Après avoir essuyé des moqueries à vouloir mobiliser ses collègues coiffeurs sur internet, Stella s'est résolue à mener "son combat" seule, à partir de sa page Facebook.
Depuis l’annonce du confinement mercredi soir par le président, les réactions se succèdent. La différence de traitement entre les grandes enseignes autorisées à ouvrir au prétexte qu’elles vendent (aussi) des biens de première nécessité et les petits commerces de proximité, sommés de fermer boutique.La fronde, initiée par les libraires dans un premier temps, a donné lieu à de multiples initiatives personnelles de la part de petits commerçants qui ont investi les réseaux sociaux pour exprimer leur colère. À Poitiers, Stella Guérin, une coiffeuse du quartier de Bel-Air, a ainsi posté une vidéo tournée depuis son salon. Pour "crier à l’injustice".
Quand j’ai vu l’allocution du président mercredi soir j’ai été interloquée, parce que je ne pensais pas qu’on allait de nouveau subir un confinement général comme ça. J’ai donc publié un message sur "le club des coiffeurs", un groupe Facebook qui compte 10.000 membres, en disant aux collègues que j’étais décidée à rouvrir mon salon vendredi matin malgré l’interdiction, pour continuer à travailler. Et je les exhortais à faire tous pareil, pour nous faire entendre en ouvrant nos commerces coûte que coûte. J’ai été très mal reçue. Je n’ai eu en retour que des moqueries, presque des propos haineux.
Déçue, elle a supprimé sa publication et quitté le groupe, avant de retourner au salon le lendemain, résignée, pour sa dernière journée d’activité.
On ne nous a même pas laissé finir notre semaine de travail. Jeudi minuit il fallait qu’on mette la clef sous la porte. Donc j’ai fait le maximum de clients et j’ai dû finir sur le coup de 22h. Du coup j’y suis retournée vendredi matin pour faire tout le ménage et mettre à jour ma comptabilité. Quand j’ai eu fini, j’étais là, au salon et j’avais pas le moral, déçue de n’avoir pas pu trouver de soutien. J’avais vraiment pas envie de rentrer chez moi, et du coup je me suis dit "je vais faire une vidéo pour mes clients, pour leur dire ce que je pense, que je ne suis pas d’accord et que je n’ai pas envie de me laisser faire ". Et puisque je suis seule pour mener mon combat, je l’ai posté sur ma page Facebook pour me faire entendre malgré tout. Pour essayer de faire bouger les choses.
La vidéo, forte, émouvante, a été visionnée, likée, partagée, et a surtout suscité de nombreux commentaires.
J’ai eu beaucoup de soutien, d’énormément de gens, qui eux non plus ne comprenaient pas qu’on laisse les gros ouvrir et continuer de s’enrichir et qu’on nous laisse, nous les petits, sur le côté. C’est une injustice ! Il faut qu’on puisse nous permettre d’exercer notre métier, dans le respect des règles sanitaires qu’on applique scrupuleusement depuis six mois. Parce que nous, petits commerçants, on fait vraiment le nécessaire pour protéger nos clients. En travaillant sur rendez-vous, on maitrise notre flux de clientèle, contrairement aux grandes surfaces où les gens s’agglutinent pour faire leurs courses. Mais c’est nous qu’on met à l’arrêt. Six mois après le premier confinement, je commençais tout juste à retrouver un équilibre financier. On pourra pas tenir des mois comme ça, c’est pas possible.
Stella remet en cause la démarcation faite entre les commerces de première nécessité et les autres.
Au mois de mai, lors du déconfinement, en trois semaines, j’ai fait mieux qu’un mois de décembre tellement les gens nous attendaient de pied ferme. On travaillait quasiment du lundi au samedi, de 9h à 20h s’il le fallait, même les jours fériés. Pour les clients on est essentiels. Ils nous l’ont clairement exprimé et on l’a vraiment ressenti, c’était impressionnant. Les gens ont besoin de nous pour leur moral, pour se changer les idées. Ceux qui travaillent ont besoin d’être coiffés pour exercer leur métier, pour se sentir à l’aise.
En attendant que les choses bougent, Stella a décidé de s’organiser pour leur forcer un peu la main.
Je me suis dit "après tout, comme je peux pas exercer mon activité en télétravail, je vais télétravailler à ma communication, puisque je vais avoir beaucoup de temps à y consacrer". J’ai commencé par écrire à Léonore Moncond’huy [la nouvelle maire de Poitiers]. Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait rien faire à l’échelle locale, et qu’elle me souhaitait bon courage. Mais je vois depuis hier qu’elle a rejoint l’association des maires de France qui se mobilise pour protéger les petits commerces de proximité. J’espère qu’elle va faire son possible et je souhaite qu’elle prenne un arrêté municipal pour qu’on puisse ré-ouvrir au plus vite, nous, tous les petits, les coiffeurs, les fleuristes, les instituts de beauté et j’en passe.
Depuis, Stella ne s’est pas arrêté en si bon chemin, et après une lettre ouverte à la préfète publiée sur sa page Facebook, "je l’ai un peu modifiée et je l’ai envoyée à l’Elysée et au cabinet du premier ministre ".
Les initiatives personnelles, à l’image de celle menée par Stella, commencent depuis peu à être rejointes par des prises de positions collectives. L’association Centre-ville en mouvement qui compte près de 650 collectivités territoriales, est ainsi montée au créneau pour réclamer l’égalité de traitement entre les points de ventes indépendants et la grande distribution. Certains maires sont tout bonnement passés à l’acte, en prenant des arrêtés autorisant le maintien de l’ouverture des commerces non-alimentaires situés sur leur territoire, bravant ainsi les interdictions édictées par l’état, perçues comme injustes et technocratiques. Et la liste des villes récalcitrantes qui ont pris des arrêtés similaires ne cesse de s’allonger.
De quoi remettre un peu de baume au cœur de Stella.
Ce matin je suis retournée sur le compte d’un des administrateurs du groupe Facebook qui m’avait pris de haut. Ca y est, ils se réveillent. Ce monsieur appelle désormais à manifester devant sa mairie pour sauver son commerce. Et là il a l’air d’être plus entendu. Ça m’a fait sourire …