Procès de François Bayrou : le président du Modem "blessé", le parti garde le silence

Lundi 16 octobre, après six ans d'enquête, s'ouvre le procès du Modem, visés par des accusations de détournement de fonds du Parlement européen via ses députés, de 2005 à 2014. Au cœur de ce procès, François Bayrou. Maire de Pau, Haut-commissaire au Plan et président du parti, il est soupçonné de complicité de détournement de fonds et risque l'inéligibilité.

Dimanche 8 octobre, Renaissance tient son congrès au parc des expositions de Bordeaux. En invités stars, Elisabeth Borne, Edouard Philippe ou encore François Bayrou. Au pupitre, le président du Modem évoque le conflit en Israël, fait de la géopolitique. À trois minutes de la fin, il évoque pour la première fois l’Europe par une phrase : " nous sommes les représentants de l’Europe ", avance-t-il, avant d'évoquer la "solidarité " des partis qui constituent le groupement au niveau européen.

François Bayrou est dans son élément, prend un bain de foule. Des mots de soutien, des selfies… Dans cet univers où les élections européennes sont au centre des conversations, François Bayrou veut pourtant rester discret. Une semaine plus tard doit s'ouvrir le procès des assistants parlementaires européens du Modem.

Silence général

Comme le Rassemblement National ou la France Insoumise, son parti, le Modem, est accusé de détournement de fonds européens. "Monsieur Bayrou, ces soutiens, vous rassurent en amont de votre procès ?" À notre question, le président du Modem nous adresse une tape, sur l'épaule, le sourire crispé. "Ce n’est pas du tout le lieu pour parler de ça". 

Aucun autre commentaire de sa part, ni de celles de ses avocats. "Il est déjà très médiatisé", glisse Me Casanova, avocat de François Bayrou, qui assure seulement que sa défense "sera très technique"

Du côté du Modem, même silence. Fabrice Teitgen, l’avocat du parti ou encore les chargés de communication se refuse à tout commentaire. "On a pris le parti de ne rien commenter jusqu'à la fin du procès. Il est public. Les déclarations qui y seront faites seront suffisantes", explique Fabien Robert, chef de file du parti en Gironde. "Ce serait vraiment malvenu de communiquer maintenant." 

L'enjeu du procès est de taille. François Bayrou, comme les autres prévenus, sont menacés d’inéligibilité. Une décision qui entraînerait des réactions en cascades, du parti lui-même à la mairie de Pau, en passant par les élections européennes de juin prochain.

Le ténor du Modem a tout de même accordé une interview à La République des Pyrénées.  Il y glisse ses confessions. "Je me sens blessé, profondément. D’abord, parce que j’ai placé toute ma vie politique sous l’angle de la moralisation de la vie publique. C’est moi qui ai inspiré la loi de moralisation, c’est même moi qui en ai écrit la première mouture", déclare-t-il dans les pages du journal local.

Six ans d'attente

Six après le début de l’enquête, le sort du Modem, tout comme celui du Haut-Commissaire au Plan, va être fixé. "Enfin !", s'était exclamé le président du Modem lorsque les dates du procès avaient été annoncées. Depuis le début, François Bayrou réfute toute implication, nie même l’existence d’un système au sein du Modem qui œuvrerait à détourner les fonds européens. Pourtant, c’est bien ce qui est reproché au parti, à son aïeul, l’UDF (Union Démocrate Française) et à cinq cadres et cinq eurodéputées. 

Le 22 mars 2017, Sophie Monteil, eurodéputée du Front National (ex-Rassemblement National), alors dans la tourmente pour une affaire similaire, écrit au procureur pour dénoncer un détournement de fonds européens dans d’autres formations politiques que la sienne. 

Rapidement, son accusation est étayée par un courrier envoyé par un certain Steeven Murat contenant des extraits du livre de Corinne Lepage. L'ex-assistante parlementaire accuse Marielle de Sarnez, eurodéputée, de l’avoir employée pour le parti tout en la payant, pendant cinq ans, avec des fonds européens. Mathieu Lamarre, ancien webmaster et média manager du Modem, pointe alors du doigt 19 députés, ayant eu recours à des procédés similaires.

