L'homme de 20 ans poursuivi pour une série d'agressions physiques et verbales contre des chauffeurs de bus à Poitiers a été reconnu coupable des faits et condamné à huit mois de prison assortis d'un sursis probatoire de deux ans. Il est également condamné à 140 heures de travaux d'intérêt général.
À l'audience lundi 18 octobre, la voix camouflée par son masque, Abel C., 20 ans, reconnaît l'ensemble des faits qui lui sont reprochés. Oui, entre les mois d'avril et d'octobre 2021, il s'en est bien pris, à plusieurs reprises, à des chauffeurs de bus de ville de la société Vitalis à Poitiers et commis diverses dégradations sur les bus de ville.
"Il m'avait énervé"
Les premiers faits remontent au 22 avril 2021. Le jeune homme lance une pierre contre un bus et brise une vitre.
Le 1er juillet 2021, le jeune homme monte à bord d'un autre bus sans payer, une canette à la main, ses écouteurs dans les oreilles. "Comme vous ne l'entendez pas, le chauffeur doit arrêter le bus et s'avancer vers vous", retrace la présidente à l'audience. "Pour que le bus puisse repartir, un voyageur paye pour vous. Mais vous revenez ensuite vers l'avant du bus. Là, vous tapez contre le plexiglas qui se brise. Le chauffeur reçoit un éclat et vous lui administrez un coup de poing à l'oeil gauche." Une collègue du chauffeur de bus arrivée sur place l'entend dire : "J'vais lui en coller une."
La magistrate s'arrête et regarde le prévenu : "Il s'est passé ce que vous avez déclaré ?" Le jeune homme répond que oui. "Pourquoi ne pas avoir passé votre chemin alors que vous étiez en tort ?", poursuit-elle. "Il m'avait énervé", répond le prévenu.
Quinze jours plus tard, à l'arrêt Bondy, un autre chauffeur de bus choisit de ne pas laisser monter le prévenu. "On vous refuse l'accès car vous avez une canette à la main", retrace la présidente. Un peu plus loin, alors que le chauffeur observe une pause réglementaire, il voit le prévenu revenir vers lui et l'interpeller : "'Pourquoi tu m'as pas ouvert ?', lui demandez-vous. Le chauffeur vous répond que c'était en raison de votre canette." Le jeune homme reconnaît : "Et je me suis énervé. J'ai frappé le plexiglas."
Le 29 septembre, à nouveau : "Vous montez dans le bus à l'arrêt Marbourg, sans titre de transport. Le bus alerte la coordination et s'arrête, sans ouvrir ses portes et vous donnez des coups. Des gens s'interposent."
J'y suis retourné pour le taper. Je lui ai sauté dessus, j'ai commencé à l'attraper par la gorge et on s'est battus.
Des faits similaires surviennent à nouveau, jusqu'au 14 octobre dernier où il frappe un chauffeur. La présidente décrit : "Vous montez une première fois sans payer. Pourquoi avez-vous ensuite rejoint le chauffeur à l'arrêt suivant ?"
"J'y suis retourné pour le taper"
"Il m'a insulté", lance Abel C.. "J'y suis retourné pour le taper. Je lui ai sauté dessus, j'ai commencé à l'attraper par la gorge et on s'est battus." Une personne s'interpose. La juge interpelle le prévenu : "C'est normal ça, Monsieur ?" Le jeune homme répond : "Non." La présidente poursuit : "Vous rentrez chez vous, puis vous revenez. Votre réaction est mesurée ?" Il admet : "Non." Puis, le jeune homme lâche : "Il m'a regardé de manière agressive. Il m'a dit : 'ça va, fils de pute'."
Quand vous nous dites : 'C'est moi le problème'. Que voulez-vous nous dire ?
"Pourquoi réagissez-vous ainsi, Monsieur ?", lui demande le tribunal.
Dans le box, le prévenu apparaît frêle, le regard adolescent, légèrement courbé dans son t-shirt sombre. "Je tiens à m'excuser, sincèrement. Je sais que c'est moi le problème, que j'ai un problème". lâche-t-il, penaud.
"Vous avez un problème, certes, vous pourriez arrêter. Mais non, ça recommence", poursuit la présidente, visiblement agacée. "C'est de la provocation ?"
