sur notre territoire".
Dans les services de l'université où l'on accueille les étudiants étrangers (4.700 en 2017, dont 82% sont extra-communautaires, principalement d'Afrique et d'Asie), les conséquences que pourrait avoir l'application de cette mesure inquiètent.
"On a généralisé ça sans consultation, il faudrait que ce soit applicable en septembre, alors que le décret n'est même pas passé", s'interroge Christine Fernandez, vice-présidente de l'université de Poitiers en charge des relations internationales.
"On ne sait pas quels seront les critères d'application des bourses non plus, on ne sait rien. Bref, on annonce une mesure d'en haut sans réfléchir aux conséquences en bas. Mais quelle image donne-t-on à nos partenaires avec un message comme ça ?!"
L'annonce de l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants extra-communautaires pourrait prochainement conduire à une forte mobilisation.
Dans l'université parisienne de Tolbiac, des étudiants réunis en assemblée générale ont voté, hier, le blocus dès aujourd'hui du site universitaire.
A Poitiers et La Rochelle, les associations d'étudiants étrangers échangent et réfléchissent aux actions à mener prochainement.