Si les bars et restaurants sont fermés depuis plusieurs semaines, par décret, il n'en est pas de même des vendeurs de vin. Explications et exemples à Poitiers.
Le vin est-il un produit de première nécessité ? A première vue, on pourrait croire que non... Et le tabac ? Ces deux "substances" ont un statut légal particulier, leur consommation pouvant être néfaste pour la santé, ils dépendent de la loi Evin. Leur publicité est interdite, mais pas leur vente (aux personnes majeures).
Les débitants de tabacs sont ainsi l'une des exceptions non alimentaires aux interdictions d'ouverture prononcées pour limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19. Et les cavistes ?
Alors, on ouvre ou pas ?
Beaucoup d'entre eux se sont posés de nombreuses questions. La première étant : ai-je le droit d'ouvrir ?A l'annonce des premières mesures de confinement (le 14 mars, Edouard Philippe décrète la fermeture de tous les commerces non essentiels), on aurait pu croire que non.
Sauf que d'un point de vue administratif, les cavistes dépendent de la convention collective "fruits et légumes". A ce titre, ils entrent dans la vente alimentaire, activité maintenue dans ce contexte sanitaire particulier.
Quelques jours plus tard, les choses se précisent, un nouvel arrêté détaille la liste des catégories autorisées à ouvrir. Les commerces de détail de boisson en magasin spécialisé en font partie.
Un verre à moitié vide...
Renée Del Porto tient un bar à vins en centre ville de Poitiers. Cette activité-là n'est plus possible. Mais pour la partie cave, pas d'obstacle légal donc.Pour Florian Grignon et son associé Gilles Bouillé, mêmes interrogations.Le gouvernement n'était pas trop clair au début. Paradoxalement, c'est entre cavistes, en faisant nos demandes d'aides qu'on s'est rendus compte qu’on n’avait pas accès aux aides, parce qu’on n'était pas censés être fermés !
- Renée Del Porto, caviste à Poitiers
A Buxerolles, Carol Parotin, et Sylvie Martin ont maintenu l'activité. Même si elles tirent la majorité de leur chiffre d'affaire du vin, leur rayon épicerie leur garantissait l'ouverture.Pendant deux jours, on a étudié le sujet, sur le plan économique, éthique, moral. On a cherché ce que l’on avait le droit de faire. Initialement, on était dans l’optique de fermer. Et puis au fil des discussions entre collègues, avec le syndicat, on a trouvé un juste milieu, en respect des règles sanitaires. L’idée c'était de pouvoir respecter le confinement au maximum tout en assurant une activité économique. Aujourd’hui, c’est notre seule source de revenus, il fallait qu’on puisse trouver une forme d’équilibre. L'avenir de l’entreprise est en jeu.
- Florian Grignon, caviste indépendant
Officiellement, le groupement professionnel des cavistes indépendants préconise d'abord de ne pas ouvrir, c'est la posture adoptée par les principales chaînes en France (elles sont en train de revenir dessus), et de privilégier les ventes à distance. Puis quelques jours plus tard, cette recommandation s'assouplit, à la condition expresse de garantir la sécurité des clients et employés.
Un verre à moitié plein...
Tous ces commerçants ont toutefois fortement réduit leur présence en boutique. Pour certains, ça a été l'occasion de développer un site internet. Les commandes sont gérées par téléphone. Suivent ensuite des petites livraisons ou des rendez-vous à la cave. Le tout dans le respect des conseils sanitaires.Chacun a besoin de payer les charges, de continuer à se payer, si possible.Ca permet de garder le contact avec nos clients, avec les vignerons. Ils ont besoin de travailler eux aussi. Comme les importateurs n'achètent pas, ils ont de gros stocks sur les bras, ils font de la vente directe. On ne peut pas leur en vouloir. Mais est-ce que ça ne va pas faire exploser le système ?
- Renée Del Porto, caviste à Poitiers
C’est l’occasion aussi de filer un coup de main aux copains. Renée a ouvert sa boutique, à des collègues en difficulté : "Les bouteilles ne vont pas se perdre. Ce n'est pas pareil pour les légumes ou le lait. On fait point relais pour le maraîcher le samedi matin, même chose avec notre fromager de Blanzay. Les clients se jettent dessus ! Ils ne vont pas multiplier les sorties pour des achats. Il faut qu’on soit solidaires. Surtout à Poitiers, on ne nous a pas trop donné le choix, comme les Halles sont fermées, on a envoyé les gens au supermarché. Mais est-ce que c'est plus sûr ?"Toute l'économie est bouleversée... On a vu le côté social aussi, on assume ce qu’on fait ! Les gens qui nous appellent sont vraiment demandeurs, je ne dis pas que le vin est un refuge, mais il y a un besoin de boire du vin en ce moment, peut-être une forme de compensation...
- Florian Grignon, caviste indépendant
Guettés par la gueule de bois
Pour la petite enseigne de Buxerolles, le constat est encore plus amer. Carol tente tout de même de garder sourire et bonne humeur. Elle se bat, heureuse d'être soutenue par sa banque. Mais en trois jours, à peine cinq clients ont passé sa porte.Là, il y a un truc qui pique, on est sur un grand rond-point, mais le client, on le voit passer, il va au supermarché ! Les réseaux de circuits courts que l'on avait ne fonctionnent plus. Les gens achètent des cubis... La gueule de bois de la reprise, on va se la prendre en pleine tronche ! Les primes, les mesures de remboursement du gouvernement, je n’y crois pas.
- Carol Parotin, caviste à Buxerolles (Vienne)