Le monde agricole est de nouveau en ébullition. Les manifestations s'enchaînent partout en France et aussi en Poitou-Charentes. Certains paysans ont fait le choix de rester dans leurs champs. Par obligation ou par conviction. Témoignages.
Le matin, il a fallu semer le blé. L’après-midi, s'occuper des tournesols avant que la pluie ne revienne dans l’espoir d’arriver à les récolter. Sébastien Berger court. Pour compenser au maximum toutes les calamités qui tombent sur le monde agricole. « Je n’ai pas pu ensemencer tout ce que j’ai voulu. J’ai 20 hectares de sorgho encore debout dans les champs que je dois récolter, le tournesol est en train de pourrir. Et nous avons pris du retard dans les semis. »
Alors, aller manifester ? Ce n’est pas l’envie qui lui manque, lui, l’ancien responsable de la FNSEA de la Vienne. Mais vraiment…Pas le temps ! Ce céréalier installé près de Loudun dans le nord de la Vienne ne peut pas quitter son tracteur.
Les 7 plaies d'Égypte
Pourtant, lui aussi a le moral dans les chaussettes. « En 25 ans, je n’ai pas eu de report de crédit, mais cette année, on y va », confie-t-il, un brin désabusé.
La météo pluvieuse a abîmé la terre, les sangliers ont fait la fête dans la parcelle de sorgho, les prix d’achat ne sont toujours pas calculés en fonction des coûts de production. Et le traité Mercosur qui se rajoute. C’est l’accumulation de toutes ces difficultés qui rend son travail si compliqué. « Au début, avec seulement 100 hectares de terre, j’arrivais à me tirer un SMIC. Aujourd’hui, avec 240 hectares, je touche moins que le SMIC. »
La fronde agricole qui se réveille quelques mois après, il la suit de près et dès qu’il pourra, il ira rejoindre ses collègues sur les manifestations. Mais pour le moment, priorité au tournesol qui a souffert de la pluie et dont les rendements seront décevants.
Sécateur en main, Philippe Riché, aussi, est très occupé. Ce viticulteur de Charente-Maritime est en pleine taille de la vigne. La tâche indispensable pour que la plante puisse repartir au printemps. Mais lui, ce n’est pas le travail qui le retient. Ce sont ses convictions.
« Je ne suis pas en train de manifester aujourd’hui, car on sait que ces gens-là, depuis 30-40 ans, sont responsables de la situation agricole, du marasme, de la tristesse et du désarroi que l’on connaît, en complicité avec l’industrie agroalimentaire et la bénédiction des gouvernements qui se sont succédé jusqu’à maintenant. Moi, je suis un petit viticulteur avec 12 hectares et demi de vigne, je ne me reconnais pas dans le syndicat de la FNSEA. Et il y a tous les autres syndicats agricoles, on sait pourquoi ils manifestent aujourd’hui ! »
Liberté de parole
Philippe Riché a la dent dure contre ses collègues. « Ils font beaucoup d’esbroufe et de spectacle agricole en vue des élections des chambres d’agriculture au mois de janvier 2025. Et voilà pourquoi ils manifestent à cette époque. On les verra au moment du Salon de l’agriculture et après, on n’entendra plus parler de personne ! »
Bonnet noir sur la tête, lunettes de soleil sur le visage, l’homme, attachant par sa liberté de parole, a l’esprit contestataire. « Les paysans vont continuer de crever sur leurs exploitations et ces gens-là ne sont pas là pour les défendre, ils sont là pour défendre leur boutique syndicale ! »
Contre les accords de libre-échange
Il a fait partie d’une organisation syndicale avant de la quitter pour s’investir dans des associations comme le SAMU social agricole national ou encore le Rassemblement du peuple souverain. « Le Mercosur ? Mais ce n’est pas nouveau !! Mais il faut sortir de tous ces carcans libéraux ! » Philippe Riché voudrait tout envoyer promener : les accords de libre-échange, l’OMS, tout ce qui se rapporte au libéralisme économique.
Mais le viticulteur déplore tout autant ce qui détruit le monde agricole aujourd’hui : « Le paysan n’est pas considéré comme un chef d’entreprise. Tout chef d’entreprise fixe ses prix et fait ses factures. Dans la profession agricole, ce sont les acheteurs. Moi, c’est ma distillerie qui fixe les prix à ma place et c’est pour cela qu’il y a autant de suicides dans les agriculteurs, car il y a un manque de revenu. »
"Le problème, ce sont nos acheteurs !"
Philippe Riché a repris l’exploitation de ses parents et de ses grands-parents il y a 30 ans. Aujourd’hui, il gagne à peine 500 euros par mois. « La situation n’a cessé de se dégrader, rien ne bouge. Mais ce n’est pas en arrachant ou en bâchant des panneaux ou en déversant des pneus ou du fumier devant les préfectures que cela changera ! Le problème, ce sont nos acheteurs ! Ce sont ceux-là, les voyous ! »
Alors comment va-t-il ? L’homme ne répond pas directement. Il est combatif. Mais c’est le jour où il aura droit d’établir ses propres factures que oui, il estimera que les choses vont bien. « Tous les copains iront bien aussi et tout le monde tout autour. Car on créera de l’emploi autour de nous. Quel que soit le milieu auquel vous appartenez, c’est la nourriture la priorité. Et en France, nous avons tout ce qu’il faut pour nourrir l’être humain. Nous avons tout pour aller bien. Donc pourquoi avoir des produits qui viennent de l’étranger ? »