Trafic de drogue : « Ça s’organise à tout va pour le réapprovisionnement », 1,7 tonne de cannabis saisie dans les Landes

Mardi 26 mai, 1,7 tonne de cannabis a été saisie à Castets, dans les Landes, dans un camion venant d’Espagne. Ce qui porte à 3,6 tonnes la quantité de cannabis saisie en Nouvelle Aquitaine depuis le 11 mai. Le déconfinement du trafic est amorcé après deux mois d'"assoupissement" inédit.
 

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C’est ce qu’on appelle une belle prise. Près d’1,7 tonne d’herbe saisie sur l’A63. L’Office anti-stupéfiant (OFAST) est chargé de l’enquête. « Les Espagnols sont très rigoureux sur ce qui rentre chez eux, moins sur ce qui sort», explique Jean-Yves Goriou, chef de la division criminelle à la DIPJ qui comprend l’antenne bordelaise de l’OFAST.
Une nouvelle saisie donc, qui vient s’ajouter à toutes celles enregistrées depuis le début du déconfinement et qui représentent 1,9 tonnes de cannabis selon les informations livrées par la Direction Interrégionale des Douanes. Bilan total en quinze jours : 3,6 tonnes sur toute la région Nouvelle-Aquitaine. Quelles sont les répercutions localement pour les dealers et consommateurs ?


Ça s’organise à tout va pour le réapprovisionnement. Nous avons pas mal d’affaires en cours, on surveille des équipes qui cherchent à se réapprovisionner rapidement.
Jean-Yves Goriou - chef de la division criminelle à la DIPJ

Même son de cloche du côté de la Direction Interrégionale des Douanes : " Il y a bien une reprise du trafic qui profite de l’assouplissement des conditions de circulation pour se glisser dans le trafic routier qui reprend ".

" La position géographique de la France fait qu’on est traversé de manière constante par de la marchandise, on est au confluent du sud et du nord et aux portes de l’Angleterre (consommatrice d’héroïne, de cocaïne et de drogues de synthèse en général) ", explique le chef de la division criminelle de la DIPJ saisie pour les affaires de trafic international. Et la Nouvelle-Aquitaine occupe une place stratégique sur ce couloir. Un couloir qui pourrait très prochainement voir le trafic routier bondir. Puisque ce jeudi Edouard Philippe a annoncé que "la France sera favorable à une réouverture des frontières à l'intérieur de l'Europe, à compter du 15 juin, si la situation sanitaire le permet". 

Ainsi le 13 mai sont saisis 52 kg de résine de cannabis sur l’A63 près d’Hendaye. Le lendemain près de Poitiers 936 kg d’herbes et 554 kg de résine de cannabis sont retrouvés dans un chargement au milieu de plaquettes de frein (photo ci-dessus). Le 15 mai, sont enregistrées deux nouvelles saisies : 210 kg d’herbe à Saugnacq-et-Muret (Landes) et 45 kg près d’Hendaye à nouveau. Le 20 mai, à Libourne sur la Nationale 10, 102 kg d’herbe sont saisis dans le chargement de deux frères espagnols se rendant en Hollande (photo ci-dessous). La drogue était cachée au milieu de filets de pêche. Jugés en comparution immédiate, ils écoperont de 12 mois de prison ferme et de 209 000 euros d’amende.
 

Toutes les saisies venaient d’Espagne donc. "  Il y a eu là-bas une accumulation des stocks pendant le confinement notamment dans le sud vers Grenade qui est devenue une zone de production de cannabis ", explique Mathieu Folhen à la tête de la JIRS (Juridiction Interrégionale Spécialisée) de Bordeaux saisie lorsqu’il s’agit de réseaux internationaux d’ampleur nécessitant de remonter la filière.

