La prise en charge des chats errants est une problématique de plus en plus importante pour les mairies, qui sont responsables des animaux présents sur leur territoire. À l'Assemblée nationale, un amendement a été voté dans le projet de loi de finances pour 2024 : trois millions d'euros seront versés aux collectivités territoriales pour les aider à stériliser chats errants et domestiques.
"Franchement, cet amendement, on n'était pas du tout au courant. Pourtant, on essaie de se tenir informés dans notre association", s'interroge Anne Goubard, secrétaire de l'association Félins en détresse, basée à Saint-Jean-d'Angély en Charente-Maritime. "En fait, ces trois millions d'euros, ça ne permet de ne stériliser une population de chats que sur l'équivalent de deux départements."
En France, il y aurait près de 15 millions de chats en France. Les félins ont différents statuts : domestique, errant ou libre (un statut qui concerne un chat stérilisé, identifié et relâché dans son milieu de vie). Depuis 2012, ils doivent tous être identifiés, mais pas stérilisés, alors qu'une femelle peut donner naissance à une portée de sept chatons.
La stérilisation des chats errants n'est pas obligatoire, malgré une proposition de loi déposée en ce sens en 2020. Les maires sont pourtant responsables des animaux errants présents sur le territoire de leur commune. L’article L. 211-27 du Code rural prévoit aussi que "le maire peut, par arrêté, à son initiative ou à la demande d’une association de protection des animaux, faire procéder à la capture de chats non identifiés, sans propriétaire ou sans gardien, vivant en groupe dans des lieux publics de la commune, afin de faire procéder à leur stérilisation et à leur identification conformément à l’art. L. 212-10, préalablement à leur relâcher dans ces mêmes lieux."
Trois millions d'euros pour aider les collectivités territoriales
Un amendement déposé le 2 novembre 2023, et voté dans le cadre du projet de loi de finances 2024, permettra "d’allouer un budget supplémentaire de trois millions d’euros aux collectivités territoriales pour les aider à prendre en charge la stérilisation des chats errants et des chats domestiques." Objectif : prendre en charge "près de 20 % des 15 millions de chats domestiques qui ne sont pas stérilisés, soit trois millions de chats. Aussi, trois millions d’euros permettraient de stériliser environ 30 000 chats."
"Enfin, trois millions d'euros divisés par toutes les communes de France, ça fait 85 euros par ville. En fait, on manque d'informations, quelles villes seront concernées, comment ?", questionne Krystel, présidente de Pas de chats sans toit.
L'association, basée à Niort dans les Deux-Sèvres, a signé des conventions qui permettent à Pas de chats sans toit de participer au travail de stérilisation. "Chaque association met en place sa propre convention. Par exemple, nous, on prend en charge les frais liés à l'identification de l'animal, qui est obligatoire depuis 2012", rappelle Krystel. Sur le terrain, elle constate une augmentation du nombre de chats errants. Son association a stérilisé plus de 150 chats en trois ans. En 2022, 76 chats (30 mâles et 46 femelles), sur neuf communes, ont été stérilisés.
"On peut comprendre qu'il n'y ait pas de stérilisation s'il n'y a pas de budget pour ça", décrit-elle. "Il y a quand même une évolution. En 2019, on a contacté des communes pour nouer des conventions, et on a eu beaucoup de refus, alors qu'aujourd'hui, on mène des campagnes."
"On trouvait des chatons dans les égouts, dans les vignes..."
Le lancement de campagnes de stérilisation dépend donc de la bonne volonté des maires et de la mobilisation de certains élus. À Brizambourg, en Charente-Maritime, Sabine Ganteille s'est d'abord heurtée à l'opposition du Conseil municipal où elle siège. "C'est la campagne, donc les chats sont considérés comme des nuisibles qui détruisent la faune. Donc pourquoi dépenser de l'argent pour des animaux ?", expose la conseillère municipale. "Pendant ma première année en tant que conseillère municipale, ce sujet était une évidence pour moi. J'ai été un peu rentre-dedans au départ, ça n'a pas fonctionné."
En 2022, plus de 40 chats errants ont été détectés sur la commune. "Ce n'est pas en sentant isolée comme je l'ai ressenti qu'on réglera le problème. À titre personnel, j'ai la chance d'avoir un maire qui ne veut pas d'animaux malades dans tous les coins", affirme Sabine Ganteille. "On trouvait des chatons dans les égouts, dans les vignes..."
Un couple de chats peut donner une descendance de 20 000 petits en deux ans.
Sandrine GanteilleConseillère municipale à Brizambourg (17)
Une campagne est lancée en 2022 dans la commune, avec un budget de 3 000 euros et une convention signée avec la Fondation 30 Millions d'Amis, qui a pris en charge la totalité des frais d'identification et la moitié des frais de stérilisation. Ces derniers montent à 80 euros pour un mâle et 100 euros pour une femelle."On a ouvert un Algéco, relié à l'eau et à l'électricité, sur un dépôt de la commune. Il y a une chatterie de six mètres carrés, une cage de contention, des jeux..." Pour "trapper", c'est-à-dire piéger les chats, il y a surtout Sabine Ganteille, aidée par une adjointe et deux bénévoles. "C'est très éprouvant à quatre. On a acheté des gants épais pour trapper les chats, on a aussi acheté un climatiseur", énumère-t-elle.
