Selon l'Inserm, un couple français sur huit consulte en raison de difficultés à concevoir un enfant. Pourtant, la parole des couples en parcours de procréation médicalement assistée (PMA) peine à se libérer. Charlotte et Chloé ont donc décidé de témoigner pour lever les tabous et faire connaître ce sujet encore méconnu.
"Je ne vois pas comment j’aurais fait pour vivre sans elle", dit Charlotte, installée à la table de sa cuisine. Elle couve du regard sa fille Séléna, quinze mois et pleine d’énergie. "J’ai l’impression d’avoir été enceinte pendant quatre ans tellement j’ai attendu ce deuxième enfant."
En 2017, le couple se marie, emménage dans une nouvelle maison et décide d’avoir un deuxième enfant. "On avait eu notre fils naturellement, donc on se disait que ça allait être pareil", se rappelle Charlotte. "Mais au bout de quelque temps, l’enfant n’arrive pas et on se pose des questions."
"Pourquoi moi ?"
Les mêmes interrogations sont apparues chez Chloé et son compagnon, après deux ans passés à essayer de concevoir leur premier enfant. "Notre médecin généraliste nous a prescrit différents examens, et il s’est avéré que mon conjoint avait peu de gamètes de bonne qualité, et moi, j’avais les trompes bouchées", explique Chloé, âgée alors de 25 ans. "Fin 2019, j’ai ensuite suivi trois inséminations chez un gynécologue."
L’insémination artificielle fait partie des techniques utilisées par la procréation médicalement assistée (PMA). Elle aide les couples ou les femmes seules à concevoir des enfants. Les femmes peuvent bénéficier de ces techniques jusqu’à leur 45ᵉ anniversaire.
Pour Charlotte et Chloé, l’entrée dans ce parcours PMA a été très compliquée. "Comme j’avais eu un premier enfant naturellement, je pensais que la PMA ne serait qu’un coup de pouce", se remémore Charlotte. Le couple est d’abord suivi dans une clinique privée de La Rochelle (Charente-Maritime) et entame deux protocoles de FIV (fécondation in vitro). Mais "le premier protocole n’aboutit pas et le deuxième est positif, mais la grossesse doit être arrêtée. On prend donc la décision de quitter La Rochelle pour le service PMA du CHU de Poitiers", détaille Charlotte. Se succèdent ensuite deux autres FIV, où le corps de Charlotte, trop sollicité, ne parvient plus à produire des embryons d’assez bonne qualité.
En France, le nombre de FIV est limité à quatre. Une pression supplémentaire pour Charlotte : "Avoir plus de tentatives, ce serait plus de temps, notamment psychique."
Quand j'ai fait les premiers examens, je ne savais pas du tout dans quoi je m'embarquais.
CharlotteA suivi un protocole PMA pendant quatre ans
Pour Chloé, les inséminations ne se passent pas comme prévu. "Le gynécologue a dit qu’on avait le temps, qu’on pouvait faire plein d’essais", déplore la jeune femme. "Je me posais plein de questions, car j’avais fait une fausse couche, à quatre mois de grossesse en 2017, sans que je sois suivie après. Le curetage aurait pu boucher mes trompes. L’endométriose était une autre hypothèse pour expliquer nos difficultés."
Chloé doit donc suivre un examen des trompes, mais allergique à l’iode habituellement utilisé, elle doit se rendre à Rennes. "Vu le taux d’hormones AMH (un élément d'analyse de la fertilité) qui a été trouvé, j’ai pensé que j’étais en ménopause. Je me suis dit que je n’aurais jamais d’enfant", rappelle-t-elle. En juin 2020, elle suit une opération des trompes au CHU de Poitiers et subit une lourde hémorragie. Un mois après l’opération, elle devait suivre un protocole FIV mais là, l’inattendu arrive : "J’étais énervée parce que mes règles n’arrivaient pas, je pensais que j’étais anémiée. En fait, j’étais enceinte !", s’exclame-t-elle.
Vivre avec le poids du regard des autres
Chloé n’a pas informé ses proches de son entrée dans la procréation médicalement assistée. "Quand j’ai fait ma fausse couche tardive, j’ai eu des commentaires, comme "tu en auras d’autres", ou "ce n’était qu’un tas embryonnaire", dit-elle, en colère. "Pour la PMA, mon conjoint avait honte d’avoir ce qu’il appelait des spermatozoïdes fainéants, et on voulait éviter les questions et les remèdes de grand-mère."
Vous vous rendez compte, on m’a dit de boire du jus d’ananas pour avoir un enfant.
ChloéA suivi un parcours PMA pendant deux ans
Charlotte, au contraire, a tenu ses proches informés mais "à la juste distance. Les gens ne jugent pas parce qu’ils sont méchants, mais parce qu’ils ne comprennent pas. Il faut vraiment s’entourer de gens bienveillants. Parce que quand je m’effondre, j’ai un mari qui est là pour me relever."
Elle insiste sur la nécessité de lever les tabous autour de "ce sujet intime, mais qui devrait être politique. Pour ça, il faut que les gens puissent parler, expliquer ce qu’ils vivent pour en faire prendre conscience, témoigner parce que ce n’est pas quelque chose de honteux."
