Le procès des deux “artisans de la paix” s’achève ce mercredi 3 avril, au tribunal correctionnel de Paris. Le parquet a requis deux ans de prison à l'encontre de Jean-Noël Etcheverry et un an avec sursis pour Béatrice Molle. Depuis janvier, la défense demandait la relaxe des deux accusés, figures clés du mouvement de désarmement du groupe terroriste basque ETA.
C’est le point final d’années de lutte en faveur de la paix. Ce mercredi 3 avril, au tribunal correctionnel de Paris, Jean-Noël Etcheverry et Béatrice Molle étaient jugés pour détention d’armes et d’explosifs en lien avec une entreprise terroriste. Le parquet a requis deux ans avec sursis contre Jean-Noël Etcheverry et un an avec sursis contre pour Béatrice Molle. Le parquet n'a cependant pas requis leur inscription au FIJAIT, le fichier recensant les auteurs d'infractions terroristes.
La veille, au premier jour du procès, les soutiens aux deux Basques étaient déjà nombreux. Un cliché, réunissant des dizaines de soutiens, a été réalisé, en “souvenir” de ce moment qui s’annonçait déjà historique. Parmi eux, José Bové, ainsi que des figures politiques locales comme la sénatrice Frédérique Espagnac ou le député Iñaki Echaniz.
3,5 tonnes d'armes
Le 16 décembre 2016, cinq personnes sont arrêtées par les autorités, sur une propriété de Louhossoa, au Pays Basque. Sur place, les forces de l’ordre découvrent un véritable arsenal composé de 29 revolvers, 9 fusils d’assauts, deux roquettes, 12 pistolets mitrailleurs ainsi que des explosifs et des munitions. Des armes dont l’ETA souhaitait se débarrasser, après l’annonce d’un cessez-le-feu permanent en 2011, sans avoir à révéler l'identité des propriétaires.
Sur les cinq interpellations réalisées ce jour-là, seuls les deux protagonistes étaient présent à la barre ce mardi 2 avril : Jean-Noël “Txetx” Etcheverry, un militant écologiste basque, fondateur de Bizi! et figure principale du mouvement abertzale, et Béatrice Molle, journaliste à Mediabask. En soutien, à l'époque, une pétition avait été signée par près de 5 000 personnes, dont des figures locales pour demander leur relaxe.
Dans la foulée, le 8 avril 2017, une deuxième opération de désarmement, toujours en présence de Txetx, s’organise en marge d’une manifestation. “Huit sites ont été notifiés aux autorités judiciaires qui ont permis de saisir 3,5 tonnes d’armes et de munitions. Ce fut un pas important dans le désarmement de l’ETA”, souligne Matthias Fekl, ministre de l’Intérieur à l'époque. Une dernière opération, en 2018 achèvera ce processus de pacification.
"Méthodes clandestines"
Depuis janvier, la défense des deux prévenus demande la relaxe de Jean-Noël Etcheverry et de Béatrice Molle, considérés comme des "artisans de la paix" au Pays basque. Lors de cette première journée, les deux prévenus ont d’abord répondu à la juge sur leurs méthodes qualifiées comme “illégales”, qui ont pourtant permis de remettre aux autorités des dizaines d’armes de l’ETA. “Pourquoi ne pas avoir prévenu la police et avoir utilisé des méthodes clandestines ?”, tente de comprendre la juge. “On voulait réussir le démantèlement jusqu’au bout, sans empêchement et sans semer les graines de la vengeance”, avancera Jean-Noël Etcheverry.
Ce qu’on a fait en quatre mois, ç'aurait pu être fait en cinq ans par les autorités. Il y avait un état de nécessité, on ne l’a pas fait par gaieté de cœur.
Jean-Noël EtcheverryPrévenu et artisan de la paix
Béatrice Molle, première appelée à la barre, raconte, de son côté, sa volonté de mettre fin à “82 ans de violences au Pays basque”. Consciente des risques qu’elle prend, elle fait de sa maison le théâtre de cette première opération de désarmement. “Vous saviez qu’il y aurait des armes chez vous ?”, interroge la juge. “Oui”, répond sobrement cette journaliste de 68 ans. “C’est important de dire la réalité, les années de violences au Pays basque jusqu’en 2011 et la nécessité de s’engager”, explique Béatrice Molle, dans les couloirs du tribunal parisien.
Engagés pour la paix au Pays basque, les deux protagonistes ont également rappelé le contexte social de l’époque, quelques mois après les attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo. “Il était dangereux pour la société et pour la paix de laisser ces armes dans la nature. Quand on veut faire quelque chose, on trouve un moyen. Quand on ne veut rien faire, on trouve un prétexte. Nous, on a trouvé un moyen”, philosophe Txetx Etcheverry.
C’est une prise de risque, mais ce n’était pas illégal. Quand on rend des armes aux autorités, je ne vois pas ce qu’il y a d’illégal.
Béatrice MollePrévenue et artisane de la paix
Le "tournant" du processus de paix
Au cœur de l’opération, l’ancien préfet des Pyrénées-Atlantiques, Eric Morvan, témoin clé de la défense, reconnaît son aspect peu réglementaire, mais réaffirme sa nécessité. “Ce sont des chemins de traverses que nous avons pris grâce à une confiance réciproque. L'opération du 8 avril 2017 nous a fait gagner du temps et a réellement œuvré pour la pacification du Pays basque, des deux côtés de la frontière”, indique Eric Morvan.
À sa suite, l’autre atout de la défense prend la parole. Matthias Fekl alors ministre de l’Intérieur, reconnait la volonté des deux prévenus d’entamer le processus de paix. “Je ne serais pas venu si je considérais, en mon âme et conscience, que les prévenus sont complices de quelques manières d’une entreprise terroriste”, affirme Matthias Fekl.
Malgré les interrogations autour des méthodes, à la barre, tous s’accordent à évoquer ce 16 décembre comme le “tournant du processus de paix”, annoncé par l’ETA cinq ans plus tôt. “Ce désarmement a été une décision unilatérale d’ETA, qui s’est suivie d’une coopération étroite entre les autorités gouvernementales et judiciaires. Ces deux acteurs en ont été des facilitateurs”, reconnaît Matthias Fekl.
Après eux, les lectures de soutiens se sont succédé. Celle du maire de Bayonne, mais aussi de celui d'Hendaye ainsi que de Sylviane Alaux, ancienne députée du département. "Comme l'a conclu très justement Sylviane Alaux, un geste de paix est attendu, et ce geste de paix est entre les mains de la Cour, en prononçant la relaxe", précise dans son communiqué, ce mercredi matin, Bake Bidea, mouvement créé en faveur du processus de paix.
Ce mercredi 3 avril, le parquet de Paris a requis deux ans avec sursis à l'encontre de Jean-Noël Etcheverry et un an de prison avec sursis pour Béatrice Molle. En revanche, dans ses réquisitions, le parquet a demandé la non-inscription des deux prévenus au FIJAIT, le fichier des auteurs d'infractions terroristes. Le tribunal correctionnel de Paris devrait à son tour rendre rapidement son jugement.