Poitou-Charentes : la justice recherche des familles d'accueil

La Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) lance une campagne de communication pour élargir sa collaboration avec des familles d'accueil prêtes à héberger des jeunes justiciables. En Poitou-Charentes, une trentaine de foyer participe à l'éducation de ces adolescents en difficulté.

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"La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains" : ainsi était formulée l'ordonnance du 2 février 1945 qui, après-guerre, donnait priorité à l'éducation de la jeunesse française. Malheureusement, à l'époque comme aujourd'hui, tous les gamins de l'Hexagone ne reçoivent pas dans leur berceau les mêmes cadeaux de bienvenue. Certains rencontrent sur leur parcours embûches, drames familiaux, accidents de vie et parfois des juges. 

En 2018, la Protection Judiciaire de la Jeunesse assurait le suivi de plus de 140.000 d'entre eux. La plupart du temps, selon la gravité des faits, des alternatives aux mesures d'emprisonnement sont privilégiées. Souvent les justiciables restent dans leur milieu habituel et sont chaperonnés par un éducateur. Plus rarement, décision est prise de les placer dans une famille d'accueil. Commence alors une aventure humaine à chaque fois renouvelée et unique. Une histoire d'adultes qui ne se donnent pas le droit de négliger ces jeunes et font tout ce qu'ils peuvent pour en faire"des êtres sains". Une histoire qui parfois se finit bien, mais pas toujours.

"Quand j’accueille un jeune, je le prends en charge comme si c’était mon gamin"

"J'aurais dû être assistante sociale !" Au téléphone, Cathy (pour des questions de respect d'anonymat, tous les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés) rigole en repensant à ses onze années de bénévolat auprès de la PJJ. Dans son village de Charente-Maritime, elle ne compte plus le nombre de "gamins", comme elle dit, qui sont passés dans sa maison. A l'origine, c'est pour ses propres enfants qu'elle avait souhaité tenter l'expérience. "C’était un moyen de leur faire rencontrer un autre « monde ». (...) Je leur ai dit « voilà, on va accueillir des jeunes qui sont en difficultés, qui souvent n’ont plus de famille, qui ont été abandonnés clairement, qui sont dans la rue, qui font des vols pour manger etc. etc. et peut-être que ça va vous aider, vous de votre côté, à être contents de ce que vous avez plutôt que de vouloir toujours plus. Ça a commencé comme ça".

Généralement, les ordonnances de placement sont prévues pour une durée de six mois. "Effectivement on peut avoir le sentiment d’accueillir un loup dans la bergerie", explique Cathy, "mais quand j’accueille un jeune, je le prends en charge comme si c’était mon gamin". Certains peuvent rester deux ans quand ils entament, par exemple, un apprentissage. D'autres beaucoup moins longtemps.

Je me suis beaucoup remise en question par rapport à mes propres enfants. J’ai acquis de la sagesse, de la patience que je n’avais pas. Ça vous fait réfléchir sur énormément de choses. On reçoit beaucoup de ses gamins. Ils arrivent, ils sont déjà écorchés de la vie, ils ont un lourd passé. Ils sont sur leur garde parce qu’ils n’ont pas envie d’être là surtout. Ce qu'ils veulent, c’est soit retourner dans leur famille et souvent ce n’est pas possible, soit retourner à la rue.

J’ai eu quelques fugueurs, moi. J’en ai eu un qui a fait sa valise, qui est venu me voir et qui m’a dit « Est-ce que vous pouvez attendre une demi-heure avant de les prévenir parce que je m’en vais ». Je lui ai dit « écoute, au revoir, qu’est-ce que tu veux que je te dise ». On ne peut pas les retenir.

Par contre quand ils s’installent, ils s’installent bien ! Quand ils commencent à se sentir en sécurité, c’est là où commence le travail sur ce qui s’est passé, de leur redonner confiance en eux, de les réveiller pour aller à l’école ou pour aller en stage, de se laver, de manger normalement. Il y a tout ça à remettre en route généralement.

Cathy, famille d'accueil en Charente-Maritime

"Il y a un retour d'énergie qui est assez fabuleux"

"Je m'inscris dans une réparation sociale" ; Claire, retraitée de l'Éducation nationale, habite aux alentours de Poitiers avec son conjoint. Cela fait cinq ans qu'ils sont rentrés dans le cercle des familles d'accueil. "Une participation à l’effort collectif pour prendre en charge des individus qui n’ont pas eu la chance qu’ont eu mes enfants", explique-t-elle. Comme tous les autres, Claire insiste sur son statut de bénévole : "Nous sommes indemnisés mais, en tant que bénévoles, ce n’est pas un travail obligatoire et cette gratuité est essentielle". 

Bien sûr, il y a des échecs, mais "les familles sont souvent la dernière porte avant la prison ou un centre d'éducation renforcé", explique-t-elle, "c'est moins répressif et moins violent pour le jeune, quoi qu'il ait fait". Ces femmes et ces hommes ne sont pas là pour juger. Ça, c'est le rôle de la justice. "Ils ont de l’énergie et donc on en profite. Elle n’est pas toujours dans le bon sens mais c’est quand même de l’énergie ! Il faut garder une certaine distance avec ces jeunes qui n’ont pas connu une vie de famille équilibrée. Certains peuvent craindre de comparer la vie qu’ils peuvent mener chez nous et celle qu’ils peuvent recevoir chez eux et cette comparaison peut leur faire peur. Il faut se montrer bienveillant mais être respectueux de leur « bulle », de leur jardin secret, de respecter ce qu’ils sont."

