La pollution de l'eau du robinet au chlorothalonil est à l'origine d'une "crise sanitaire" d'une "ampleur inédite". Si la préfecture autorise les producteurs d'eau potable à distribuer une eau "non optimale", Grand Poitiers appelle le préfet à interdire l'usage des produits phytosanitaires dans les zones d'alimentation des captages prioritaires et demande à l'agence de l'eau Loire-Bretagne de réorienter massivement les crédits vers la préservation de la qualité de l'eau.
C'est un appel à l'aide inédit. Dans un courrier adressé au préfet de la Vienne, Jean-Marie Girier, Florence Jardin, présidente de Grand Poitiers, demande "un soutien complémentaire" pour faire face aux conséquences sur l'eau potable de la pollution des sols au chlorothalonil R471811, un résidu de produit phytosanitaire à effet fongicide utilisé dans l'agriculture depuis 1970, mais interdit depuis mai 2020.
La préfecture de la Vienne vient de délivrer, le 11 septembre dernier, une dérogation à Grand Poitiers et au syndicat Eaux de Vienne pour délivrer une eau dite "non optimale", dépassant la norme de qualité, mais néanmoins "potable". Les deux producteurs d'eau potable se disent démunis face à l'absence de solution pour filtrer efficacement ces résidus.
C'est la première fois que l'on dépasse sur une molécule et ce n'est pas une bonne nouvelle.
Laurent LucaudVice-président de Grand Poitiers en charge de l'eau
Grand Poitiers est ainsi autorisé par dérogation à distribuer une eau au robinet avec des teneurs en R471811, le principal produit de dégradation (ou métabolite) de chlorothalonil, de 0,9 microgramme par litre (µg/l). La norme de qualité fixée à 0,1 µg/l est dépassée, mais pas la limite sanitaire de 3 µg/l au-delà de laquelle l'eau n'est plus potable.
"Nous n'avions jusque-là jamais connu de dépassement de limite sur une molécule, lance Laurent Lucaud, vice-président de Grand Poitiers en charge de l'eau. Avec la présence de métabolites de chlorothalonil détectés depuis le printemps, "c'est la première fois que ça arrive et ce n'est pas une bonne nouvelle".
Sur le territoire des 13 communes de l'agglomération poitevine, "cinq des sept sites de productions sont contaminés en métabolites de chlorothalonil", poursuit Laurent Lucaud. Seules les ressources en eau "plus profondes sont protégées, par exemple par une épaisse couche d'argile, comme sous la forêt de Moulière", située à l'est de Poitiers.
On est dans des valeurs modérées par rapport à la valeur sanitaire de 3 µg/l.
Céline LelardResponsable de la production d'eau
Pour l'instant, Grand Poitiers indique que les teneurs en chlorothalonil R471811 relevées après traitement varient, selon les unités de distribution, de 0,14 µg/l à 0,29 µg/l, en dessous de la nouvelle norme autorisée par dérogation.
"On est dans des valeurs modérées par rapport à la valeur sanitaire de 3 µg/l, explique Céline Lelard, responsable de la production d'eau.
Rétablir la qualité de l'eau
Ailleurs dans le département, le syndicat Eaux de Vienne est tenu de respecter plusieurs seuils intermédiaires, "proches des concentrations effectivement observées". Elle est de 0,9 µg/l sur l'essentiel du territoire, "à l'exception des unités de distribution de Vendeuvre 1 Roche-Verger et de Mirebeau" où la limite s'établit à "1,5 µg/l" et de "l'unité de distribution de Cuhon/Massognes" où la limite s'établit à "2,5 µg/l".
Grand Poitiers note néanmoins que l'arrêté préfectoral lui "demande de rétablir la qualité de l'eau". Si l'agglomération s'est engagée depuis les années 2000 dans la démarche Re-Sources pour la reconquête de la qualité de son eau potable, elle note que "les résultats attendus ne sont pas à la hauteur" et que "les changements de pratiques ne sont pas enclenchés".
Il n’existe aujourd’hui aucune solution satisfaisante et économiquement viable pour traiter durablement ce métabolite du chlorothalonil.
Rémy CoopmanPrésident du syndicat Eaux de Vienne
Qui doit payer pour dépolluer ?
L'agglomération tire donc la sonnette d'alarme et demande au préfet de la Vienne "d'interdire l'usage des produits phytosanitaires dans les aires d'alimentation des captages prioritaires" pour éviter toutes nouvelles pollutions des sols.
Elle demande également à l'agence de l'eau Loire-Bretagne "de réorienter massivement les crédits vers la préservation de la qualité de l'eau et l'accompagnement des agriculteurs ainsi que celui des producteurs d'eau potable".
De son côté, le syndicat Eaux de Vienne, après le coup de gueule de son président, il y a deux semaines, rappelle qu'il "n’existe aujourd’hui aucune solution satisfaisante et économiquement viable pour traiter durablement ce métabolite du chlorothalonil".
Les deux producteurs d'eau potable interpellent donc l'État : qui doit payer pour traiter cette pollution que les producteurs d'eau n'ont pas causée ? Quelle eau veut-on demain pour notre département ?
"Il est hors de question que nos abonnés soient victimes deux fois : consommer une eau de qualité qui n'est pas optimale tout en supportant la potentielle future charge financière du traitement de l'eau", conclut Eaux de Vienne.
Les coûts supplémentaires pour traiter la pollution au chlorothalonil pourraient, selon les deux producteurs d'eau, se chiffrer en millions d'euros chaque année.
(Mise à jour, le 27 septembre à 19h)