Essai clinique illégal à Poitiers : "un vrai scandale" et "une manipulation de patients en détresse"

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a déclaré que l'essai clinique illégal pratiqué à Poitiers sur environ 350 malades de Parkinson et d'Alzheimer était un "vrai scandale". Le neurologue nantais à l'origine de la dénonciation de cet essai parle pour sa part de manipulation de patients en détresse.

L'ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) a interdit hier la poursuite d'un essai clinique qu'elle qualifie de "sauvage" qui était pratiqué à Poitiers en partie à l'Abbaye-Ste-Croix de St-Benoît auprès de plus de 350 malades atteints des maladies de parkinson et d'Alzeihmer. 

"C'est absolument inadmissible, c'est un vrai scandale, je pense qu'il y aura des poursuites pénales, le procureur est saisi", a affirmé Agnès Buzyn.

"La priorité, c'est de connaître l'état de santé de ceux qui y ont participé, de vérifier qu'ils ont repris leur traitement, anti-parkinsonien notamment" a-t-elle ajouté . 

Il était demandé aux patients qui ont participé à cet essai clinique illégal de ne "pas prévenir leur médecin".

"Ces personnes ont été victimes de fausses informations", a ajouté la ministre, en soulignant que "quand on est malade, la vulnérabilité fait qu'on est beaucoup plus sensible" aux discours promettant un "traitement miracle".

"Une enquête est en cours" pour "analyser les produits administrés", a-t-elle conclu.


Manipulation de personnes en détresse et arrêt dangereux des traitements

Ces propos rejoignent ceux tenus par le Professeur Philippe Damier, neurologue au CHU de Nantes. Il a été le premier a alerté l'ANSM sur cette affaire au mois d'avril dernier après avoir été mis au courant des travaux menés par les Pr Joyeux et Fourtillan à Poitiers.
Le Pr Damier explique qu'il avait déjà été alerté dès 2016 "par une lettre écrite par le Pr joyeux où il parlait d'une découverte formidable faite par le Pr Fourtillan de Poitiers qui est pharmacologue concernant les hormones qui règlent la fonction de veille-sommeil". Dans un texte de réponse le Pr Damier avait alors émit l'hypothèse de l'annonce prochaine d'une proposition de traitement basé sur cette découverte. C'est bien ce qui s'est passé.

Fin 2018, on a eu des informations provenant de patients qui nous signalement pouvoir participer à un essai thérapeutique à condition de faire un don à une fondation, le Fonds Josefa, géré par les professeurs Joyeux et Fourtillan.
- Pr Damier, neurologue au CHU de Nantes

Mais la vraie alerte est venue d'une collègue à qui un patient avait dit qu'on lui avait proposé de participer à un essai mais qu'il ne devait pas révéler son identité sous peine d'être exclu.
- Pr Damier, neurologue au CHU de Nantes

 
Pr Philippe Damier, neurologue et membre du Comité scientifique de l'association France Parkinson

"Il y avait vraiment de la manipulation de patients en détresse" affirme le professeur Philippe Damier, président du Comité scientifique de France Parkinson. 

Après avoir reçu ce signalement, le neurologue a interrogé l'ANSM, or celle-ci lui a confirmé "qu'il n'y avait aucun essai thérapeutique déclaré en cours".

"J'ai eu le surprise de voir que l'essai n'était pas déclaré donc on a alerté pour dire qu'un essai démarrait sans suivre les règles" explique le neurologue du CHU de Nantes.

"L'enquête sur place a découvert qu'il y avait des patents qui se prêtaient à des prélèvements et tout ça était fait dans une abbaye en plus qui n'est pas un site réglementaire pour faire de la recherche clinique avec un essai thérapeutique non autorisé".


Le Pr Philippe Damier indique que le traitement administré ne lui semble pas dangereux puisqu'il est basé sur des hormones fabriquées naturellement par le cerveau mais pour lui le plus dangereux "c'est de demander d'arrêter un traitement anti-parkinsonien de façon non contrôlée. Cela peut avoir des conséquences graves". 

La valentonine n'est pas autorisée comme médicament

Cet essai de traitement thérapeutique illégal était réalisé en partie à l'Abbaye Ste-Croix de St-Benoît près de Poitiers. Il était mené par une structure baptisée Fonds Josefa, dont le vice-président est le Pr Henri Joyeux, contesté par la communauté médicale notamment à cause de ses positions anti-vaccins. Le Fonds Josefa est présidé par le Pr Jean-Bernard Fourtillan, pharmacologue à Poitiers qui a fondé en 2017 à Poitiers la Sodeval (sociéte d'exploitation de la valentonine). La valentonine est l'une des molécules avec laquelle les malades suivant l'essai était traités. L'expérimentation menée illégalement consistait à appliquer aux patients des patchs contenant deux molécules aux "effets inconnus" selon l'ANSM, appelées valentonine et 6-méthoxy-harmalan. 

On sait peu de chose sur cette molécule mais on sait qu'elle n'est pas autorisée comme médicament.
- Bernard Celli, directeur de l'inspection à l'ANSM

Pour remonter la chaîne de cet essai clinique pratiqué illégalement, l'ANSM a mené du 3 au 5 septembre dernier une inspection dans un laboratoire situé en Loire-Atlantique, près de St-Nazaire qui a traité les prélèvements sanguins effectués sur les personnes suivies à Poitiers. Ces prélèvements sanguins servaient à doser le pourcentage dans le sang des molécules dérivées de la mélatonine administrées aux patients à l'aide de patchs, la valentonine et 6-méthoxy-harmalan.
Bernard Celli, le directeur de l'inspection à l'ANSM, explique qu'ils ont pu ensuite remonter jusqu'à l'abbaye où était accueillie pour une nuit les personnes participant à ce programme et prendre la décision d'interdire cet essai.

"Nous leur demandons de ne plus utiliser ces patchs et de se rapprocher de leur médecin traitant" affirme-t-il aujourd'hui.

Interview réalisé par France Télévisions


Seulement "une étude scientifique" et pas un "essai clinique"

Interrogé aujourd'hui à Montpellier, le Pr Henri Joyeux prend le contrepied des accusations portées par l'ANSM et explique que les travaux qu'il a mené avec le Pr Jean-Bernard Fourtillan n'ont rien à voir avec un "essai clinique" et affirme qu'il ne s'agit que "d'une étude scientifique".
Il ajoute que le patch utilisé peut en renvanche devenir à l'avenir un médicament. pour lui, l'expérimentation menée à Poitiers n'était qu'une étape dans un processus qui pourrait aboutir à l'autorisation de mise sur le marché.
Le pôle Santé du parquet de Paris a été saisi de cette affaire. L'instigateur de cet "essai clinique sauvage" risque 15.000 euros d'amende et d'un an de prison sans compter les éventuelles peines du code pénal.
 
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