Le 2 février 2022, Roland Aliu, un Albanais de 25 ans en pleine demande de titre de séjour, porte secours à une octogénaire quand sa maison prend feu. Décoré par les Sauveteurs de la Vienne, il voit sa demande refusée par la préfecture de la Vienne qui l'oblige à quitter le territoire français. Les services de l'État remettent en cause son acte de bravoure.
"Je vous connais vous ! J’ai vu ce qu’il vous arrive, ce n’est vraiment pas bien !" Dans la rue, les passants l’interpellent. Au quartier des 3 Cités à Poitiers, Roland Aliu est connu de tous. Et pour cause, le jeune Albanais s’est distingué en février 2022 en ayant sauvé une femme des flammes. Près d’un an après, la préfecture lui refuse sa demande de titre de séjour et prononce une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à son encontre, en remettant en cause son acte de bravoure.
Un acte salué par une distinction
Le soir du 2 février 2022, Roland Aliu, rentre chez lui dans son quartier des 3 Cités à Poitiers. Sur la route, le jeune homme de 25 ans aperçoit de la fumée émanant d’une petite maison. Aussitôt, il se précipite près de l’habitation. "J’ai entendu des cris venant de l’intérieur, je suis entré et j’ai vu une dame âgée que j’ai fait sortir", se souvient-il.
Alors que Roland prévient les secours, l’octogénaire veut retourner dans la maison en flamme. Sans trop comprendre ses motivations, Roland Aliu l’en dissuade, mais retourne à l’intérieur pour s’assurer que personne d’autre n’est en danger. "Je suis resté un petit peu à l’intérieur pour vérifier, il y avait beaucoup de fumée", raconte le jeune Albanais. Les voisins arrivent ensuite, puis les secours.
Une fois rentré chez lui, Roland Aliu commence à avoir de forts maux de tête et est pris de vomissements. Intoxiqué par les fumées, il termine sa soirée aux urgences, sans trop de gravité. "C’est simplement normal ce que j’ai fait, assure-t-il. Je ne voulais pas être mis en avant pour ça." Quelques mois plus tard, le 14 juillet dernier, à l’Hôtel de Ville de Poitiers, il est décoré de la médaille d’or des Sauveteurs de la Vienne, assorti d’un diplôme d’honneur.
Un troisième refus
Un petit peu plus d’une semaine après l’incendie, le 11 février 2022, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, est en visite à Poitiers. Au cours d’une rencontre avec les lecteurs de la Nouvelle République, il est interpellé par une voisine de Roland sur la situation de ce dernier, alors en pleine demande de titre de séjour en France. "Évidemment, je regarderai ça bien volontiers et avec intérêt. Je le fais souvent, car il faut de l’humanité dans les dossiers", avait répondu Gérald Darmanin. "L’humanité" est pourtant parfois à géométrie variable, comme l’a rappelé Mediapart. En toute fin d’année 2022, Roland Aliu a appris la mauvaise nouvelle. Sa demande de titre de séjour lui a été refusée, assortie d’une OQTF.
Au moment de son arrivée en France, en avril 2017, avec ses parents et son petit frère, Roland Aliu a alors 19 ans. En tant que majeur, il ne peut pas être scolarisé comme l’a été son cadet. "Roland a appris très vite le français malgré tout, témoigne Emmanuelle Devaux de l’association 100 pour 1 qui loge sa famille. C’est quelqu’un qui a très vite voulu s’intégrer, et comme il ne pouvait pas travailler, a fait du bénévolat." Il a donné de son temps pour les Restos du Cœur, la Croix-Rouge et le Comité de quartier. "Je n’ai jamais voulu rester à la maison et attendre. Même pendant la Covid, je faisais du bénévolat", dit-il.
C'est aberrant, parce que c'est quelqu'un de volontaire et qu'en France, on a besoin de cette force de travail.
Emmanuelle Devaux, co-présidente de l'association 100 pour 1 Poitiers, qui loge et accompagne Roland Aliu et sa famille
En août 2017, la famille Aliu voit sa demande d’asile refusée par l’Ofpra et confirmée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et une première OQTF est prononcée à leur égard. Ils tentent alors d’obtenir un titre de séjour, qui sera, lui aussi, refusé en juin 2020 et donnant lieu à une deuxième OQTF. Il est donc sur le coup d’une troisième OQTF prononcée par la préfecture de la Vienne. "Je vis avec la peur de me faire expulser, mais je n’ai pas le choix", déplore Roland Aliu.
