En sélection pour plusieurs prix littéraires, "Ce que je sais de toi" du Québecois Eric Chacour plonge le lecteur dans le récit d'une histoire d'amour entre un médecin et son jeune assistant. Le roman, situé dans l'Égypte des années 60 aux années 2000, se révèle une plongée dans un monde qui n'existe plus que le romancier fait revivre avec justesse et une vive émotion.
Ce que je sais de toi d'Eric Chacour (Philippe Rey) a le goût des belles découvertes. En lice pour le prix Renaudot des lycéens remis à Loudun le 14 novembre prochain, il plonge le lecteur dans l'Égypte des années Soixante aux années 2000, celle d'un pays alors très francophile et cosmopolite. L'auteur ressuscite les gestes, les odeurs, les habitudes culturelles et les us d'une époque révolue, à partir de l'enfance du personnage principal.
À la mort de son père médecin, Tarek reprend le cabinet médical et choisit de créer parallèlement un dispensaire pour soigner les plus pauvres. Pour le seconder, il s'attache les services d'Ali, un jeune homme démuni dont la mère, atteinte d'un mal incurable, lui fait promettre qu'à sa mort, il veillera sur lui. Ali devient un assistant précieux au point que Tarek s'attachera aussi ses services à son cabinet en ville. Mais derrière le lien professionnel, pointe déjà les prémices d'une amitié amoureuse à travers un baiser impromptu sur le point de tout bouleverser. Un patient va reconnaître en Tarek un jeune homme infréquentable et répandre la rumeur... et précipiter l'exil au Canada de Tarek.
Le roman, porté par une langue fluide et chaude, exalte les émotions et retrace, du point de vue d'un narrateur dont le lecteur découvrira l'identité à mi-parcours, une histoire d'amour que personne ne nomme, de peur de dire un interdit, alors impensable. Une histoire d'hommes derrière laquelle se cache la colère sourde d'une femme délaissée, peut-être l'une des voix les plus saisissantes de ce premier roman très réussi.
Rencontre avec Eric Chacour. Propos recueillis par téléphone, vendredi 6 octobre 2023
Dans ce roman, il y a à la fois le récit d'une histoire d'amour que personne ne parvient à nommer, à désigner, et, une reconstitution de l'Égypte des années 1960 aux années 2000. Quel a été le point de départ à cette histoire ?
Éric Chacour : J’avais envie d’écrire un Roméo et Juliette qui se passerait en Égypte, entre deux hommes, un amour impossible, entre deux êtres que tout distancie, c’était vraiment ça, mon point de départ. Au fur et à mesure du temps, ça s’est affiné, mais j’avais envie de raconter en toile de fond l’Égypte, le pays de mes parents. Quand j'étais enfant, ils parlaient d’une Égypte lointaine de celle que je voyais en vacances là-bas, l'Égypte de leur enfance. Elle était cosmopolite, francophone aussi. Ça me plaisait de la ressusciter.
C’est une histoire d’absence, l'histoire d’un exil, l’histoire d’une personne vue à travers les membres de toute une famille et d’un point de vue féminin.
Eric ChacourRomancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens
Votre roman raconte l'exil au Canada d'un médecin égyptien. Il doit fuir. C'est le roman d'une absence.
Éric Chacour : Oui, vous avez le bon terme, c’est une histoire d’absence, l'histoire d’un exil, l’histoire d’une personne vue à travers les membres de toute une famille et d’un point de vue féminin. C’est ce que j’avais envie de raconter, ce genre d’absence qui peut prendre plus de place dans une famille que la présence de n’importe qui…
C'est un premier roman. Quelle en est la part autobiographique ?
Éric Chacour : On met toujours une part de soi dans un roman, mais non, c’est une fiction. C’est une histoire inventée. La seule partie qui se rattache à moi, c’est la toile de fond, celle de l'Égypte dans laquelle mes parents ont grandi.
Vous le disiez, c'est un roman dans lequel le point de vue féminin est prépondérant. Mira, l'une des femmes de cette histoire, se venge...
Éric Chacour : Derrière le personnage de Mira, il y a l’apparition d’une forme de vengeance. Il y a Nesrine et Mira qui ont deux personnalités assez proches. En vivant toutes les deux une même épreuve, chacune pouvait faire des choix différents. L’une se nourrit dans l’amertume, l'autre fait le choix de fuir.
Dans Ce que je sais de toi, le narrateur s'adresse à une personne, l'un des personnages du roman. Comment est né ce dispositif ?
Éric Chacour : C’était là dès le début. Ce qui a évolué au fil de l'écriture, c’est le moment où je révélais qui était ce narrateur. Dans une première version, c'était à la toute fin du roman. Puis, j’ai trouvé que c'était plus lumineux de le découvrir à la moitié du roman. Je trouvais intéressant de raconter la vie de cet homme par un angle de biais, via une autre perception. On n’a pas l’habitude d’une narration à la deuxième personne et puis on l’oublie… Après, on se rend compte que s’il y a une seconde personne, c’est qu’il y en a une première. Ce petit jeu avec le lecteur m’a plu, ça m’a amusé de le faire.
C'est votre premier roman, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la plume ?
Éric Chacour : Je ne saurais pas vous dire, j’ai toujours aimé écrire. Gamin, je rêvais d’écrire des chansons. J’écrivais de nouvelles paroles aux chansons de Céline Dion ou Patricia Kaas. Après, j’ai voulu me lancer dans un défi de plus grande haleine avec des rebondissements, des péripéties… Une envie de jouer avec des mots et de créer quelque chose.
On m’avait dit, tu verras, les prix des lycéens, ce sont les plus beaux.
Eric ChacourRomancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens
Vous êtes en lice pour plusieurs prix, dont le Renaudot des lycéens. Comment accueillez-vous cela ?
Éric Chacour : Je suis nommé à la fois pour le Renaudot et le Fémina des lycéens. On m’avait dit, tu verras, les prix des lycéens, ce sont les plus beaux. Mais, je ne savais pas quelle réalité mettre derrière. Et puis le lycée, c’est la période de ma vie où j’ai aimé lire et où j’ai commencé à écrire.
Parmi les élèves qui vous lisent cette année, certaines et certains auront peut-être un jour envie de prendre la plume. Qu'aimeriez-vous leur dire ?
Éric Chacour : Je leur dirais deux choses : de ne pas penser à ce que d’éventuels lecteurs pourraient aimer ou pas. Mon roman se passe en Égypte et, quand je l’ai commencé, je me demandais qui ça pourrait intéresser au Québec. Il faut se dire que l'histoire que l’on veut raconter, il faut la raconter à sa manière. La deuxième chose serait de leur dire que s'ils veulent écrire un roman, ce serait de commencer par un plan pour pouvoir s’y rattacher dans les moments de doute.
C'est le premier roman que vous publiez, mais est-ce le premier que vous avez écrit ? Y a-t-il eu des refus avant ?
Éric Chacour : C’est le premier que j’ai écrit. Oui. Ça faisait 15 ans que j’avais préparé un plan et pendant 15 ans, quand j’avais un peu de motivation, du temps, je le construisais, chapitre par chapitre. Et à la fin de mon projet, j’ai eu envie de l’envoyer à un éditeur. Ça a été le cas avec Alto au Québec et, quelques semaines après sa publication au Québec, Philippe Rey a dit oui pour le reste de la francophonie. C’est un éditeur dont je rêvais. J’ai eu une réponse rapidement, un mois et demi après.