Le 13 février, le préfet de la Vienne a demandé le retrait d'une œuvre d'art de l'artiste Les Moutons, affichée depuis plusieurs mois à la médiathèque de Poitiers, arguant qu'elle comporte une allusion aux Soulèvements de la Terre. Décrochée en fin de semaine, elle a été raccrochée ce mardi, au nom de la liberté de création.
Un mouton ailé, surplombant l'inscription "SOULÈVE TOI". Sous le "I", trois petits traits horizontaux forment le logo des Soulèvements de la terre, ⏚ (et symbole "terre" en électricité).
Ce dessin de l'artiste Les Moutons, bien connu des Poitevins et Poitevines, trônait en vitrine de la médiathèque François-Mitterrand depuis plusieurs mois. Il avait été réalisé à l'occasion de la biennale de cet établissement culturel, en septembre 2023, soit quelques semaines après les événements de Sainte-Soline, et en plein débat sur la possible dissolution des Soulèvements de la Terre.
Principe de neutralité du service public
Dans un courrier adressé le 13 février dernier à la présidente de Grand Poitiers, le préfet de la Vienne a demandé "le retrait de cette affiche dans les plus brefs délais", en raison de cette allusion aux Soulèvements de la Terre.
Il rappelle qu'il s'agit d'un "groupement de fait, dont le Conseil d'État considère qu'il est notamment identifiable au travers de son logo", et qu'il "s'inscrit dans le cadre d'une mouvance écologiste radicale ayant provoqué des agissements violents." Il rappelle dans cette lettre le principe de neutralité du service public auquel est soumise la médiathèque de Poitiers, et souligne que "ce principe s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes de revendication d'opinion politiques, religieuses ou philosophiques."
C'est donc cet argument qui motive Jean-Marie Girier à demander le retrait du dessin : "Il apparaît que l'apposition sur la médiathèque communautaire de l'affiche d'un groupement s'inscrivant dans la mouvance écologiste radicale et ayant fait la promotion d'agissements violents contre les biens est une atteinte au principe de neutralité du service public", conclut-il.
Censure ou malentendu ?
Rapidement après cette demande, les services de Grand Poitiers ont procédé au décrochage de l'œuvre. La CGT des agents territoriaux de l'agglomération s'insurge contre cette décision : "On est sincèrement hyper inquiets, nos collègues sont choqués", déclare Vincent Bohan, leur secrétaire général. "On a vraiment l'impression que l'État censure le culturel."
C'est un glissement assez dangereux sur la liberté de création essentielle à nos yeux.
Charles Reverchon-BillotAdjoint à la Ville de Poitiers
Il rappelle que plusieurs créations de l'artiste Les Moutons sont proposées dans l'artothèque de la médiathèque : avec ce système, les abonnés peuvent emprunter une œuvre pour plusieurs semaines. "L'œuvre de l'artiste est une œuvre, il y en a plein des œuvres dans Poitiers, s'il commence à analyser toutes les œuvres en se disant que telle ou telle se rapproche d'une mouvance, on va où ?", ajoute Vincent Bohan. "Ça va aller jusqu'où ? Bientôt on n'aura plus le droit de proposer certains livres ?"
Les employés de l'établissement culturel ont regretté le décrochage de l'affiche, mais pour Charles Reverchon-Billot, c'est "un malentendu". Le vice-président Culture et Patrimoine de Grand Poitiers le martèle : "C'est bien une œuvre d'art, mais pas une affiche revendicative. De mémoire, depuis 2020, c'est la première fois qu'on nous demande de retirer une œuvre d'art, c'est un glissement assez dangereux sur la liberté de création essentielle à nos yeux."
L'élu partage l'inquiétude des agents territoriaux quant aux possibles ingérences de l'État dans les choix culturels. "Les artistes sont là aussi pour provoquer, mais il n'y a pas d'appel à l'insurrection dans cette affiche", poursuit-il, en précisant que depuis ce mardi matin, elle est de nouveau accrochée à l'intérieur de l'artothèque.
Sollicité, le préfet de la Vienne n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.
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Ce n'est pas la première fois que la Ville de Poitiers et le préfet de la Vienne s'opposent sur des questions relatives aux principes républicains. En septembre 2022, ce dernier avait demandé à la commune et à l'agglomération de suspendre leurs subventions à l'association Alternatiba, suite à l'organisation d'un atelier de "formation à la désobéissance civile".