À l'image de Brizambourg, 30 Millions d'Amis aurait passé des conventions avec plus de 2 000 villes en 2022. Ce chiffre aurait dépassé les 2 500 en 2023. Anne Puggioni, directrice du service Chats libres à la Fondation 30 Millions d'Amis, constate que la fondation est "victime de son succès, avec un budget qui a littéralement explosé et des ressources humaines qui augmentent, avec dix salariés à temps plein." Dans son rapport d'activités 2022, 2,3 millions d'euros de frais de stérilisation de chats libres ont été pris en charge par la fondation. Ce budget aurait dépassé les trois millions d'euros en 2023 selon Anne Puggioni.
La Fondation travaille aussi directement avec des associations, quand aucune convention n'est signée avec les mairies. Dans ce cas, des bons de stérilisation sont distribués, et les frais d'identification et de stérilisation sont alors entièrement pris en charge par 30 Millions d'Amis.
Le premier confinement de mars 2020 a constitué un vrai point de bascule pour la prise en charge des chats libres. "Les cliniques ont dû fermer trois mois, au printemps, au moment de l’année où les chats se reproduisent", raconte-t-elle. "Et le changement climatique rallonge ces périodes de chaleur. Les chattes sont plus résistantes, elles mettent bas toute l'année. Aujourd'hui, on trouve des chatons de deux mois au mois de janvier."
Aujourd'hui, on trouve des chatons de deux mois au mois de janvier.
Anne PuggioniDirectrice du service Chats libres à la Fondation 30 Millions d'amis
Les associations et les bénévoles, acteurs centraux sur le terrain
En 2023, la convention entre Brizambourg et 30 Millions d'Amis n'a pas été renouvelé. La petite équipe s'est donc retrouvée à gérer cette problématique sur son temps et ses deniers personnels. "Aujourd'hui, c'est du cas par cas, je reçois des appels à la mairie et sur mon téléphone personnel", raconte la conseillère municipale. "En 2022, nous n'avons pas utilisé le budget en entier, et il faudrait être très nombreux sur le sujet. En mars 2024, je pourrai demander un déblocage exceptionnel de budget en cas de besoin."
Une fois stérilisé, le chat errant devient un chat libre, un statut officiellement créé en 1999, et qui permet aux communes de capturer, stériliser puis relâcher les chats. Et depuis 2015, la fourrière n'est donc plus la seule option pour les animaux capturés. "Et puis, toutes les communes n'ont pas de fourrière", rappelle Anne Goubard de l'association Félins en détresse. "À Saint-Jean-d'Angély, Madame le Maire n'en a rien à faire des chats, elle a signé une convention avec une fourrière en Gironde."
"Malgré l'obligation du code rural, beaucoup de mairies n’ont pas de fourrière. Au-delà du délai légal de huit jours, la mairie peut décider d'euthanasier l'animal, ou alors les associations supportent le coût de prise en charge, soit environ six euros par jour pour un chat", constate Anne Puggioni, directrice du service chats libres à la fondation 30 Millions d'Amis. "Ou alors les fourrières euthanasient au neuvième jour, car il n'y a pas de solutions."
Les associations peuvent aussi se heurter à l'incompréhension, par exemple lorsque les chats, une fois stérilisés, sont réinstallés dans leur milieu de vie, et cela, pour éviter tout risque de recolonisation. "J'ai en tête l'exemple d'une dame, dont la chatte avait donné naissance à des chatons. Une fois stérilisés, on les a remis à cet endroit, mais on nous a dit que c'était trop cher d'acheter des croquettes", déplore Sabine Ganteille.
La gestion des chats libres dépasse en effet le seul sujet de la stérilisation. Chaque mois, Félins en détresse consacre au moins 3 000 euros aux frais vétérinaires, voire entre 5 000 et 6 000 euros aux frais vétérinaires au printemps, quand les chattes donnent naissance à leurs petits. L'association est aussi en recherche de familles d'accueil : "les frais vétérinaires, l'alimentaire, tout augmente et les associations ferment les unes après les autres."
La réponse législative pourrait-elle être la solution ?
En 2020, l'État décide de lancer un grand plan de lutte contre l'abandon des animaux de compagnie. Un de ses leviers : des aides financières versées aux refuges et aux associations pour mener différentes actions, parmi lesquelles des opérations de stérilisation. Au niveau national, l'enveloppe de 29 millions d'euros contribue à financer 101 campagnes de stérilisation sont financées par le plan France Relance. À Niort, Pas de chats sans toit en a bénéficié à partir de 2022, pour une aide totale d'environ 4 000 euros. Sa présidente, Krystel, estime "que cette aide de trois millions d'euros qui vient d'être annoncée, c'est peut-être une façon de continuer France Relance."
Constater que c'est un problème de société, c’est bien, donner de l'argent, c’est bien, mais ça consiste en quoi exactement ?
Anne PuggioniDirectrice du service Chats libres à la fondation 30 Millions d'Amis
Mais le temps presse selon les associations interrogées. "Les gens ne se rendent pas compte qu'il y a trop de chatons par rapport à la demande, donc il y a des abandons", regrette Anne Goubard. "La seule solution, c'est l'obligation de stérilisation et de vaccination. Comme en Belgique, où il faut aussi avoir un permis de détention pour posséder un animal."
La fondation 30 Millions d'Amis attend que "ça évolue sur le plan réglementation, qu'on impose la stérilisation, l'identification, qui n'est pas encore appliquée. Mais comment ? On n’a pas encore la réponse. Une campagne nationale d’identification pourrait être lancée, avec un accompagnement financier de l’État.".
Mais "si la loi rendait la stérilisation obligatoire, ce serait top, mais si c'est comme l'obligation d'identification, et qu'il n'y a pas de sanctions...", laisse entendre Krystel, présidente de Pas de chat sans toit. "D'un autre côté, on ne va pas mettre un policier derrière chaque chat."