La préfecture remet en cause son sauvetage
Contactée, la préfecture justifie son refus par le fait que le jeune homme n’ait pas respecté ses deux premières OQTF mais également que son "intégration professionnelle n'est pas démontrée". "Il ne peut pas travailler puisqu’il n’a pas de papiers, réagit Emmanuelle Devaux. Il a voulu respecter la loi et il est pénalisé." Roland Aliu ne comprend pas non plus : "Si on ne me donne pas la chance de travailler, c’est compliqué. Je suis inscrit à la mission locale, j’ai une promesse d’embauche et un patron qui m’attend, mais ça ne suffit pas pour qu’on me donne ma chance !"
S’il a reçu une promesse d’embauche dans la vente au moment de recevoir son refus de la part de la préfecture, il avait déjà joint à son dossier une autre promesse d’embauche datant de 2020. "Je ne peux rien faire, je suis bloqué, je veux travailler, me former, mais sans papiers, c'est impossible", enchaîne le jeune Albanais.
La préfecture évoque également un autre motif pour justifier son refus, plus surprenant. "Les vérifications effectuées auprès des services de secours et de police mobilisés sur l'incendie n'ont pas permis de corroborer l'acte de bravoure tel qu'il a été relaté", nous écrivent les services de la préfecture de la Vienne. "Ils sont arrivés après, donc ils ne m’ont pas vu, répond le jeune homme. Mais personne, ni la police, ni la préfecture, ne m’a demandé de raconter ma version." Les fumées inhalées lui ont tout même fait passer la suite de la soirée à l'Hôpital de Poitiers.
En plus de cela, dans sa demande de titre de séjour, Roland Aliu a fourni une copie de quatre attestations sur l’honneur écrites par des voisins témoins - que France 3 a pu consulter - expliquant qu’il avait porté secours à la vieille dame ce jour-là. "Personne non plus, n’est allé demander à ces voisins leurs versions", assure Roland Aliu. L’une de l'attestation, explique que "Roland Aliu, venait juste d’appeler les pompiers et était en train de faire sortir Mme. [X] de chez elle pour la mettre en sécurité. Elle criait, il est resté calme et a pu lui éviter de retourner auprès du feu." Une deuxième explique la même chose.
Je ne suis pas un menteur. On ne secourt pas quelqu'un en pensant à un titre de séjour.
Roland Aliu, albanais de 25 ans visé par une OQTF
Un troisième témoin que nous avons pu contacter a déclaré que quand il était arrivé sur les lieux, les deux personnes étaient déjà dehors et que Roland Aliu a bien appelé les secours tout en empêchant l’octogénaire de retourner dans la maison. Une autre témoin nous explique avoir vu la personne secourue remercier vivement Roland Aliu quelques jours plus tard.
Un recours et des soutiens
Au sein du quartier des 3 Cités, personne ne comprend vraiment ce refus de la préfecture, et encore moins les motifs évoqués. "C’est quelqu’un de très serviable, qui aide vraiment tout le monde", ajoute Emmanuel Devaux. À la médiathèque des 3 Cités comme dans la rue, Roland Aliu est reconnu et félicité. Ce jour-là, une personne âgée tombe sur la chaussée devant le centre commercial des 3 Cités et Roland Aliu accourt pour l’aider et la présenter à la pharmacie. "Vous avez bien fait de faire ça, car ce monsieur à des maladies qui peuvent être dangereuses dans ce cas-là", approuve le pharmacien.
Le jeune homme va porter recours auprès du tribunal administratif pour contester la décision de la préfecture de la Vienne. En attendant, les soutiens ne manquent pas. Il y a quelques mois, Roland Aliu a écrit au député poitevin de la majorité présidentielle, Sacha Houlié. "À l’époque, nous avons envoyé un courrier à la préfecture pour les alerter de sa situation et soutenir sa demande, elle est restée sans réponse, nous révèle le député Sacha Houlié. Dès que j’ai appris le refus, j’ai envoyé un nouveau courrier, mais cette fois au ministre de l’Intérieur."
Un rassemblement est prévu le 12 janvier 2023 à 16 h, à l’initiative de l’association 100 pour 1 de Poitiers. "C’est la première fois qu’on organise une manifestation comme ça", précise Emmanuelle Devaux. Beaucoup ont répondu à l’appel. On se dit qu’en se mobilisant, il y a peut-être une chance." Dans le même temps, les représentants de l’association 100 pour 1 vont demander à être reçu par le préfet de la Vienne. "Voir des réponses négatives sans cesse, c’est difficile. Mais je ne veux pas perdre espoir et continuer de bien faire pour la France", conclut Roland Aliu.