Quitterie de Villepin, ancienne assistante parlementaire également, décrit, elle, dans Médiapart le "système" organisé par le parti pour réduire les coûts de ses salariés. "Même si ce sont désormais des adversaires politiques, ça n’empêche rien, ils ont dit ça à l’époque. Les documents et les témoignages mis bout à bout montrent que les choses sont sérieusement établies. Les magistrats ont estimé que les charges sont suffisantes pour poursuivre", arugmente Me Maisonneuve, l'avocat du Parlement européen dans cette affaire.

De quoi pousser le parquet de Paris à ouvrir une enquête sur la période 2009-2014. Elle va durer six ans, jusqu’en janvier 2023, où le procureur rend ses réquisitions. Il demande le procès pour 13 personnes, dont le Modem et l’UDF, au titre de personnes morales. 

Pour autant, Me Maisonneuve refuse de parler d'un procès politique. "Qui viserait-on et pourquoi ? Alors que le Modem n’est pas un adversaire politique du Parlement européen et plutôt un allié, contrairement aux deux autres partis qui font l’objet d’une procédure. C’était un usage dans beaucoup de partis, mais un usage illégal", résume l'avocat.

Système global

Les motifs : complicité de détournement de fonds publics commis par les députés européens affiliés aux partis UDF puis Modem et pour certains, recels de fonds issus de détournement de fonds.

Mais comment le parti a-t-il opéré ? Le montage est complexe. Au Parlement européen, les députés peuvent avoir des assistants dits locaux, qui peuvent travailler depuis le pays du député, et avoir, en parallèle, un autre contrat, tant que ce dernier n’est pas à temps plein. Ils sont alors rémunérés par le Parlement Européen, via l’enveloppe que l’institution alloue au député, en fonction de ses besoins et des missions effectuées. Cette somme est versée à un tiers-payant, un expert-comptable en France, qui paie ensuite les assistants. 

Sauf qu’au Modem, on a choisi de mutualiser les enveloppes des députés, quand bien même les assistants étaient attribués à un député spécifique. Pourquoi ? Certaines missions étaient transversales, le parti voulait créer une véritable "task force" se défend le Modem. La pratique n’est pas illégale. En revanche, si ces assistants attribués à un eurodéputé et donc payés sur son enveloppe ne réalisent, dans les faits, aucune tâche liée aux fonctions de cet eurodéputé, c’est du détournement de fonds.

C’est justement ce que dénonce le Parlement, qui s'est porté partie civile. "On parle de détournement de fonds publics, le parlement européen est légitime pour être partie civile, comme dans les procédures contre LFI (Instruction judiciaire en cours) et le RN (en cours de renvoi). Ce système mis en place n’est pas spécifique au Modem, mais l’usage a été fait dans l’intérêt du fonctionnement de l’UDF et du Modem.", détaille Me Maisonneuve, l'avocat du Parlement européen.

De 1,4 million d’euros aux origines de l’enquête, le montant du préjudice s’élèverait aujourd’hui à un peu plus de 348 000 €, encaissé entre 2005 à 2014 par l'UDF et le Modem. Un maigre butin pour le parti : ses frais de fonctionnement avoisinaient les 1,2 million d’euros par an à cette époque.

"Le parlement attend de faire valoir ses droits et que son préjudice financier soit reconnu. Le Parlement européen attend également la reconnaissance du préjudice réputationnel, car on parle de l’argent du contribuable. Le quantum des sommes n’est pas important : si on vole 10 euros, c’est 10 euros volés au contribuable", martèle Me Maisonneuve.

En 2012, le parti, en difficulté financière, avait d’ailleurs dû vendre un de ses bien immobiliers, situé rue de l’Université à Paris, et licencier 16 personnes pour rééquilibrer les comptes.

Inéligibilité

Et François Bayrou dans tout ça ? Le maire de Pau, haut-commissaire au Plan, est aussi président du Parti. Et à ce titre, le parquet refuse de croire qu’il n’avait pas connaissance du système monté par les directeurs financiers et techniques du parti, par qui transitaient toutes les sommes, au titre de tiers-payant.

Lui, réfute tout mécanisme global de détournement de fonds. Après six ans d’attente, le président du Modem, son parti et les dix autres cadres et eurodéputés vont enfin être fixés. Lavés de tout soupçon en cas de relaxe. S'il y a condamnation, François Bayrou risque l'inéligibilité. Sa carrière, au cœur de la majorité et dans son fief palois, serait alors inéluctablement mise à l’arrêt.

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