Un pharmacien corrézien se mobilise contre le pillage des données médicales

Antoine Prioux, pharmacien à Bugeat intervient dans le nouvel épisode de Cash Investigation diffusé jeudi 20 mai, sur France 2. L'équipe d'Elise Lucet s'est notamment intéressée à la collecte des données de santé par 10 000 pharmacies françaises. Une pratique que dénonce le professionnel corrézien.

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"Certaines données de santé sont revendues à des industriels de la pharmacie", tel est l'amer constat que fait, encore aujourd'hui, Antoine Prioux, pharmacien corrézien. Une problématique pointée du doigt pour la première fois par Cash Investigation.

Dans le nouvel "Nos données valent de l'Or", diffusé sur France 2, jeudi 20 mai 2021, l'équipe d'Elise Lucet dévoile comment l'entreprise américaine IQVIA collecte nos données de santé auprès des 50 % des officines françaises avec qui elle collabore.

Ainsi, près de 40 millions de Français seraient pistés sans en être informés. Prénom, numéro de sécurité sociale, année de naissance, produits de délivrance. Autant d'informations personnelles qui seraient transmises à IQVIA, "plus gros data brocker spécialiste des données de santé" mentionne l'enquête de Cash Investigation.

Les pharmacies ont pour obligation de mentionner cette collecte de données auprès de leur clientèle. L'équipe de Cash Investigation a néanmoins constaté que cette consigne était peu (voire pas) respectée. Les clients peuvent exercer leur droit de refus face à la collecte de ces données depuis quelques mois seulement.

La prise de conscience d'Antoine Prioux, pharmacien à Bugeat

Pendant des années, Antoine Prioux, pharmacien en Corrèze, a transféré les données de santé de ses patients à IQVIA, ignorant que celles-ci étaient utilisées à des fins commerciales. Il a décidé de réagir; "dans les faits, ce truc est inapplicable. Un pharmacien ou un préparateur en pharmacie ne prendra jamais cinq ou dix minutes pour expliquer aux gens ce qui est fait de leurs données qui remontent des logiciels. Et encore faut-il qu'ils le sachent" précise-t-il lors de son intervention dans le reportage de Cash Investigation.

Contacté par téléphone, Antoine Prioux a exposé à France 3 Limousin ses multiples motivations :"Ce que je souhaite, c'est que les pharmaciens ne soient plus enchaînés à leurs propres chaînes. Alors, je leur tends une clé."

Pour ce pharmacien, installé à Bugeat depuis 2016, la priorité est d'éduquer les gens sur cette problématique encore complexe : "L'enjeu des maladies chroniques concernent des personnes âgées, les personnes les plus malades sont souvent les plus défavorisées et ces sujets sont tellement complexes que parfois, même les pharmaciens ne comprennent rien concernant ces données. Mes patients ont simplement vu que j'avais changé de logiciel et qu'il fonctionnait moins bien qu'avant car il n'en est qu'à ses débuts". Mais pour le pharmacien, tout est une question de temps, de sécurité et d'innovation.

Créer, c'est résister. Résister, c'est créer.

Stéphane Hessel

Depuis 14 ans, Antoine Prioux milite aux côtés d'autres pharmaciens pour transformer radicalement le système de santé, visant à le rendre plus éthique. Depuis, leur communauté s'est élargie.

En 2018, il lance l'association P4pillon, une plateforme collaborative et citoyenne qui permet de connecter entre eux les professionnels de santé du secteur. Son but : lutter contre les déserts pharmaceutiques en campagne, sortir du système de marchandisation des données et promouvoir un système numérique en santé au service du bien commun, "nous souhaitons que ce soit le reflet de l'humanisme de notre époque et pour ça, nous avons besoin d'offrir ce logiciel aux fonctionnalités majeures du bien commun".

Pour que d'autres professionnels de santé adhèrent à sa quête d'indépendance, Antoine Prioux a lancé une cagnotte en ligne. 58 000 euros sont nécessaires au financement du créateur du logiciel de pharmacie pour en faire un "logiciel libre". Parmi les objectifs de ce logiciel pharmacien inédit en France : garantir la sécurité des données personnelles en contrant les pratiques de data brockers et tisser une confiance entre patients et professionnels, "si demain, chaque pharmacien dépense 1 euro dans ce projet, ils font un saut énorme vers leur indépendance".

À propos du reportage de Cash Investigation

Depuis le 12 septembre 2018, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), autorise l'entreprise américaine IQVIA a entreposer des données collectées auprès des pharmacies avec qui elle collabore. Plus de la moitié des officines françaises seraient concernées (10 000 environ).

La carte vitale joue un rôle de traceur. Les données qu'elle contient sont stockées dans une base appelée LRX qui recense numéro de sécurité sociale, prénom, année de naissance, sexe des clients et produits de délivrance, c'est-a-dire, les remises de médicaments ou d'ordonnances par un pharmacien ou un médecin. Ces informations seraient ensuite anonymisées puis transmises à IQVIA. En contrepartie, les pharmaciens perçoivent six euros par mois, et bénéficient d'une étude de marché pour ajuster leurs stocks et gérer leur stratégie de vente.

D'après l'enquête menée par Cash Investigation, les données récoltées seraient revendues à des entreprises pharmaceutiques. En France, cette pratique est illégale d'après l'article L.1111-8 du Code de la santé publique : " "tout acte de cession à titre onéreux de données de santé identifiantes directement ou indiectement, y compris avec l'accord de la personne concernée, est interdit", rappelle le reportage.

 

 

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