C'est un témoignage qui fait l'effet d'une bombe dans le milieu des pompes funèbres. Echange de corps et cercueil rempli de pommes de pin, ne sont quelques-uns des exemples donnés par cet ancien salarié, aujourd'hui révulsé.
Son témoignage ne laisse personne indifférent. Jonathan, actuellement en procédure devant les prud'hommes ne souhaite pas donner son nom, mais ne manque pas de dénoncer son ancien employeur, Roc Eclerc à Mérignac, pour ce qu'il a vu et ce qu'on lui a raconté.
"J'ai vu malmener les corps"
Après quelques années difficiles dans l'entreprise, Jonathan ouvre les yeux sur des pratiques courantes "Les mises en bière étaient faites avec une ou deux personnes maximum, donc parfois quand il faut sortir les corps du frigo, quand c'est hors gabarit, c'est trop compliqué donc ça claque. On entend des bruits". Des bruits de fragments d'os qui commencent à le hanter.
Puis vient cette journée au funérarium pour laquelle il est missionné. Il doit transporter un corps d'1m90 avec une fiche obsèque mal renseignée ou faite à la va-vite, et un cercueil d'1m80 qui attend la dépouille. Il appelle alors son chef qui lui dit "fais au mieux, il faut que tu le fasses rentrer", "Moi on m'a dit de couper un tendon ou de casser un os,"dit-il. "Quoiqu'il en soit, il faut que ça ferme. Il y a la famille qui attend". Jonathan insiste pour dire qu'il n'a rien cassé, mais son mental, lui est brisé.
"On ne peut pas travailler comme ça"
Quand Jonathan commence à avoir des problèmes avec sa hiérarchie, il décide de compiler les témoignages de ses collègues. Pendant un an, il collecte patiemment les dires, les documents, avant de les transmettre à la justice. En voici quelques exemples.
Un collègue lui raconte avoir procédé à une inversion de corps sous les ordres de sa hiérarchie et lui confie les documents en attestant. Arrivé au funérarium d'Arès, ce dernier ne trouve pas le corps pour lequel il est venu, et en réfère à son supérieur qui l'oriente tout de suite sur un autre corps. "Comme le flic arrive dans 10 minutes ou 1/4 d'heures, il n'y a pas le choix. Si il n'y a pas de famille, coupe le bracelet... c'est un ordre de la direction" , continue Jonathan, relatant les propos du supérieur et précisant qu'on parle du bracelet qui permet d'identifier la personne défunte.
La cérémonie a lieu et un corps est alors incinéré à la place d'un autre. "Les familles se sont recueillies au crématorium alors que c'était pas le bon corps et ça s'est déroulé normalement" continue Jonathan. "On a fait comme si de rien n'était, à part lui, qui aujourd'hui a encore du mal à dormir",conclut-il.
Un sac rempli de pommes de pin
Et puis, il y a cette autre histoire sur le bassin d'Arcachon. Une famille souhaite procéder à une réduction de corps d'un aïeul (opération classique, visant à exhumer et déplacer les restes d'un corps dans un contenant moins inportant afin de gagner de la place pour le reste de la famille) et de réaliser un caveau familial. Et là encore le récit est éloquent. Jonathan raconte que le directeur présent lui demande de se presser et de ne pas procéder à l'exhumation. "Il n'y a pas le temps on va poser la cuve dessus", et pour donner l'impression de la présence d'un corps dans le caveau tout neuf, "le directeur lui donne un sac prérempli de pignes de pin, qu'il lui remet en mains propres, qu'il pose, il referme le caveau et ça c'est réglé", s'étouffe Jonathan.
Quand il dénonce ces faits, on lui répond dans l'entreprise que "de toutes manières, la police passe tous les 100 ans".
On nous a fait signer une charte sur l'empathie, sur le respect, sur la dignité, tout çà. C'est des salades, ils en ont rien à cirer.
