Le 6 novembre 2004, neuf soldats français et un civil américain ont été tués dans le bombardement du camp de Bouaké en Côte-d'Ivoire. Avant l'ouverture du procès en mars prochain à Paris, l'avocat Jean Balan sort un livre à charge contre trois ministres français en poste à l'époque à Paris.
Le 6 novembre, le bombardement à Bouaké par deux avions ivoiriens du camp militaire français de l'opération "Licorne" cause la mort de neuf soldats et d'un civil américain. Les militaires étaient tous français et appartenaient tous à des régiments stationnés en Poitou-Charentes. Cinq venaient du RICM (Régiment d'Infanterie Chars de Marine) de Poitiers, trois du 2e RIMA (Régiment d'Infanterie de Marine) d'Angoulême et un du RT (Régiment du Train) de La Braconne (voir notre encadré).
Plus de 15 ans après les faits, le procès des auteurs présumés de ce bombardement va s'ouvrir le 17 mars prochain à Paris. Avant l'ouverture de ce procès, Jean Balan, l'avocat d'une vingtaine de familles et de survivants, publie un livre où il veut démonter les rouages de ce qui a été selon lui un des plus grands mensonges d'Etat et un des plus grands scandales de la Ve République.
Trois ministres mis en cause
Son livre est un long plaidoyer à charge contre les ministres concernés par le dossier à l'époque. Il les soupçonne en premier lieu de n’avoir rien fait pour arrêter les pilotes biélorusses, auteurs du bombardement, mais plus encore d’être partie prenante à l’opération.Les ministres que Jean Balan met en cause sont les ministres de la Défense, de l'Intérieur et des Affaires étrangères de l'époque, Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier et le magistrat, François Molins à l'époque procureur de Paris puis avocat général près la Cour de cassation.Je dénonce une collusion absolument incroyable entre des gens qui se connaissent depuis très longtemps et qui se protègent depuis très longtemps, les politiques et les magistrats.
Jean Balan, avocat et auteur du vivre "Crimes sans châtiment : affaire Bouaké, un des plus grands scandales de la Ve République"
L'auteur affirme que le bombardement par les avions ivoiriens aurait été manipulé par les dirigeants politiques français afin d’obtenir un prétexte au renversement de Laurent Gbagbo, le président ivoirien avec qui les relations étaient très mauvaises.
L'opération Licorne à laquelle participait les soldats français agissait comme force de maintien de la paix et d'interposition dans une Côte-d'Ivoire en pleine guerre civile entre les rebelles et l'armée ivoirienne soutenant le président Bagbo.
"Connaître la vérité"
Dans sa démonstration, Jean Balan s'appuie sur les 15 000 pages du dossier d’instruction et souligne les incohérences voire les mensonges des ministres de l'époque, qui semblait vouloir tout faire pour la vérité ne soit pas révélée. Notamment en ne donnant pas suite à l'arrestation des pilotes qui ont été relâchés et qui depuis sont introuvables alors que des mandats d'arrêt ont été lancés depuis 15 ans. En mars prochain, le procès se déroulera en leur absence. Jean Balan et d'autres parmi les militaires survivants posent la question. Pourquoi les autorités françaises qui, par la suite, ont détruit les avions n'ont-elles pas arrêté ces pilotes, des mercenaires biélorusses et des militaires ivoiriens ?
Les arguments défendus par Jean Balan sont partagés par de nombreux proches des victimes qui ne savent toujours pas aujourd'hui pourquoi ces soldats français ont été tués et qui a donné l'ordre de bombarder.
Lever la chappe du silence et connaître la vérité, c'est ce qu'attendent les familles des militaires tués à Bouaké et qui étaient tous stationnés à Poitiers et Angoulême. Les trois ministres cités par Jean Balan dans son livre pourraient être amenés à comparaître en qualité de témoins lors du procès devant les assises de Paris. Michèle Alliot-Marie a fait savoir qu'elle se rendrait devant la justice si elle est convoquée.Il y a les plus hauts dignitaires de l'Etat qui ont entravé cette affaire. On espère qu'avec la pression médiatique et la sortie de ce livre, on pourra atteindre au plus près ces personnes et qu'elles pourront répondre de leurs actes.
Alexia Capdeville, fille de l'Adjudant-Chef Philippe Capdeville tué à Bouaké
L’entourage de Michèle Alliot-Marie explique ce soir qu’elle ne souhaite pas s’exprimer, car l’affaire est en cours, et par respect pour les familles des victimes. Mais si elle est convoquée devant le tribunal, l’ancienne ministre de la Défense s’y rendra. @F3PoitouChtes
— Antoine Morel (@F3AntoineMorel) January 30, 2020
L'enquête de François Bombard, Patricia Chalumeau, Antoine Morel et Jennifer Russeil qui ont rencontré Jean Balan ainsi que des proches de victime et un militaire survivant.
"Crimes sans châtiment : affaire Bouaké, un des plus grands scandales de la Ve République", de Jean Balan, éd. Max Milo, 342 pages, 21,90 euros.
Qui sont les victimes de cette attaque ?
- Adjudant-Chef Philippe Henri-Pierre CAPDEVILLE (46 ans) du RICM
- Adjudant-Chef Thierry BARATHIEU (43 ans) du RICM
- Sergent-Chef Francis DELON (40 ans) du RICM
- Sergent Laurent DERAMBURE (32 ans) du RICM
- Caporal David DECUYPERE (29 ans) du RICM
- Caporal-Chef Patelise FALEVALU (34 ans) du 2e RIMa
- Caporal Emmanuel Robert TILLOY (23 ans) du 2e RIMa
- Caporal Benoît MARZAIS (21 ans) du 2e RIMa
- Brigadier-Chef Franck DUVAL (32 ans) du 515e RT
Ces informations sont consultables sur le site Mémoires des Hommes