Durant sa vie professionnelle, Claire avait l'habitude de côtoyer des adolescents et de les écouter. Mais aucune formation particulière n'est requise pour endosser cette lourde responsabilité.

Si vous avez déjà été en contact avec des enfants, il n’y a pas de difficultés supplémentaires. Ces jeunes qui ont souffert, qui ont créé et vécu des situations difficiles, sont toujours surpris et reconnaissants pour la moindre chose qu’on peut leur apporter. Alors, on a des expressions entre nous, entre familles d’accueil, on parle souvent de « lune de miel ». Et puis, il y a la vie qui s’installe ; la période où les individus se testent, jusqu’où ils peuvent aller dans l’acceptation de certaines choses. Il y a des schémas qui se reproduisent, mais c’est toujours intéressant. C’est très enrichissant et il y a un retour d’énergie qui est assez fabuleux.

Claire, famille d'accueil dans la Vienne

"Il y a des échecs, mais il y a des réussites aussi"

La clé de voûte de ce travail, c'est la collaboration entre les familles et l'UEHDR, l'Unité Educative d'Hébergement Diversifié Renforcé. Un bien vilain acronyme pour ce service du ministère de la Justice où oeuvrent des fonctionnaires passionnés par leur mission éducative. A. est éducatrice et travaille avec M. qui est psychologue. Ce sont elles qui créent le premier contact avec les bénévoles. "Ça peut être un couple, une personne seule, une personne active, une personne retraitée, avec ou sans enfant", expliquent-elles. "Il n’y a pas de critères par rapport à la composition familiale. On évalue l’origine de leur projet, ce qu’ils perçoivent de l’accueil de nos adolescents, ce qu’ils souhaitent leur offrir. On va évaluer la posture éducative aussi". 

Toutes les semaines, elles visitent les jeunes et les familles. Elles sont joignables à n'importe quel moment et sont toujours là pour répondre au moindre questionnement et résoudre les problèmes. "On est vraiment là pour les sécuriser, les accompagner" précise A., "on est dans un travail de partenariat et de co-éducation. On est très complémentaires parce que les familles vivent au quotidien avec les adolescents et peuvent repérer des éléments qui vont nous aider dans notre travail. Par exemple, l’hygiène, le rythme alimentaire, les problèmes d’endormissement, le lien avec le téléphone portable".

"Le placement en famille d’accueil, c’est vraiment un dispositif qui nous permet de nous adapter au plus près de l’adolescent", enchaîne M., "pour l’aider à rebondir et se remettre dans un chemin qui lui est bénéfique, pour se reconstruire en tant que futur adulte, que ce soit au niveau de l’insertion, au niveau de la stabilité affective, sociale aussi. Et majoritairement, ça fonctionne très bien".

Il y a des échecs, mais il y a des réussites aussi. Tout est question de rencontre en fait. Quand on a une demande d’admission pour un adolescent, on va essayer d’avoir un maximum d’informations le concernant et essayer de trouver le profil de famille d’accueil qui semble le plus correspondre. Pour autant, comme il s’agit de rencontre entre des êtres humains, à un moment d’un parcours, et de la famille d’accueil et de l’adolescent, parfois ça fonctionne et parfois ça ne fonctionne pas.

M, psychologue de l'UEHDR

Pas question évidemment, ici, d'idéaliser ce qui s'apparente bien souvent à un sacerdoce. Même si Claire comme Cathy semblent toujours s'étonner de notre étonnement quand on questionne leurs motivations. Ce n'est quand même pas anodin d'accueillir "un étranger" dans sa maison. Il faut gérer et assumer ces nouveaux liens affectifs qui inévitablement se créent avec ces jeunes. "On parle de juste distance. Après, les liens affectifs qui peuvent se créer au fil du temps avec les adolescents, c’est quelque chose qu’on ne peut pas contrôler", explique A. "Par contre, on est là pour vérifier qu’il n’y a pas un sur-investissement, mais ce n’est pas du tout un souci. C’est l’histoire d’une rencontre entre un jeune et une personne, un couple, un nouvel environnement".

L’année dernière, j’ai accueilli un jeune agresseur sexuel. J’ai été obligée de faire une pause pendant un an. Il m’a tout bouffé, mon énergie, ma patience… Il m’a tout bouffé et là j’étais au bord du gouffre. Il faut aussi savoir faire des pauses. Ce n’est pas facile mais c’est très enrichissant. On se remet toujours en question, on s’interroge tout le temps, si ce qu’on fait est bien, si ça aide le jeune… Et le plus beau des cadeaux, c’est quand les gamins vous appellent ou passent faire un coucou, quand l’affaire est jugée, quand ils sont majeurs. C’est une belle récompense.

Cathy, famille d'accueil en Charente-Maritime

"Les jeunes accueillis ont avant tout besoin de personnes solides et disponibles, en mesure de comprendre leur situation et de s’y adapter, tout en leur offrant un cadre rassurant. Être famille d’accueil, ce n'est pas se substituer à leur famille". Dans sa campagne de sensibilisation, le ministère de la Justice insiste sur l'humanité nécessaire à cet engagement citoyen.

En Poitou-Charentes, on compte actuellement 27 familles d'accueil "actives". Il est évidemment possible et même conseillé de parfois prendre des "vacances" ou de ne proposer un hébergement que le temps d'un week-end pour soulager d'autres familles.

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