Jeudi 7 décembre, la ville de Biarritz est devant le tribunal administratif de Pau. L’association Mémoires et Partage avait déposé un recours, il y a trois ans, pour changer le nom du quartier de la Négresse, afin de faire respecter “les droits des femmes et plus particulièrement des femmes noires”.
À Biarritz, c’est tout un quartier qui est au cœur d’une décision majeure. Depuis 2013, l’association Mémoires et Partages demande à la municipalité de changer le nom d’un quartier et d’une rue, aujourd’hui intitulés “La Négresse”. Ce jeudi 7 décembre, le tribunal administratif de Pau devra donc statuer sur l’obligation ou nom de renommer ce quartier.
Esclave aubergiste
Ce nom est directement lié à la traite négrière, pendant laquelle une vingtaine de bateaux ont commercé, depuis le port de Bayonne, avec l’île de Saint-Domingue. À l’origine, le quartier se prénommait “Harausta”, “endroit poussiéreux” en basque. Mais en 1810, les soldats napoléoniens de passage dans la ville surnomment le quartier “La Négresse”, à cause d’une esclave employée dans une auberge du quartier, qui porte le même nom. La Ville adopte alors ce nom en 1861, qu’elle confirme, en 1986.
Aller au contact, avec respect et pédagogie, pour bien faire comprendra l'ampleur du mal à l'œuvre dans cette ville de France @Ville2Biarritz Merci à cette dame qui s'est prêtée de bonne grâce au dialogue. Rdv le 7 déc ✊🏾 #womenlivesmatter #BlackLivesMatter https://t.co/En7c8aK8pj
— Karfa Sira DIALLO 🥝 (@KarfaDIALLO) December 4, 2023
L’association Mémoires et Partages, qui œuvre pour la mémoire autour des héritages de la colonisation et de l'esclavage, souhaite voir disparaître définitivement ce nom, à la “conjonction entre le sexisme et le racisme”. “Il nous semble aujourd’hui que la justice voudrait que les droits des femmes et des femmes noires soient respectés”, indique Karfa Diallo, le fondateur et directeur de l'association.
L'association refuse pourtant de voir un racisme sous-jacent dans la décision de la mairie, en dépit des refus répétés des différentes municipalités. “On est bien conscients pour les habitants comme pour les élus que cette affaire est un héritage involontaire. Aujourd’hui, s’il avait fallu choisir, rares sont ceux qui auraient adopté ce nom”, reconnaît Karfa Diallo, qui voit dans cette décision de justice “l’objectif de soulager cette communauté et d’apaiser” les tensions qui pourraient émaner de ce nom.
Disparition progressive
Depuis 2013, date des premières demandes de l’association auprès de la Ville, les noms ont cependant progressivement disparu. La pharmacie retire “La Négresse “ de son nom en 2021, un arrêt de bus est renommé en 2018. "Même aujourd'hui, quand vous déambulez dans le quartier, la rue n’a plus de plaque, et les mentions du quartier sur les panneaux de signalisation sont rares”, indique Karfa Diallo.
Beaucoup dénoncent aujourd'hui ce qu'ils appellent une “cancel culture" qui voudrait effacer une partie du passé au principe du changement des mœurs. C'est l'inverse de notre volonté.
Karfa Diallofondateur et directeur de l'association Mémoires et Partages
Alors pourquoi la mairie, depuis dix ans, refuse de retirer officiellement le nom ? “C’est lié à la frilosité politique, la peur de la réaction des électorats, c’est normal. Il faut beaucoup de courage politique pour prendre une telle décision", estime le militant.
Contactée, la mairie de Biarritz n'a pas souhaité communiquer. "Nous nous exprimerons une fois la décision de justice rendue", indique-t-on du côté de la municipalité.
Jurisprudence
Au-delà des frontières biarrotes, la décision du tribunal, s’il va dans le sens de l’association, pourrait créer un précédent juridique, et “ainsi permettre à d’autres communes de changer des noms problématiques qu’elles portent”.
“Il n’y aura pas besoin d’autres procès. Les communautés de communes concernées le feront d’elles-mêmes, pour se conformer au droit”, estime Karfa Diallo qui espère voir, “l’émergence d’une nouvelle culture, plus attachée au sens et à l’étique du vocabulaire qui nous entoure”.
Un rassemblement, en amont de l’audience, est organisé dès 8 h, devant le tribunal administratif de Pau. Les deux parties et leurs avocats sont attendus à 9 h. La décision pourrait être connue dans la journée.