Les Tours de Merle en Corrèze sont l’objet de toutes les attentions en ce moment. Ce sont les populations de chauves-souris qui y séjournent qui intéressent France Nature Environnement en partenariat avec l’association limousine GMHL en pointe sur les mammifères volants. Rencontre.
A écouter Maxime Leuchtmann, les chauves-souris sont les meilleures amies de l’homme. Ce jour-là, le jeune homme est juché dans l’une des Tours de Merle avec sa collègue, Manon Devaud, spécialiste des chauves-souris au GMHL. Entre les mains, des fils qu’ils tentent d’introduire dans des tuyaux PVC marron. Les chiroptérologues sont au travail. Ils installent aux Tours de Merle un portique pour suivre le déplacement des mammifères volants, des chauves-souris équipées de puces électroniques avec des codes-barres qui s’enregistrent à chaque passage entre les portiques.
Le programme est porté par France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine, et financé par la Région et la DREAL.
Maxime Leuchtmann assure la coordination technique du programme, et il travaille avec le laboratoire de biométrie et de biologie évolutive de l’université de Lyon. L’université assure la coordination scientifique.
Quelles sont les chauves-souris qui viennent passer l’été en Limousin ?
"Parmi les espèces sur lesquelles on travaille, un des objectifs est d’étudier les déplacements entre les différents sites qu’elles utilisent ; pour ce faire, on utilise la technique des transpondeurs, de la taille d’une graine de riz ; ce sont des puces qui sont lues grâce à des portiques, qui sont des antennes qui émettent un champ magnétique. Ce champ permet de lire le code barre de la puce et d’identifier l’individu. "
Aux Tours de Merle, la colonie est constituée de deux espèces différentes (qui sont le Grand Rhinolophe et le Murin à oreilles échancrées) et concernant les effectifs, "on estime qu’il y a 150 femelles adultes et à peu près 100 à 150 femelles de Murin à oreilles échancrées", détaille Maxime.
Le site accueille d’autres espèces de chauve-souris en hiver (notamment le grand murin qui fait aussi partie du programme d’étude).
Aujourd’hui grâce à ces systèmes, on sait que ces grands rhinolophes, vont passer l’hiver par exemple dans le Lot, en Auvergne mais aussi en Corrèze dans les gouffres de La Fage à Noailles par exemple.
Les portiques sont placés sur leur chemin pour être sûr de les détecter.
En Nouvelle-Aquitaine, une vingtaine de portiques ont déjà été installées,
10 autres portiques doivent être installés dans la région d’ici la fin de l’année.
Pourquoi cette mission ?
Aujourd’hui toutes les espèces sur lesquelles portent le programme sont plus ou moins menacées ; l’objectif c’est de définir des actions pour les protéger.
"On travaille sur l’état de santé des populations, on réalise des analyses épidémiologiques pour connaître l’impact des virus sur les populations de chauves-souris ; Et on fait des analyses toxicologiques pour mesurer l’impact des polluants sur les chauves-souris, par exemple les pesticides."
Les pesticides sont la principale menace sur l’extinction des chauves-souris qui consomment toutes des insectes. Les principales zones où on utilise des pesticides ce sont les cultures de céréales, la vigne et les arbres fruitiers. "En Corrèze, comme on cultive beaucoup de pomme, les impacts sur les chauves-souris sont à redouter mais les analyses sont en cours, on le saura plus tard", précise le chiroptérologue.
La pose de l’antenne est terminée, chaque année, on va capturer la colonie pour pouvoir marquer de nouveaux individus et de recapturer les individus déjà marqués. Ça permet de suivre leur état de santé et l'évolution de la colonie.
" Aux Tours de Merle, explique Manon Devaud, il y a une colonie importante de grands rhinolophes, et de murin à oreilles échancrées. Avec l’installation des antennes qui permettent de détecter les individus transpondés lors des captures estivales, je vais m’y rendre tous les deux mois en moyenne pour relever les données. Des données qui permettent d’analyser les déplacements des individus à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine ".
Les comptages hivernaux se font avec les bénévoles de l’association GMHL (à cette occasion, ils recensent les individus en hibernation, en léthargie comme la Sérotine commune, des pipistrelles, des petits rhinolophes, des grands murins, des barbastelles d’Europe).
Projet de réserve naturelle régionale des gorges de la Maronne
Il y a un projet de réserve naturelle régionale des gorges de la Maronne qui est porté par le conservatoire des espaces naturels de Nouvelle-Aquitaine, le GMHL vient en appui avec ses compétences sur les mammifères, les reptiles et les amphibiens du Limousin. Avec l’exemple de l’importante colonie de chauves-souris des Tours de Merle. "Au sein de notre association, nos missions sont variées. Nous faisons des études mais également de nombreuses animations, sourit Manon Devaud chargée de mission chiroptères, avec le grand public, par exemple Les nuits de la chauve-souris, où on fait des balades nocturnes en écoutant les ultrasons émis par les chauves-souris avec un détecteur, tout en expliquant la vie secrète de ces seuls mammifères volants. On en fait aussi sur les amphibiens, ainsi que sur les mammifères terrestres ".
Il y a urgence
La passion pour les chauves-souris peut parfois paraître futile, mais les chiroptères sont les meilleurs alliés de l’homme. "Aujourd’hui on assiste à une diminution d’environ 30% des espèces communes de chauves-souris en France, prévient Maxime Leuchtmann. "C’est grave ce qui se passe, car les chauves-souris sont les principaux régulateurs des insectes nocturnes et dans ces insectes nocturnes, arrivent en tête les moustiques par exemple, qui sont aujourd’hui responsables du plus grand nombre de morts et de maladies chez les humains sur toute la planète. Et parmi ces insectes on trouve beaucoup des ravageurs de culture, des papillons, contre lesquels l’agriculture moderne dépense des fortunes pour lutter contre ces ravageurs. La protection des chauves-souris est indispensable pour limiter la circulation des virus portés par les insectes, et indispensable aussi pour favoriser une agriculture respectueuse de l’environnement et moins gourmande en pesticides " argumente le chiroptérologue.
La région et la DREAL financent l’opération à hauteur de 250 000 euros par an, un budget qui ne prend pas forcément en compte les frais d’analyses dans les laboratoires de recherche partenaires, mais couvre les opérations de terrain menées par les associations.
C’est un programme qui a démarré en Poitou Charente en 2016, étendue à la Nouvelle-Aquitaine en 2019. L’idéal serait de le faire perdurer jusqu’en 2026.