Dans le Poitou, comme à Orly, le nombre d'interpellations de personnes transportant de la cocaïne serait en chute libre depuis quelques mois, selon les autorités. Mais ces chiffres, encourageants en apparence, ne signent pas la fin de la route de la drogue entre la Guyane et la métropole.
Il y en pour plus de 48 000 euros à la revente. Bien plus, si ses destinataires planifiaient de la couper. En tout, 800 grammes de cocaïne répartis dans des "ovules", de petits paquets de la taille d'une saucisse cocktail, termosoudés dans une enveloppe en plastique recouverte de cellophane. La marchandise a été retrouvée dans l'estomac d'un passeur, arrêté au début de l'année par la police judiciaire de Poitiers.
Depuis janvier, l'homme est l'unique "mule" interpellée sur la route de la drogue reliant les confins de la Guyane au Poitou. En 2022, la moisson des enquêteurs de la PJ était bien plus impressionnante : 18 transporteurs et 15 kilos de cocaïne sur une année.
Cela signifie-t-il que le trafic se serait tari ? "On a très peu de recul", tempère Anthony De Freitas Meira, directeur territorial de la police judiciaire de Limoges. "On a eu des arrivées massives avec la reprise du trafic aérien après le Covid." En 2022, les douanes de Nouvelle-Aquitaine ont enregistré un record historique avec 709 kilos de cocaïne saisis, +2669% par rapport à l'année passée. "Alors aurait-on maintenant un ralentissement logique ou assisterait-on au développement d’autres routes ?" s'interroge le policier.
De l'autre côté de l'océan Atlantique, en Guyane, le procureur de Cayenne en est persuadé : "Les aéroports parisiens nous disent que le nombre de « mules » qui arrivent à Orly en provenance de Cayenne est en très forte diminution. On a même eu des semaines sans « mule » contrôlée à l’arrivée en métropole", se félicite Yves Le Clair au micro de Guyane la Première.
Un voyage au péril de leur vie
A en croire le magistrat, la systématisation des contrôles à l'aéroport Félix Eboué de Cayenne aurait conduit les trafiquants à emprunter d'autres routes : "Les Brésiliens nous signalent un surcroit de mules, de même à Saint-Domingue et dans les Antilles", affirme-t-il.
Une tonne de cocaïne a été interceptée par les douanes guyanaises, dont 80% à l'aéroport Félix Eboué, indique les autorités. Aux contrôles systématiques des bagages s'ajoute un scanner corporel, capable de repérer d'éventuels paquets scotchés sur le corps.
Seulement, l'appareil ne permet pas de vérifier si les passagers ont pu ingérer de la drogue avant de tenter d'embarquer. De telles machines sont au droit européen, car jugées trop intrusives.
De fait, les "mules" seraient de plus en plus nombreuses à prendre le risque d'avaler la marchandise pour l'expulser une fois arrivées à la métropole.
Selon les informations du Parisien, "près de la moitié" des personnes transportant de la cocaïne arrêtées dans les aéroports d'Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle avait ingéré la drogue, contre 30 % l'an passé. Un voyage au péril de leur vie en échange de quelques milliers d'euros.
Le trafic "banalisé" en Guyane
Malgré les risques, ce ne sont pas les candidats au départ qui manquent. Se destiner à servir de "mule" pour les trafiquants ne serait même pas tabou dans les communautés les plus déshéritées de l'Ouest guyanais : "C'est banalisé. On en parle très facilement, ce n'est pas un obstacle pour celui qui veut y aller", témoigne, dans une étude mandatée par le ministère l'Education nationale, un reponsable de la Maison des adolescents de Saint-Laurent-Maroni. Pour les jeunes de cette ville frontière entre la Guyane et le Suriname, devenue le viviers des réseaux de trafiquants, le trafic est "une entreprise comme une autre, certes illégale mais il y en a plein d'autres", conclut le travailleur social.
"C'est absolument impossible qu'un simple scanner et quelques contrôles puissent régler le problème", déplore une avocate, habituée à défendre ces "mules".
"Le véritable baromètre, c'est la rue", acquiesce l'avocat poitevin Lee Takhedmit, qui a assuré la défense de trafiquants du quartier du Clou-Bouchet, réputé pour être l'un des plus importants points de deal de Niort. "De la cocaïne, il y en a de partout. A Niort et même à Bressuire ou Partenay", constate-il. "N'importe qui peut s'acheter un kilo, tant qu'il a 25 000 euros cash. A la revente, il va en tirer 60 ou 70 000 euros, donc plus 40 000 de bénéfices. Même vendu sur un an, ça lui fait un bon salaire au type... Alors ça n'est pas la répression qui va l'empêcher."
En deux décennies, le nombre de consommateurs de cocaïne n’a, lui, cessé de progresser : 1,6% des 18-64 ans déclaraient en avoir pris dans l'année en 2017, dernières données disponibles. Ils n'étaient que 0,3% à le faire en 2000.