"On ne pouvait plus changer les systèmes d’aspirations trachéales sur les patients intubés". Des hôpitaux étaient dans le rouge. Un Médecin du CHU et un ingénieur de Bordeaux ont développé en urgence un dispositif d’intubation inédit grâce à un circuit industriel local.
Tout commence en mars, alors que l’épidémie se propage et va faire les ravages que l’on connait. Dans de nombreux hôpitaux, les flux se tendent et dans les services de réanimation l’inquiétude grandit.
Mi-mars, le CHU de Bordeaux voit lui aussi ses stocks de systèmes clos d’aspiration utilisés sur les patients intubés, diminuer.
Or ces matériels sont particulièrement précieux et sensibles. Le Docteur Hoang-Nam Bui, praticien hospitalier en réanimation médicale, nous explique pourquoi : "Il s’agit de systèmes d’aspiration clos qui permettent d’aspirer les mucosités trachéales pour éviter que le malade ne s’encombre.
Des systèmes clos dont il est primordial qu’ils soient parfaitement hermétiques pour empêcher tous risques de contamination des soignants.
Docteur Hoang-Nam Bui
Alors que le virus poursuit ses dégâts, les stocks hospitaliers s’amenuisent. Avec la pénurie, les médecins sont contraints de modifier leurs usages, le docteur Bui témoigne : "Normalement, il faut changer ces systèmes d’aspiration toutes les 72 heures mais nous avons été amenés à ne faire qu’un changement par semaine jusqu’à ne plus en faire du tout sur la totalité du séjour du patient."
Dès lors, le Docteur Bui cherche une solution alternative car malgré les économies effectuées sur les matériels, l’arrivée de nouveaux patients incite à réagir. Les fournisseurs chinois et américains de ce matériel si précvieux ne sont plus en capacité de répondre aux besoins du CHU.
Contacté Nicolas Perry, professeur des universités aux Arts et Métiers de Bordeaux, rattaché au laboratoire d’ingénierie et développement I2M de Talence, répond positivement à la proposition et se met à plancher pour traduire le besoin de ce monde qu’il ne connaît pas.
" J’ai mis mes compétences au service de cette fameuse valve trachéale pour système clos qui permet de nettoyer les bronches. Mais il fallait que je comprenne les attentes des soignants donc que je connaisse leurs gestes. Avec les professionnels de réanimation, j’ai été au plus près du terrain. Ils m’ont montré et expliqué : le besoin d’avoir une main libre et une main stérile…C’est à partir de cela que j’ai travaillé. "Je n’ai pas hésité, c’est mon travail de développer des produits.
> L'école des Arts et Métiers Bordeaux explique sur sa page Facebook la conception de ces valves " un système été développé en une semaine et est libre de droit " >
La stratégie du partenariat local
Une fois le procédé imaginé, Nicolas Perry fait appel à ses partenaires habituels, en l’occurrence KSB une entreprise basée à Libourne (470 personnes) et Gradignan qui compte 40 collaborateurs. KSB à Gradignan, c'est l’excellence en matière de valves et robinets industriels.
Le défi commence pour le leader européen de pompes et robinetteries industriels. Gratuitement, le groupe de Gradignan se met à réfléchir dans l’urgence. Le résultat ne se fait pas attendre : l’équipe a redessiné la valve, choisit le procédé de fabrication en concevant les pièces et la maîtrise de l’étanchéité : " Nous avons été obligé d’adapter notre savoir faire pour imaginer et choisir un dispositif qui soit parfaitement hermétique et conformes aux impératifs de réanimation. " raconte Chrystelle Tandonnet, responsable innovation KSB France.
Ce n’est pas notre vocation et il a fallu arriver à un procédé d’aspiration qui garantisse le risque 0 de contamination, celui de nébulisation extérieure.
L’entreprise de Gradignan relève le défi et va passer le témoin à une autre entreprise installée à 100 km de là.
La Force du circuit court : de l’aéronautique au médical
Cresilas, le sous-traitant aéronautique et automobile du Lot et Garonne basé à Marmande, spécialiste de l’impression 3D de pièces en résine polymérisée entre alors dans la chaîne de solidarité.
Mais il y a un enjeu, trouver un matériau bio compatible avec des usages médicaux. Car ces systèmes d’aspiration pour intuber et ventiler touchent très directement le corps humain. Heureusement, l’entreprise ne manque pas de créativité et déniche le matériau. La production démarre, d’abord une valve puis 10 et c’est jusqu’à 100 valves qui vont être produites testées et validées au fur et à mesure.
Retour au CHU de Bordeaux, les tests sont faits dans un premier temps au sein de l'hôpital. Un moment déterminant pour le docteur Bui " On a fait les tests sur les patients les moins graves et les moins contagieux pour vérifier la validité du système d’aspiration. On a fait deux vagues de tests. La stérilisation du matériel et la phase de tests sur malades ont été finalement efficaces et les résultats satisfaisants."
En toile de fond toujours le même souci : que les personnels soignants ne soient jamais contaminés.
La performance du local au service du national
Depuis l’expérimentation est devenue nationale. Deux autres sites, l’hôpital Gustave Roussy à Paris et Pasteur à Toulouse sont concernés. Les deux établissements avaient un besoin urgent de ces systèmes, ils étaient en carence.
Aujourd’hui l’ANSM ( Agence Nationale de Sûreté du Médicament ) a donné un feu vert provisoire pour une utilisation sur patients Covid19.
Ces procédés resteront néanmoins une solution d’appoint avant que les commandes commerciales des systèmes clos (qualité, santé certifié) ne reviennent dans les stocks des hôpitaux.
Si le feu vert définitif attendu de façon imminente est donné, à terme c’est une production conséquente qui pourrait voir, le jour sachant que d’autres régions sont intéressées et qu’en Aquitaine les stocks des hôpitaux de Bayonne et Mont de Marsan sont aussi épuisés.