Emilie Barthe-Cissoko est la mère d'une petite fille polyhandicapée. Aveugle, Coumba a pu recouvrer la vue grâce à des soins de kinésithérapie vestibulaires, dispensés en Espagne. Sa mère a lancé Tiaki, qui signifie "prendre soin" en maori, une application pour les parents aidants confrontés à des situations similaires.
Quand Emilie Barthe-Cissokho met au monde son troisième enfant, les tests classiques sont effectués sur son nouveau-né : rien d'alarmant. Pourtant, la Béarnaise, maman expérimentée, comprend rapidement que quelque chose cloche.
À six mois, Coumba ne tient pas sa tête et n'a aucun tonus au niveau de la colonne vertébrale. Des signes qui alertent les médecins. Il faudra encore patienter quinze mois pour enfin poser un diagnostic. "Le polyhandicap n’est pas forcément découvert à la naissance. Souvent, il y a un temps assez long pour un diagnostic officiel", explique la mère.
Pendant ces 15 mois, on a eu des rendez-vous quasiment tous les jours
Emilie Barthe-CissokhoMère d'une enfant polyhandicapée, créatrice de l'application Tiaki
La petite fille est atteinte d'un polyhandicap, lié à la contraction par sa mère d’un cytomégalovirus lors de sa grossesse. Cette infection peu connue, proche de la varicelle, et dangereuse in utero, est à l’origine de troubles neuronaux et souvent d’une surdité. Coumba, qui n'a aucun souci d'audition, n’a pas été diagnostiquée tout de suite. Sa cécité a été découverte au fur et à mesure.
"J'ai cru qu'elle allait être aveugle toute sa vie"
Une fois le diagnostic confirmé, la maman cherche à tout prix les thérapies adaptées, tout en renonçant à ce que sa fille puisse voir. "Je suis restée les 2-3 premières années de la vie de ma fille à croire qu’elle allait être aveugle toute sa vie", se souvient-elle.
Jusqu'à la délivrance: un rendez-vous avec une optométriste espagnole à Andorre, qui lui apporte la bonne nouvelle : cette cécité est remédiable. À Barcelone, l'optométriste spécialiste des enfants avec des paralysies cérébrales, a mis au point des techniques révolutionnaires de kinésithérapies vestibulaires notamment. "Elle m’a montré avec des petits exercices que ma fille suivait un peu du regard et que c’était une porte d’entrée." raconte la maman, encore émue par ce moment.
Ce qui m’a fait vraiment vouloir travailler sur cette application, c'est cette découverte-là
Emilie Barthe CissokhoCréatrice de Tiaki
Cette kinésithérapie vestibulaire permet de rétablir des connexions neuronales et rétablir des connexions visuelles. Aujourd'hui, Coumba porte toujours des petites lunettes, mais elle voit. "Au bout d'un an, tous les signaux étaient normaux", rapporte sa mère. Voir, pour cet enfant hypotonique, lui a permis de se concentrer sur son envie de se mouvoir, explique sa mère, "Le fait qu’elle n’ait pas la vue, ça lui enlevait de l’intérêt pour son environnement. Désormais, plein de choses se développent".
Une appli pour mieux coordonner les différentes thérapies
Au milieu de tous ses classeurs de compte rendu médicaux et de préconisations, la mère de famille imagine une interface pour tout simplifier. Elle sait que les parents dans sa situation sont, comme elle, nombreux à traverser les Pyrénées pour soigner leurs enfants en Espagne. Vient alors l'idée de créer une application pratique, où tout serait compilé : les soins, l'organisation des repas pour éviter les allergies, les tutos vidéos pour suivre les exercices de kiné...
Emilie Barthe-Cissokho, ingénieure informatique en congé pour présence parentale, se rapproche de "La fabrique du numérique" de Pau et développe son projet à l'aide de deux concepteurs. Elle crée une association Twinkle Star for 64.
L'application se concrétise. Dénommée Taiki, un mot issu du maori, elle se développe autour de trois volets médicaux (kinésithérapie/optométrie et nutrition), de programmes d'exercices filmés et détaillés et de communications transversales entre les différents thérapeutes, pour un suivi optimal.
L’objectif premier était de répondre aux attentes des familles. Mais ce qu’on cherche, c'est qu’il y ait vraiment une interface pour les praticiens.
Emilie Barthe CissokhoCréatrice de Tiaki
Pour moi ça va être un outil très intéressant
Dès le mois de mars 2024, la phase de test de l'application auprès des familles devrait commencer. Amélie Malaquin, mère de Lucas, 12 ans, fera partie de celles-ci. "Pour moi, ça va être un outil très intéressant", se réjouit-elle.
C'est à Barcelone qu'elle a rencontré l'entrepreneuse. Barcelone, un lieu qui a été une libération pour son fils et elle, après des années à chercher les bons praticiens et les bonnes techniques.
Son enfant est né avec une lésion cérébrale à la naissance, découverte à ses neuf mois, "Il aurait fallu intensifier vraiment les thérapies quand il était petit, quand il avait 5-6 ans", déclare sa mère, qui estime avoir perdu du temps précieux.
J’espère que ça va faire avancer les choses et donner l’accès plus facilement à d’autres parents comme nous, qui n'ont pas la chance d’aller là-bas et qui ne connaissent pas.
Amélie MalaquinMère de Lucas
Celle qui a hâte d'utiliser l'outil, y voit de nombreux avantages. "Ça m’intéresse parce que ça veut dire que tout ce qu’on fait à Barcelone on va pouvoir le présenter à nos kinés ou à nos coachs sportifs, et arrêter de faire des aller/retours" espère-t-elle. Une application qui devrait lui éviter de "faire des comptes rendus, faire des vidéos et montrer même les exercices soi-même".
Un crowdfunding pour le financement
Aujourd'hui, une dizaine de praticiens et médecins spécialisés suivent Coumba. Et la petite famille se rend deux fois par an à Barcelone, au centre Aléas, pour des stages intensifs. Certaines familles y vont jusqu'à cinq fois par an. À terme, tous les exercices des stages seront proposés dans l'application.
Il reste désormais à finir de trouver les financements pour que cette application voie le jour. Le prix de l'innovation de l'agglomération paloise de 2022 et les fonds régionaux ne suffiront pas, une page de crowdfunding sur Ullule, vous permet également de participer.