En l'espace de quelques jours, deux détenus dépendant de la prison de Poitiers-Vivonne se sont suicidés. Des évènements qui interrogent les familles, mais qui ne surprennent pas à l'Observatoire international des prisons.
Le 9 août dernier, un détenu de la prison de Poitiers-Vivonne était retrouvé pendu dans sa cellule. À peine quelques jours plus tard, le 14 août 2023, c'est au SAS (Structure d’Accompagnement à la Sortie) de la Pierre Levée, dépendant également de l'établissement pénitentiaire, qu'un détenu se suicide.
Un drame qui "interroge à seulement quelques semaines de sa sortie", pour l'avocat de sa famille, Aurélien Bourdieu. Si le parquet de Poitiers annonce que des enquêtes sont en cours pour faire pleinement la lumière sur ces évènements, l'Observatoire International des Prisons (OIP) dénonce de nombreux manquements sur la question, à Poitiers comme partout en France.
Deux suicides qui posent question
Alors qu'il devait être jugé prochainement, un détenu de 21 ans, soupçonné du meurtre de son compagnon en 2020, s'est donné la mort le 9 août 2023, comme révélé par la Charente-Libre et confirmé par le parquet de Poitiers. Quelques jours plus tard, c'est un autre détenu qui met fin à ses jours. Sa famille s'interroge. Le détenu, condamné pour une peine de quelques mois, devait sortir de détention dans les prochaines semaines. Il était d'ailleurs à la SAS de la Pierre Levée afin de préparer au mieux sa réinsertion.
"Il a été retrouvé dans une cellule à l'isolement alors qu'il rentrait de permission de sortie, explique l'avocat de la famille, Aurélien Bourdieu. Mais dans quel cadre était-il à l'isolement ? C'est un cadre légal précis, ça ne se fait pas comme ça." Incapable d'en trouver auprès de l'administration pénitentiaire, la famille cherche des réponses.
"Le détenu avait fait état à sa famille et à l'administration pénitentiaire de harcèlement et de violences de la part d'autres détenus, poursuit Me. Bourdieu. Ils exerçaient des pressions pour lui faire entrer des choses interdites en prison." Alors la famille, par le biais de son avocat, se demande : "Est-ce que des mesures concrètes ont été mises en place pour le protéger ? Est-ce qu'il était à l'isolement justement pour cette raison ?"
Pour le moment, les réponses se font rares. L'avocat de la famille a écrit au parquet de Poitiers afin de demander des explications. "J'ai peur de ne pas avoir de réponses à toutes ces questions, craint Aurélien Bourdieu. En général, il y a forcément une enquête pour recherche des causes de la mort et pour un suicide ça ne va pas beaucoup plus loin." En l'absence de réponses, l'avocat envisage de porter plainte contre X dans les prochains jours.
Pour chacun des cas de suicide à la prison de Poitiers-Vivonne, des enquêtes sont en cours pour recherche des causes de la mort, nous apprend le procureur de la République de Poitiers, Cyril Lacombe. "Les éléments portés par la famille seront évidemment transmis aux enquêteurs, assure-t-il. Il est indispensable de savoir ce qu'il s'est passé précisément, comme dans tous les dossiers de suicide." Selon le procureur de la République, les enquêteurs s'attacheront à déterminer s'il y a un rapport avec le harcèlement qu'avait signalé le détenu et si les mesures de précautions mises en places étaient suffisantes.
Révélateur d'une situation locale ou nationale ?
À la section française de l'OIP, cela fait de nombreuses années que la question du suicide en prison est pointée. Une problématique nationale. En 2022, ce sont 125 personnes en détention qui se sont données la mort. Ramené à la population carcérale, la France possède un des taux de suicide les plus élevés parmi les membres du Conseil de l'Europe. Surpopulation carcérale, condition de détention, violences, manque de prévention… les explications sont multiples.
Le dispositif de prévention du suicide dans les prisons en France n'est pas dans une approche psychologique et humaine. C'est seulement dans l'empêchement du passage à l'acte.
Prune Missoffe,responsable des analyses et du plaidoyer à la section française de l'Obsevatoire International des Prisons
"Nous sommes extrêmement sollicités à propos de la prison de Poitiers-Vivonne", assure Prune Missoffe, responsable des analyses et du plaidoyer à la section française de l'OIP. Entre août 2022 et août 2023, l'association a reçu une centaine de signalements sur la seule prison poitevine à cause de malaise sur les conditions de détention. "C'est une 'prison-usine', il y a plus de 700 personnes détenues. Le côté humain est forcément limité", déplore Prune Missoffe. Selon elle, la prison de Poitiers-Vivonne a un taux d'occupation de 155 %.
"Il y a effectivement, dans cette prison, un contexte général qui semble montrer une recrudescence des suicides, relève l'avocat Aurélien Bourdieu, qui questionne : Est-ce une coïncidence ?" Contactée, la Direction régionale des services pénitentiaires de Bordeaux, dont dépend l'établissement, n'a, pour l'heure, pas répondu à nos sollicitations.
Selon l'OIP, le problème du suicide en détention, est structurel. "Le dispositif de prévention du suicide dans les prisons en France n'est pas dans une approche psychologique et humaine. C'est seulement dans l'empêchement du passage à l'acte", soulève Prune Missoffe de l'OIP. Les rendez-vous avec un psychologue sont très compliqués à obtenir, une nécessité pour une population qui entre souvent en détention avec "des fragilités psychologiques fortes". En cause, selon elle, le manque de volonté et de moyens dans les prisons françaises qui se traduit par un manque de personnel, en particulier médical.
Afin d'empêcher le passage à l'acte, les détenus sont souvent isolés, dans des cellules dépourvues de tout objet pouvant leur permettre de se donner la mort, "quitte à parfois accentuer le mal-être pour le détenu", appuie Prune Missoffe. "On est dans de la gestion de flux. Il y a urgence à retrouver une dimension humaine et de la véritable prévention", alerte la responsable des analyses et du plaidoyer à la section française de l'OIP. Un changement de paradigme qui ne peut se faire sans réelle volonté politique.