À la suite du recours déposé par la préfecture de la Vienne demandant l'annulation d'une subvention de 10 000 € à l'association Alternatiba, la ville de Poitiers vient de déposer son mémoire de défense au tribunal administratif. La représentation de l'État juge la subvention illégale et son principe contraire au Contrat d'engagement républicain. La ville estime que la demande du préfet constitue une "ingérence dangereuse" qui "porte atteinte à la liberté d'association".
Le bras de fer entre la ville de Poitiers et la préfecture de la Vienne sur la légalité de la subvention accordée par le conseil municipal à l'association Alternatiba Poitiers, le 27 juin 2022, franchit ce lundi 13 février une nouvelle étape juridique. La ville, représentée par le cabinet parisien Spinosi, vient de déposer son mémoire de défense au tribunal administratif de Poitiers et réaffirme qu'il s'agit, pour elle, d'agir "pour la liberté associative, leur autonomie et pour la liberté d'expression".
Ce dépôt de mémoire s'inscrit à la suite du recours déposé par la préfecture de la Vienne, dans lequel la représentation de l'État demandait l'annulation d'une subvention de 10 000 € versée à l'association Alternatiba pour l'organisation du "Village des alternatives" les 17 et 18 septembre 2022 à Poitiers, au motif qu'elle proposait un atelier sur la désobéissance civile (voir le reportage ci-dessus), jugé contraire à l'esprit de la loi, dite loi Séparatisme, "confortant le respect des principes de la République", et entrée en vigueur en janvier 2022.
La demande du Préfet d'annuler la subvention à Alternatiba Poitiers constitue une rupture dans le fonctionnement de nos institutions.
Léonore Moncond'huyMaire de Poitiers
À l'occasion d'une conférence de presse, lundi matin, Léonore Moncond'huy, maire de Poitiers, a présenté les arguments de la ville. En lui demandant, le 12 septembre dernier (soit avant la tenue de l'évènement) de soumettre au conseil municipal le retrait de la délibération à Alternatiba, au motif que le programme de l'évènement contreviendrait aux pratiques de la République, elle estime que la demande du préfet "constitue une rupture dans le fonctionnement de nos institutions", tel qu'inscrit notamment dans "la charte des engagements réciproques entre l'État, les associations et les collectivités territoriales, [laquelle] consacre la libre administration des collectivités territoriales [sans] intervention en opportunité de l'État sur les décisions des collectivités".
"Ingérence dangereuse"
Dans son intervention, Léonore Moncond'huy a insisté sur le fait qu'il n'était pas possible de "préjuger de l'illégalité d'un évènement avant même qu'il se tienne". L'argument de la préfecture selon lequel un atelier incitait à la désobéissance civile ne tient pas à ses yeux. Elle explique que "nous considérons que parler de désobéissance civile n'est pas inciter à produire des actes contrevenant manifestement à la loi et que parler de désobéissance civile rentre pleinement dans le cadre des libertés telles qu'elles sont définies par la loi : la liberté d'expression, les libertés associatives (loi 1901). On peut parler de désobéissance civile sans que ce soit incitatif à produire des troubles graves à l'ordre public qui d'ailleurs, je le rappelle, ne se sont pas produits dans le cadre de cet évènement."
En plus d'une "rupture", la maire parle d'une "ingérence dangereuse de l'État dans la vie des collectivités". Léonore Moncond'huy en veut pour preuve que le vote de la subvention avait passé "sans encombre le contrôle de légalité". Elle rappelle ainsi que "c'est donc bien que [ce vote] n'était pas illégal, mais inopportun aux yeux de la préfecture". Pour elle, cela "constitue une ingérence nouvelle dans les liens entre les collectivités et les associations qui sont leurs partenaires".
La maire de Poitiers estime ainsi qu'"en défendant la liberté d'expression, en défendant les libertés associatives, en défendant la libre administration des collectivités territoriales, la ville de Poitiers défend les valeurs de la République (...) telles qu'elles doivent être confortées aujourd'hui".
Depuis l'application du Contrat d'engagement républicain, cette affaire est une première. Pour la maire de Poitiers, "il est certain qu'elle fera jurisprudence". Car pour elle, derrière la demande de retrait de la subvention, se cache un risque, celui de l'autocensure des élus dans leur soutien à des associations qui seraient jugées trop "alternatives".
"Une question juridique majeure"
À l'occasion de cette conférence, Me Fabrice Spinosi, avocat de la ville, présent en visioconférence, a estimé que cette affaire se situait "à la frontière du juridique et du politique". Il a ainsi noté que la décision des juges administratifs dirait "comment ce type de contrat nouveau est susceptible d'être mis en œuvre par les collectivités territoriales". Car, pour lui, "nous sommes face à une question juridique majeure puisque la décision qui a été prise est effectivement une première. C'est la première fois qu'il y a un recours devant un tribunal administratif [pour] une demande faite par un préfet de refuser une subvention - ou non -, au nom du Contrat d'engagement républicain."
Me Spinosi est revenu sur l'atelier incriminé par la préfecture qui, selon lui, "n'avait pas vocation à former à la désobéissance civile, mais bien à débattre". Il entend ainsi baser la défense de la ville sur les principes de liberté d'expression et de liberté d'administration. Le risque pour lui serait, sinon, de se retrouver "dans une société où l'on ne pourrait plus débattre de sujets qui ne plaisent pas au gouvernement !"
Plus largement, la procédure en cours s'inscrit dans une contestation plus large du CER. Ainsi, le Mouvement associatif, présidée par Claire Thoury, présente en visioconférence, constate qu'un an après son application, le contrat "est pour l'instant surtout utilisé pour limiter la liberté d'expression et d'interpellation d'associations et leur capacité à faire vivre le débat".
Porte-voix de la vie associative, le Mouvement associatif (qui revendique la représentation d'une association sur deux en France) estime par ailleurs que "ce texte crée une insécurité juridique et financière forte pour les associations et pour leurs partenaires, à commencer par les collectivités".
Dans un communiqué, la ville de Poitiers indique qu'elle "se joint aux associations qui demandent l'abrogation du CER".
La date de l'audience n'est pour l'instant pas connue, mais pourrait se tenir d'ici à 10 à 12 mois.