La langue qui pique, les poumons qui brûlent, ce ne sont que quelques-uns des symptômes décrits par les riverains de la plateforme chimique de Lacq, en Béarn. Depuis quatre ans, ils se mobilisent pour que la pollution de l'air qu'ils subissent soit prise au sérieux.
" Des picotements sur la peau, des problèmes respiratoires, le nez qui se bouche en quelques secondes, la langue qui pique, les poumons qui brûlent, la toux et tout ça en quelques secondes..."L'inventaire que dresse Gilles Cassou est celui qui est partagé par des riverains du site chimique de Lacq en Béarn. Le président de l'Arsil, l'association de riverains, habite lui-même sur la commune de Lacq et constate une forte dégradation des conditions de vie à proximité du site, notamment avec l'apparition de ces problèmes physiologiques qui gâchent la vie de nombre d'entre-eux.
C'est une situation de vie qui est très compliquée, le sentiment d'être abandonnés, ça fait trop de temps que ça dure, il y a des gens qui sont vraiment à bout, psychologiquement et physiquement.
Gilles Cassou - association ARSIL - Les riverains des sites industriels du Bassin de Lacq -
Un site emblématique
Le site de Lacq, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Pau, est historiquement tourné vers le gisement depuis les années 50. Elf puis Total y ont extrait du gaz en quantité. Avec la fin de l'exploitation par le dernier pétrolier, il a fallu orienter le site vers d'autres industries. Des entreprises issues de la chimie ont pris place.Et depuis, c'est un calvaire pour certains riverains. Certains, ceux qui osent en parler. En tous cas, ils font le lien entre les problèmes de santé, les odeurs parfois insoutenables et cette activité, surtout pour la plateforme de Lacq. ( Le Bassin de Lacq accueille quatre plateformes sur plusieurs communes )
"Une charge odorante significative"
"Il a vraiment fallu qu'on se mette en colère, qu'on porte plainte pour qu'ils se rendent compte que chez nous dans certaines conditions, c'est invivable. " Gilles Cassou s'est démené pour alerter les élus, les pouvoirs publics.
Difficile de se faire entendre quand on bataille face au premier employeur local avec 7 500 emplois revendiqués sur les quatre plateformes.
À force de réunions, de signalements, une étape est franchie avec l'ATMO, l'association qui recueille les données sur la qualité de l'air.
La structure de Nouvelle-Aquitaine met en place un dispositif ainsi décrit : "Dans le cadre de la survenue d’odeurs inhabituelles et irritantes à l’été 2015, un observatoire des odeurs autour de la plateforme industrielle Induslacq a été mis en place fin 2016. La particularité de cet observatoire est qu’il est composé de nez riverains et de nez industriels. Ces observateurs contribuent à l’amélioration du paysage olfactif du bassin de Lacq en faisant remonter très régulièrement des signalements d’odeurs et/ou de nuisances autour de la plateforme."
Une façon de reconnaître cette gêne et ces odeurs qui exaspèrent les riverains.Le bilan de l’année 2018 (de mai à décembre) met en évidence une charge odorante significative, avec 504 signalements effectués. Sur les 244 jours de l’étude, il y a eu 168 jours, soit 69 % des journées, où au moins un observateur, à un endroit du domaine d’étude, a déclaré une perception odorante.
Bilan ATMO publié le 8 juillet 2019
Des stations de mesure sont également présentes sur le site. Ces données très riches, très nourries, sont à disposition des collectivités, de la Dreal, des industriels. Elles doivent être prises en compte par les professionnels de la chimie pour faire évoluer leurs pratiques.On ne mesure que ce que l'on connaît. On ne mesure pas tout.
Rémi Feuillade - Atmo ( agence de mesure de la qualité de l'air )
Un danger pour la santé ?
Derrière les odeurs, y a-t-il un danger d'exposition à ces molécules ? Pas de réponse officielle pour l'instant. Mais l'association environnementale qui est aux côtés des riverains, la Sepanso 64, a des doutes :Aujourd'hui, on a une industrie qui travaille sur 240 substances et des produits pour la plupart CMR (Cancérogène, mutagène, reprotoxique). Nous, on est persuadé que là est en place une bombe à retardement, que tous les produits qui sont rejetés dans l'atmosphère auront un effet à terme sur les salariés et les riverains.
Patrick Mauboules - Sepanso 64 -
Une étude épidémiologique est en cours, conduite par Santé Publique France, très attendue par les riverains.
Des premiers travaux ont été publiés en mai dernier pour analyser les attentes et le contexte local. Ils apportent cette conclusion : "En cas de mise en évidence d’une surmortalité ou surmorbidité, les attentes s’orientent essentiellement, de manière assez transversale, vers la mise en place d’une solution, pour laquelle deux hypothèses sont évoquées :
- la fermeture du site ou de certaines usines, qui constitue l’axe d’un scénario catastrophe pour tous les interviewés (notamment parmi les riverains, qu’ils soient dépendants ou non économiquement des activités du site)
- la recherche d’une solution technique pour limiter les émissions polluantes, même si elle est coûteuse, avec une certaine confiance exprimée dans le fait qu’elle puisse être trouvée, même si certains élus redoutent une fuite des entreprises"
Les industriels vont devoir chercher ce qu'ils rejettent
La DREAL, la direction régionale de l'environnement, représente l'Etat pour faire respecter la réglementation auprès des industriels. C'est aussi l'interlocuteur des riverains dans leur quête de vivre sans tous ces soucis.On ne peut pas évoquer la qualité de l'air si on n'évoque pas les rejets industriels.
Yves Boulaigue - DREAL Pyrénées-Atlantiques
Yves Boulaigue n'a pas de doute sur le ressenti des riverains. Pour le représentant de ce service de l'Etat, la tendance est à la baisse des rejets dans l'air depuis de nombreuses années. "Ce qui est nouveau depuis quatre ans, c'est le signalement de plaintes en terme de nuisances. " Alors, la solution, c'est de trouver ce qui provoque ces nuisances. "Les industriels savent ce qu'ils produisent, mais pas ce qu'ils rejettent." affirme Yves Boulaigue. "On a un souci de connaissance" confie-t-il.
Ça fait quatre ans qu'on est dessus, quatre ans que les riverains se plaignent, ce n'est pas suffisant. Il y a eu une amélioration mais pas de disparition des plaintes.
Yves Boulaigue - DREAL Pyrénées-Atlantiques
D'où cet arrêté préfectoral signé récemment pour engager les vingt industriels du site à chercher, à faire l'inventaire des produits qu'ils rejettent au-delà des substances qui sont réglementées. Calendrier à l'appui et bilan attendu en août 2020.
Cette démarche rejoint l'attente des riverains : "Commencer par lister tous les rejets et que les réglementations soient respectées." Gilles Cassou exprime cette évidence depuis le début de son combat.
Reste une question, plus large : " J'ai des doutes sur notre capacité à pouvoir continuer à vivre autour des sites industriels." Une question largement posée depuis l'accident industriel "Lubrizol" à Rouen.
Extrait du courrier du Préfet des Pyrénées-Atlantiques de novembre 2018 > Le Préfet demande aux industriels de mieux connaître leurs rejets dans l'atmosphère.