"Et si désobéir était reconnu d'intérêt général ?" La préfecture n'apprécie pas et demande de retirer les subventions publiques à Alternatiba Poitiers

Un atelier de "formation à la désobéissance civile". C'est ce qui a déclenché la colère du préfet de la Vienne qui a sommé la Ville de Poitiers et Grand Poitiers de retirer leurs subventions à Alternatiba, l'association organisatrice du "Village des Alternatives". Une demande pas réellement entendue par la maire Léonore Moncond'huy qui pointe un excès de zèle afin de remettre en question la légitimité de l'association.

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"C’est une conception de la République qui s’effrite, et qui doit être défendue." C’est par ces mots que la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, a répondu à Jean-Marie Girier, le préfet de la Vienne. Le 15 septembre, par courrier, le préfet sommait la Ville de Poitiers et Grand Poitiers de retirer leurs subventions à l’association Alternatiba qui, selon ses mots, prévoyait des événements "incompatibles avec le contrat d’engagement républicain".

L'atelier de la discorde

Le Parc du Triangle d’Or, à Poitiers, accueille le 17 et 18 septembre 2022, le "Village des Alternatives", organisé par l’association Alternatiba Poitiers. Un événement qui a pour objectif de "présenter des solutions alternatives locales permettant de lutter contre toutes les pratiques collectives et individuelles qui, d’une manière ou d’une autre, à des degrés variables, sont nuisibles à l'humain, à son milieu sanitaire, social ou environnemental et, notamment, au climat." Au programme de la manifestation "festive et familiale" : ateliers, conférences et tables rondes pour réfléchir aux réponses à apporter à l’urgence climatique et sociale avec plus de 140 associations, entreprises, institutions et citoyens.

Seulement, la programmation de l’événement n’a pas forcément plu à la préfecture. Notamment un atelier intitulé "Formation à la désobéissance civile" organisé par Alternatiba en compagnie du mouvement Extinction Rebellion et de l’association Greenpeace. Pour le préfet, l’atelier contrevient au contrat d’engagement républicain, par lequel les associations s’engagent à respecter les principes républicains depuis janvier 2022 et son instauration par le gouvernement.

Par ce contrat, les associations sont tenues de ne pas "entreprendre ni inciter aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public" mais également à "ne pas provoquer à la haine ou la violence envers quiconque". Des points déterminants que le préfet Jean-Marie Girier s’est attaché à rappeler dans son courrier. Considérant que l’association ne les respectait pas avec cet atelier, il a demandé aux institutions la finançant (Grand Poitiers et la Ville de Poitiers) de retirer leurs subventions à hauteur de 15.000 euros au total.

"Un des aspects les plus importants de la liberté d’expression"

Au cœur de la polémique, l’association Alternatiba Poitiers a répondu le 16 septembre en précisant tout d’abord ce qu’était un atelier sur la désobéissance civile. "C’est un temps de formation à la non-violence. [La désobéissance civile] permet de mettre en pratique les valeurs qui nous sont chères (respect de l’autre, bienveillance, entraide…). Elle n’est donc pas une atteinte à l’ordre public, mais bien au contraire une manière non-violente d’exprimer les raisons qui nous poussent à manifester", décrit Alternatiba dans son communiqué. 

L’association rappelle également que la désobéissance civile "constitue un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’expression" ce qu’a "affirmé à plusieurs reprises" la Cour européenne des droits de l’homme, toujours selon l’association.

Par la même occasion, Alternatiba répète que son "Village des Alternatives" vise à mettre en avant des moyens de limiter la consommation de CO2 et à montrer la voie dans la lutte contre le réchauffement climatique. "On en attendrait autant de l’État, qui pourtant ne respecte pas les Accords de Paris et a été condamné à deux reprises pour inaction climatique", rétorque l’association.

Une loi pour museler les associations ?

De son côté, la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy ne compte pas vraiment accéder à la demande de la préfecture et retirer les subventions accordées à Alternatiba. L’édile y voit même la preuve que le contrat d’engagement républicain, auquel sont désormais soumises les associations, est une manière pour le gouvernement d’entraver les actions le dérangeant. "Cette loi est aujourd’hui utilisée pour contester la légitimité de l’association Alternatiba à poser la question de la désobéissance civile dans l’espace public", dénonce Léonore Moncond’huy.

Une crainte vivement partagée par de nombreuses associations et partis politiques au moment de l’entrée en vigueur de la loi et du décret relatif. En mars dernier, Laura Monnier, juriste de Greenpeace, pointait déjà les risques de dérive de ce contrat d’engagement républicain auprès de Libération : "Certaines actions d’associations comme Greenpeace sont par définition illégales. Or, les associations risquent désormais de se voir retirer leur agrément en cas de risque d’atteinte à l’ordre public ou d’actions de désobéissance. Ce décret dans son ensemble est liberticide. Cette loi fait peser une véritable menace sur nos activités, et c’est très inquiétant pour l’avenir."

Le préfet prêt à aller jusqu'au tribunal administratif

Hasard du calendrier ou non, le matin même du 16 septembre et de la publication de la réponse de Léonore Moncond’huy, le préfet et la maire de Poitiers se retrouvaient pour accueillir la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau ainsi que la ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq.

Un climat particulier pour une visite conjointe de l’Université. Léonore Moncond’huy n’a pas voulu s’étendre plus que cela sur le sujet. "Je propose qu’on laisse le festival se passer dans de bonnes conditions et qu’on invite chacun et chacune à venir constater par lui-même que ça se passe bien", glisse à France 3 la maire de Poitiers, sourire en coin.

Interrogé également, le représentant des services de l’État, Jean-Marie Girier a détaillé sa démarche. "J’ai considéré qu’il n’était pas légal qu’une collectivité avec de l’argent public puisse financer une incitation à l’illégalité, en l’occurrence le financement d’un événement dans lequel il y a des ateliers de désobéissance civile", explique-t-il. Si le "Village des Alternatives" devrait bel et bien se tenir ce week-end, le préfet n’écarte lui pas la possibilité de porter l’affaire devant le tribunal administratif.

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