Abel C. relève la tête : "Vu comme ça, oui. Je ne le voyais pas comme ça sur le moment. Mais oui."
Je n'ai jamais décidé d'être comme ça. Je me suis fait battre par mon père jusqu'à mes 16 ans. On m'a expliqué que c'est la douleur qui ressurgit. Dès que je me sens agressé, c'est ma réaction.
Me Arnaud Coche, l'avocat du prévenu, prend alors la parole. Il lui demande de décrire les raisons pour lesquelles il prend le bus. Son client explique qu'il accompagne sa femme à son travail. Le tribunal découvre qu'à l'aller, c'est elle qui paie les deux billets. Au retour, elle n'est plus présente. C'est là que, le plus souvent, les choses dérapent.
Enfant battu
"Pouquoi vous en prenez-vous aux chauffeurs de bus, Monsieur ?", lui demande son avocat. Abel C. répond : "Parce qu'ils me demandent de descendre." L'avocat le relance : "Mais, c'est le règlement ! Ils sont obligés." Puis il ajoute : "Quand vous nous dites : 'C'est moi le problème'. Que voulez-vous nous dire ?"
"Je n'ai jamais décidé d'être comme ça", lâche le prévenu, maladroitement. "Je me suis fait battre jusqu'à mes 16 ans. On m'a expliqué que c'est la douleur qui ressurgit. Dès que je me sens agressé, c'est ma réaction."
"Qui vous battait ?", lui demande son avocat. Le jeune homme répond : "Mon père. Il me privait de dîner, je recevais des coups de ceinture. Sa voix était très agressive."
Il provoque non pas parce que c'est un petit con, non, il vient vérifier que quand il fait une bêtise, ça provoque une réaction. À 20 ans, c'est encore un enfant. Son père devrait être là aussi. Le mal que l'on fait aux enfants, on le retrouve plus tard.
La présidente du tribunal lui rappelle la multiplicité des faits, certes marqués par son vécu, mais aussi par des réactions impulsives.
"Je ne sais pas comment faire quand ma copine n'est pas là", admet-il. "Je m'en veux à moi-même." Abel C. se tourne alors vers les chauffeurs de bus présents à l'audience. "J'en ai marre de réagir comme ça. Je suis désolé, excusez-moi."
Me Manon Gaudin, avocate de Vitalis tente de faire prendre conscience au prévenu que ces actes ont abouti à l'immobilisation de tout le réseau de bus de la ville de Poitiers lorsque les chauffeurs ont fait valoir leur droit de retrait.
La procureure lui rappelle que son attitude est "intolérable", que "jamais il ne se remet en cause". Elle lui dit : "Les conducteurs de Vitalis ne vont pas au boulot pour 'se faire casser la gueule', comme ils nous l'ont dit."
Me Coche, dans sa plaidoirie, expliquera qu'Abel C. "n'est pas quelqu'un qui a un problème général avec l'autorité. C'est quelqu'un qui vient provoquer un problème en lien avec un état personnel". En l'occurrence, son vécu de violence à la maison qui lui a valu d'être pris en charge par l'aide sociale à l'enfance de ses 16 ans à ses 18 ans.
"Il provoque non pas parce que c'est un petit con, non, il vient vérifier que quand il fait une bêtise, ça provoque une réaction. À 20 ans, c'est encore un enfant. (...) Il est responsable, oui. Mais son père devrait être là aussi. Le mal que l'on fait aux enfants, on le retrouve plus tard."
Je souhaite changer, j'en ai marre d'être comme ça.
L'avocat de la défense remarque que dans les cas de violences subies dans l'enfance, le problème se "règle souvent avec quelqu'un d'autre".
Invité à ajouter quelque chose pour sa défense, Abel C. réitère ses excuses et ajoute : "Je souhaite changer, j'en ai marre d'être comme ça."
Le tribunal se retire pour délibérer et va finalement au-delà des six mois de prison assortis d'un sursis probatoire requis par la procureure.
Il condamne le prévenu à huit mois de prison assortis d'un sursis probatoire de deux ans, une obligation de soins, de travailler, d'indemniser les parties civiles, une interdiction de circuler à bord des bus de ville. Abel C. est également condamné à une peine de 140 heures de travaux d'intérêt général.