Une enquête en cours
Après avoir compilé ces témoignages, il s'est adressé à une avocate pénaliste, Maître Marie Bergès, afin de rédiger un signalement au Procureur de Bordeaux en octobre dernier. Le 16 novembre 2020 une enquête préliminaire du chef d'atteinte au respect dû aux morts a été ouverte par le Parquet. Les investigations ont été confiées à la brigade de recherche de Mérignac et sont toujours en cours. Les gendarmes ont d'ores et déjà procédé à de nombreuses auditions, dont celle de Jonathan et de ses collègues. Pour l'instant aucune information judiciaire n'a été ouverte.
Un vrai malaise dans les pompes funèbres
Si Jonathan dénonce sa hiérarchie, il insiste pour parler de l'omerta qui règne dans les rangs des "gens du terrain" sous pression. Mais reconnaît que peu à peu les langues se délient.
Celui que nous appeleront Michel est arrivé dans les pompes funèbres il y a quelques années, après une reconversion. Très touché par le témoignage de Jonathan, il le publie sur les réseaux sociaux et assure que "tout ce qu'il dit est vrai". Maître de cérémonie dans la région, il a travaillé pour de nombreuses maisons de pompes funèbres. "Avec moi il n'y a jamais eu d'histoires, mais je sais bien qu'il y en a qui seraient capables", assure-t-il.
Michel pèse chacun de ses mots pour ne pas être incriminé, précise n'avoir rien vu et rien entendu, mais la détresse et le mal-être s'entendent de façon assourdissante. "Ce qui s'est passé, ce n'est pas à cause de la fatigue, ce sont des ordres hiérarchiques, mais moi on me l'a jamais demandé". "Après, la société Roc Eclerc a toujours été une société dénigrée. Il y a un turn over énorme, à cause de la cadence".
Cadence infernale, salaire minimum
Et Michel dénonce les conditions de travail: "On est soumis à des cadences infernales, appelés de jour comme de nuit, malmenés pour 1 300 euros". 1 300 euros, c'est le salaire du maître de cérémonie qui dirige l'équipe, 1 180 euros pour un porteur à plein temps. S'il assure avoir toujours eu un oeil partout et être très à cheval sur les principes, il comprend que "certains n'aient (...n'ont) plus aucun recul sur ce qu'ils font" et dénonce encore:
"Ce qu'ils cherchent dans les pompes funèbres ce sont des gens qui se taisent et qui ne disent rien sur le rythme de travail effréné. Dès qu'ils sont usés, ils les giclent".
"Un monde de pourris".
Michel revient également sur ces mois de Covid et le révélateur qu'il a été dans la profession. Il parle d'effectifs composés à 20% d'hommes de plus de 60 ans dans les dernières équipes qu'il a connues, et sinon des intérimaires, écartés pendant la pandémie. "Pendant le Covid, on était partout en sous effectifs. On s'est retrouvés de 15 à 4 personnes, parfois c'étaient les familles qui portaient les cercueils"
"Plus personne ne veux faire ce travail pour être payé 1 180 euros pour un porteur. Pendant le Covid on a reconnu le travail de tout le monde, mais nous les pompes funèbres on est les bêtes noires". Et de conclure :"si demain on est plus là, les morts on va les entasser".
Association française de l'information funéraire
Depuis 30 ans Michel Kawnik, fondateur et président de l'AFIF entend les plaintes des familles de défunts et se bat pour qu'elles soient mieux considérées. "Quatre fois sur cinq, il y a un manque total d'éthique dans le domaine commercial spécifique des obsèques pour des questions funéraires. C'est souvent très inacceptable" dit-il avant d'aller plus loin."iI y a des entreprises qui intègrent dans leur stratégie le manque d'éthique et de respect dû au défunt". On lui a rapporté maintes fois des mises en bière particulièrement irrespecteuses, comme ces porteurs qui poussaient du pied un cercueil coincé. Les témoignages de Jonathan ne l'étonnent donc pas du tout.
Michel Kawnik parle également du prix "exorbitant" des obsèques dûs à l'entente du "lobby énorme du funéraire pour conditionner les familles des défunts. Il y a une majorité d'abus de faiblesse commis par les sociétés de pompes funèbres auprès des familles, car elles sont destabilisées."
Pour contacter L'AFIF: 05 46 43 44 12 ou www.afif.asso.fr