"Il faut arrêter le massacre" : victimes de violences, trois maires portent plainte dans la Vienne

Alors que le 105ᵉ congrès de l'Association des maires de France débute ce lundi 20 novembre 2023, dans la Vienne, trois maires ont porté plainte après avoir été victimes de violences. Depuis le début de l'année, 24 procédures judiciaires impliquent des élus en tant que victimes dans le département, selon les services de l'État.

"Dimanche à 19 h, une maison a brûlé en plein coeur du village. Et bien, on y va. Quand on est maire, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Ça force à se relever rapidement", raconte Christophe Viaud. Le maire de Verrières (86) est encore éprouvé par l'agression qu'il a subie ce vendredi 17 novembre 2023. Un premier rendez-vous avait été organisé avec un agent des services techniques, mais avait dû être reporté. Christophe Viaud s'était donc rendu directement aux ateliers municipaux pour lui faire part de la nouvelle date de convocation en mairie : "Il a explosé de colère, il m'a insulté et menacé en me disant "Barre-toi, je vais te casser la gueule."

Le mis en cause a été placé sous contrôle judiciaire, dimanche 19 novembre 2023, jusqu'à sa comparution devant le tribunal correctionnel le 8 mars 2024. Il encourt une peine de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende. Il est également interdit de paraître sur la commune et d'entrer en contact avec l'élu.

Un contexte très tendu depuis le début du mois de novembre 2023

Le maire de Verrières n'est pas le seul maire de la Vienne à avoir été agressé. En une semaine, trois maires du département ont subi des violences. Ce samedi 18 novembre 2023, Dominique Brunet, maire de Saint-Clair, a reçu des coups de la part d'un homme qui avait franchi un feu tricolore pédagogique. Selon le parquet de Poitiers, l’automobiliste, qui a ensuite pris la fuite, aurait alors assené un coup de poing au maire, le blessant à l’œil. Une enquête est toujours en cours pour identifier l'auteur des faits.

Bernard Blanchet, premier édile de Montmorillon, a quant à lui été insulté sur les réseaux sociaux en début de mois. Le 16 octobre 2023, un homme a déclaré, dans une vidéo postée sur un réseau social, que le maire de Montmorillon ‘’aime bien défendre le camp des nazis’’. L'enquête est toujours en cours.

En Poitou-Charentes, le contexte est en fait très tendu depuis le début du mois de novembre. Le directeur général des services de la ville de Vouillé avait déjà été agressé au début du mois. Son agresseur a été condamné le 9 novembre 2023, pour "violences aux abords d'un établissement scolaire", à une peine de 3 000 euros d'amende (dont 2 600 euros avec sursis), une obligation de stage de citoyenneté et une interdiction de contact avec la victime pendant un an.

À lire aussi : L'agresseur du maire de L'Houmeau condamné à un an de prison avec sursis

À la fin de l'été 2023, dans un autre département de la région Poitou-Charentes, le maire de l'Houmeau avait été agressé après avoir voulu empêcher un groupe de gens du voyage de s'installer sur sa commune. Jean-Luc Algay avait subi six jours d'incapacité totale de travail et deux côtes fracturées.

24 procédures judiciaires ouvertes depuis janvier 2023

La cinquième enquête de l'observatoire de la démocratie de proximité fait état d'une "explosion des violences". 69 % des maires déclarent avoir été victimes de violences. 15 % des premiers édiles affirment ressentir un sentiment d'insécurité, contre 11 % dans la population générale française. L'enquête précise que "selon les données du ministère de l’Intérieur, les agressions contre les élus, essentiellement les maires, ont augmenté de 32 % entre 2021 et 2022 (soit 2265 plaintes et signalements). Les premières indications pour l’année 2023 suggèrent de nouveau une hausse de 15 % des violences envers les élus locaux."

Au 20 novembre 2023, 24 procédures judiciaires impliquent des élus en tant que victimes dans le département de la Vienne. En 2022, on en dénombrait 22.

"Il faudrait reconnaître le travail des élus", revendique Christophe Viaud. "Le maire n'a pas de répit, et ma famille subit aussi. Je n'ai pas vu ma femme et mes enfants ce week-end, et j'ai aussi un métier. On n'est pas là pour se faire féliciter, mais il faut un peu plus de reconnaissance."