Tensions et faits divers liés au trafic

Ces dernières semaines, la tension liée au trafic de drogue et aux difficultés d’approvisionnement n’a pas été sans dommages collatéraux. Certains dealers n’ont que cette seule source de revenu. " Pendant le confinement on a observé un ralentissement, presque une mise à l’arrêt des importations, avec un fret routier très contrôlé ", relate Jean-Yves Goriou.

Nos trafiquants habituels étaient en tension, certains ont plus ou moins bien géré leur stock.

 

"La violence a augmenté avec des « carottes » et des dettes devenant exigibles immédiatement", explique-t-il. "Avec la rixe ayant fait un mort au Parc Palmer de Cenon on est dans le schéma ». Le 20 mai dernier, un dealer est en effet parti à la recherche d’un homme lui devant plusieurs milliers d’euros. Une dette liée au trafic de stupéfiant. « C’est un des éléments visibles, mais pas le seul. Les rodéos aussi, on a rien à vendre donc on s’occupe ». Ce jeudi une opération de police a d’ailleurs permis l’interpellation de trois individus ayant participé à un rodéo le 27 avril dernier devant le grand théâtre à Bordeaux.
 

« Il y a eu de l’agitation dans certains quartiers », poursuit Jean-Yves Goriou, " des violences sur un fond de dette de stup, des coups de couteau, mais pas que. Le 21 avril à Saint-Gervais en Gironde, il y a eu une tentative d’homicide volontaire. Trois hommes sont rentrés chez un autre homme et ont cherché à le carotter, c’est-à-dire à lui voler son stock. Plusieurs étaient armés, il y a eu un échange de coup de feu. Le propriétaire des lieux a blessé un des entrants ". Ils ont été présentés au parquet le 27 avril, deux personnes ont été placées en détention.
 

Les retombées sur le trafic local

Si le trafic international a repris, les dealers vont forcément en profiter si ce n’est déjà fait. « Les mecs avaient disparu pendant confinement» , raconte un habitant de la rive droite, « mais ils recommencent à être là depuis un ou deux jours, mais quelles quantité ont-ils à vendre, c’est difficile à savoir ». Sollicitée sur le sujet, la Direction Départementale de la Sécurité Publique a refusé de répondre à nos questions.

Alain *, revendeur sur Bordeaux, ne voit pas beaucoup d’évolution depuis le début du confinement. La pénurie de résine de cannabis subie pendant le déconfinement semble perdurer. « La communauté maghrébine détient le business du shit et étant la plus souvent contrôlée , c’est difficile pour eux de se déplacer », explique Alain. « La fermeture des frontières, plus le ramadan, ça faisait deux fois plus de difficultés pour s’approvisionner. La fin du ramadan va faire, on l’espère, bouger un peu les choses », dit-il. « Certains disent que rien ne bougera avant septembre étant donné que la récolte de cannabis intervient à cette période ». Durant le confinement, il a essentiellement vendu de la cocaïne. Depuis 15 jours Alain note en revanche une baisse des tarifs de l’herbe. « Le prix a sensiblement baissé : 2euros de moins à l’achat donc 2 euros de moins à la revente, c’est-à-dire entre 12 euros et 13 euros le gramme pendant le déconfinement, contre 15 euros pendant le confinement ».

Sarah Perrin écrit une thèse à l’Université de Bordeaux sur l’usage et le trafic de drogue . Elle travaille aussi au CEID, et a participé au rapport TREND fait pas l’OFDT grâce à la participation des différents professionnels du métier impliquant les acteurs du milieux de la drogue. Elle n’a pas exactement la même vision qu’Alain du moins sur le cours de l’herbe. « Depuis le déconfinement, les choses n’ont pas tant bougé », explique-t-elle. « Il n’y a pas de baisse des prix. Les dealers qui ne vendaient plus se sont remis à vendre ou à avoir de l’herbe peut-être grâce à l’ouverture de certains réseaux ou marchés. Pour les clients le déconfinement a permis de se déplacer plus facilement et donc d’aller à l’autre bout de la ville. Après, beaucoup d’usagers se plaignent de la hausse des prix, de la baisse de qualité des produits, de dealers moins commerciaux. Certains se sont reportés d’eux même sur le CBD ». Alain comme Sarah relate les mêmes arnaques : celles au CBD (molécule faisant partie de la famille des cannabinoïdes). Certains dealers auraient fait passer du cannabidiol pour de l’herbe, en le vendant au prix de l’herbe bien évidement. Et bon nombre de dealers auraient stoppé les livraisons à domicile comme cela avait été le cas durant le confinement, avec en contrepartie un montant minimum d'achat. 
 