Un accompagnement par l’équipe médicale est également essentiel. "La médecin du CHU m’a dit que si elle n’y croyait pas, elle ne me ferait pas m’engager dans tout ça. Elle a expérimenté, en fonction de moi. Par exemple, quand ma grossesse a dû être interrompue, c’est elle qui m’a appelée, elle tenait à le faire."
Chloé et Charlotte se sont rencontrées sur un groupe Facebook dédié aux femmes en parcours PMA dans la région de Poitiers. "Le groupe a été d'une vraie aide", explique Chloé. "Si on avait besoin de parler, on pouvait s'adresser aux personnes du groupe." "Ce sont des femmes qu'on ne connaît pas, mais qui traversent la même chose, donc elles ont vraiment été aussi un soutien important, précieux. Oui, parce que ce sont des personnes qui ne travaillent pas avec nous, ce sont des personnes à qui on ne doit rien en fait, et ce sont des personnes qui savent par quoi on passe."
Le doute, tout le temps présent
Cependant, espérer une issue heureuse se révèle une résolution difficile à tenir : "On se pose plein de questions : pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi est-ce que j'ai des ovocytes qui n’arrivent pas à devenir des embryons ? Pourquoi j'ai des embryons qui meurent au bout de trois jours ? Pourquoi est-ce que j'ai des embryons qui ne s'accrochent dans mon ventre ?"
On a plein de petites lumières dans le cerveau qui se focalisent sur ce projet.
CharlotteMère de Séléna, quinze mois
Être bien accompagnée est essentiel quand les protocoles suivis sont aussi lourds. "La PMA, c’est une sacrée parenthèse de vie. On cherche à maximiser les résultats, donc pas trop d’alcool, de cigarette, on se repose, on se fait les injections d’hormones seule, chaque jour à heure fixe", énumère Charlotte. Les rendez-vous s’enchaînent : stimulation ovarienne, avec injections hormonales quotidiennes, ponction des ovocytes et fécondation. "Pour la femme, c’est trois échographies, une ponction et un transfert d’embryons", explique-t-elle. "Pour l’homme, c’est seulement deux rendez-vous."
De lourdes conséquences physiques et morales
"Et tout ça joue sur le moral, j’étais déprimée, j’avais des douleurs", ajoute Chloé. "J’ai pris du poids à cause des hormones. Le corps qui change, ça mine le moral." Ce à quoi s’ajoutent de nombreux allers-retours entre sa commune dans le Poitou-Charentes et Poitiers, dans une vie professionnelle compliquée par le parcours PMA. "Je suis infirmière en médico-social, j’ai vu des femmes qui étaient enceintes sans le vouloir alors que nous, on galère. J’ai aussi vu des situations de violences, ça m’affectait beaucoup", regrette-t-elle. "Et donner des attestations à mon employeur pour les rendez-vous, ce n’était pas évident alors que c’est prévu par la loi."
Après deux années de lutte, Chloé a donné naissance à un petit garçon, aujourd’hui âgé de trois ans. "J’ai été très stressée pendant la grossesse, et ça se voit dans le comportement de mon fils. Il est très stressé quand je ne suis pas là, et il ne veut pas aller à l’école pour le moment", raconte-t-elle.
Elle ajoute : "J’ai eu mon miracle. Mais il y a quand même une pression sociale pour un deuxième enfant. Mais moi, je ne veux plus jamais refaire de PMA, revivre le stress, la fatigue, l’angoisse."
L’impatience se mêle à l’inquiétude et à la fatigue. Jusqu’au jour où Charlotte "fait un test de grossesse et le tourne à la lumière de la hotte de la cuisine pour être sûre de voir la deuxième barre. Il n’y a que les femmes en PMA qui peuvent comprendre ça." La grossesse est confirmée par une prise de sang, et à la première échographie, "il y a un cœur qui bat, il y a un petit embryon qui va bien. L'écho dure cinq secondes, mais là, ce sont des larmes, enfin, je ne peux plus m'arrêter de pleurer."
Mais le jour prévu du terme, Séléna n’arrive pas. "J’ai imploré les médecins de déclencher l’accouchement, mais les médecins ont dit que c’était risqué. Sauf que cinq jours après terme, le délai était inentendable pour moi. Il fallait qu'elle soit là. Et donc, je finis par implorer un déclenchement", rejoue Charlotte, en faisant le geste de la prière avec ses mains.
"Je ne suis plus du tout la même aujourd'hui."
La petite Séléna naît enfin le 9 juillet 2022, toute endormie selon sa mère. Aujourd’hui, c’est une petite fille curieuse, câline et calme qui fait la joie de ses parents, même si pour Charlotte, "l'attachement, ce petit lien invisible entre la mère et l'enfant, je vais le connaître un peu plus tard quand je vais comprendre que, Séléna est en vie, elle est en bonne santé et ça va être une petite fille comme n'importe quelle petite fille."
La jeune femme de 34 ans se trouve totalement transformée : "Je ne suis plus du tout la même aujourd'hui, surtout au niveau de ma parentalité. Il faut que chaque personne qui veut devenir parent puisse le devenir."
Charlotte conclut : "Je n’aurais pas pu vivre sans elle. J’ai livré une guerre pour la naissance de ma fille, et clairement, je ne suis plus la même aujourd’hui. Je me trouve incroyable en fait !"