Le maire se dit fier des projets portés sur sa commune de 1 000 habitants et des services de proximité apportés à la population. "C'est un combat que je dois mener. Je ne peux pas imaginer me battre pour autre chose. On ne sait pas à quoi s'attendre, mais on est attendu", explique-t-il.

Il faut mettre en place un état d'urgence, un système puissant et efficace.

Alain Pichon

Président du Conseil départemental de la Vienne

Alain Pichon, président du conseil départemental de la Vienne, condamne vivement ces violences sur les réseaux sociaux. Il s'apprête à écrire au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à ce sujet. "Des lois ont été votées, et c'est très bien, mais les résultats ne sont pas là", déplore Alain Pichon. "Il faut arrêter le massacre, il faut de l'exemplarité pour les agresseurs. Les lois n'arrivent pas à réguler l'agressivité de quelques-uns."

Renforcer l'arsenal des sanctions

Celui qui est aussi conseiller municipal note une évolution des pratiques : "Avant, les maires, pour qui leur fonction est un sacerdoce, ne déposaient pas plainte. Mais aujourd'hui, il faut une tolérance zéro et déposer plainte." Alain Pichon réclame donc un renforcement des sanctions.

Une demande partagée par Marie-Jeanne Bellamy, présidente de l'Association des maires de la Vienne. "Il y a eu des changements. Quand des plaintes sont déposées, elles sont prises en charge rapidement. Mais il faudrait des sanctions encore plus fortes. Sur le sujet des amendes, les personnes peuvent aussi ne pas être solvables." Pour la maire des Trois-Moutiers (86), il faudrait "revoir tout à la base, avec l'Éducation nationale et les parents, pour faire prendre conscience que l'agressivité et la violence ne peuvent pas être des réponses."

Où va-t-on ? Mais où va-t-on ?

Marie-Jeanne Bellamy

Présidente de l'Association des maires de la Vienne

Au 105ᵉ congrès de l'Association des maires de France, qui s'ouvre ce lundi 20 novembre, une conférence intitulée "Violences faites aux élus, au-delà des mots, l'urgence d'une réponse efficace", est prévue. Marie-Jeanne Bellamy prévoit de porter dans le cadre du congrès une "demande ferme. On ne devrait pas avoir ce genre de débats, mais nous sommes dans un contexte d'insécurité et d'incivilité."

Au Sénat, une proposition de loi a été adoptée en ce sens et un rapport publié en octobre 2023. Dans ce dernier, est souligné un "accompagnement insuffisant" des services de l'État. Les élus locaux bénéficient d’un régime de protection qui s’apparente à la « protection fonctionnelle » des agents publics. Les sénateurs proposent "un alignement des peines sur le régime existant pour certains dépositaires de l'autorité publique (article 1er) et, d'autre part, l'institution d'une peine de travail d'intérêt général en cas d'injure publique à l'encontre des élus locaux ou personnes dépositaires de l'autorité publique et d'une nouvelle circonstance aggravante en cas de harcèlement des élus locaux (article 2)."

Les peines encourues seraient alors de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si les violences ont entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours. Les sanctions atteindraient sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende si l'incapacité de travail dépasse huit jours.

Quel avenir pour la fonction de maire ?

Ce sentiment "d'insécurité et de surexposition face aux comportements des administrés" peut d'ailleurs contribuer aux démissions des maires, à hauteur de 10,7 % des élus interrogés dans le cadre de l'enquête Cevipof.

Le risque, c'est une hémorragie aux élections municipales de 2026.

Alain Pichon

Président du département de la Vienne

"La sociologie évolue dans un sens qui n'est pas très porteur pour les gens qui s'engagent", regrette Alain Pichon, président du département de la Vienne. "Il y a un désintérêt de la population pour la chose publique, c'est très déstabilisant."

Mais pour le maire de Verrières (86), la démission n'est pas une question. "Nous sommes déjà à mi-mandat, mais nous ne sommes qu'à mi-mandat. Ce serait trop facile que ces actes de violences nous mettent à terre. Ce mandat, qui a commencé pendant la crise Covid, est différent des autres, mais avec les agents, nous avons une feuille de route, nous n'avons pas le temps de nous arrêter", déclare Christophe Viaud.

"Tout n'est pas tout noir sur la commune, qui est attractive et accueillante", conclut-il, déjà tourné vers les futurs projets de sa ville. "J'ai été très soutenu par les différents élus du territoire, et ça m'a fait du bien de ne pas être seul dans mon coin avec mon problème.

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