 

"Risques d'overdose"

L’Observatoire Français des drogues et Toxicomanies (OFDT) vient de remettre un rapport sur « l’évolution des usages et de l’offre de drogues au temps du Covid 19 ». Rien pour l’instant sur le déconfinement mais de nombreuses informations en ressortent sur la période concernant la mi-mars à la mi-mai.

Une partie des usagers de drogues s’est ainsi reportée sur la consommation d’alcool, les traitements de substitution (type subutex) car il y avait moins de produits sur le marché et car leurs ressources économiques avaient baissé du fait du confinement.

Le trafic a été perturbé mais pas stoppé. Et là aussi la tension la plus importante aurait concerné le cannabis dont les prix ont parfois doublé voire triplé selon le rapport. Une information confirmée par Alain qui parle de pénurie. « Du coup il y a eu explosion du prix du cannabis », dit il. Il a vendu « jusqu’à 15 euros le gramme pendant le confinement ». Contrairement à la cocaïne. Selon le rapport de l’OFDT, celle-ci serait restée à des prix accessibles, et si parfois une hausse des prix a été observée elle n’aurait pas atteint les mêmes niveaux selon les régions. À Bordeaux, Alain a continué d’en vendre durant toute la période de confinement. « Pas de pénurie car plus facile à stocker, ça prend moins de place que du shit ou de l’herbe », dit-il. Ses prix n’auraient donc pas particulièrement augmenté pendant le confinement.

C’est du côté des professionnels de la prévention que le coup s’est fait sentir. Le rapport y consacre une large page. Assurer la continuité des soins pour les toxicomanes suivis, accès au matériel pour la réduction des risques, manque de moyens pour se protéger contre le covid, perte du contact avec certains patients… Il a fallu gérer une crise sans précédent. Mais celle-ci aura quand même eu des aspects positifs comme la mise en place de dispositifs inédits : collaborations entre acteurs, déploiement de certaines pratiques pour face aux enjeux (hébergement d’urgence, maraudes, assouplissement de certains protocoles d’inclusion aux soins).

Et une des craintes partagée par les professionnels, est celle d’observer de nouvelles overdoses avec le déconfinement. "On a eu plus de décès par overdose pendant le confinement", note Jean-Michel Delile à la tête du CEID (Comité d'etude et d'Information sur la drogue et les Addictions) et de la Fédération Addiction.

On a eu 5 décés par overdose parmi les personnes que nous suivons. C'est plus que ce que nous obervons habituellement.


"Les personnes stockent par peur de manquer et lorsqu'une phase de tension se présente alors ces personnes en prennent plus que d'habitude", développe l'addictologue. "Il y a un facteur de risque quand il y a une variation d'approvisionnement. Notamment avec la cocaïne que certains vont se mettre à prendre en intraveineuse car ça agit plus, avec du coup un danger d'un point de vue cardiaque, et un risque d'overdose. Avec le déconfinement, on est sur la voie de la stabilisation au niveau de l'approvisionnement, en revanche pour des produits comme la cocaïne il peut encore y avoir des irrégularités, donc des risques". Un nouveau rapport sur les usages et l’offre de drogues post-confinement devrait être remis par l’OFDT en septembre prochain

(*) le prénom a été changé
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