Le découvreur au XIXᵉ siècle de la méthode de fécondation manuelle de la vanille, c'est lui, Edmond Albius. À 12 ans, cet enfant né esclave à La Réunion vit sur la plantation de son maître et se passionne pour la botanique. Sa découverte va chambouler le monde entier.
Sans lui, notre monde n'aurait tout simplement pas la même saveur. Sans lui, Edmond Albius ! le secret de la fécondation manuelle du vanillier serait peut-être resté encore longtemps un mystère, privant notre occident d'une saveur devenue aujourd'hui incontournable : celle de la vanille.
En lice pour le prix Renaudot des lycéens, remis à Loudun le 14 novembre, Le Fruit le plus rare ou la vie d'Edmond Albius (Gallimard) de Gaëlle Bélem, se révèle une plongée lyrique dans la luxuriance et le foisonnement de la nature de l'île de la Réunion du XIXᵉ siècle (à l'époque, l'île Bourbon), au plus près du destin tragicomique d'un homme né esclave, affranchi à 18 ans, mais à qui justice n'a jamais été rendue. Du moins, pas avant ce roman, le premier, selon son auteure, à s'intéresser à la vie de cet homme, "une personnalité sacro-sainte sur l'île de La Réunion".
De la vie d'Edmond Albius, analphabète maîtrisant les rudiments du latin et du grec grâce aux connaissances en botanique transmises par son maître, ne subsistaient que quelques documents administratifs et des lettres retrouvées aux Archives départementales de La Réunion que l'autrice a rassemblés comme base documentaire à son roman. De cette matière brute émergent les bases d'un récit extraordinaire auquel s'entrelacent ces lianes de vanille, de plus en plus envahissantes, tels les tentacules de la société coloniale de l'époque, et que le jeune Edmond observe attentivement, tandis que les hommes autour de lui échouent les uns après les autres à faire naître le fruit délicat aux saveurs inédites dont ils ont entendu parler, mais jamais goûté, car "oublié depuis le XVIᵉ siècle".
J’ai dû chercher des informations sur un fantôme, sur des gens — les esclaves — qui n’ont laissé aucune trace dans l’histoire.
Gaëlle BélemRomancière
À 12 ans, en 1841, le jeune Edmond va pourtant réussir l'impossible, faire se rencontrer l'organe mâle et l'organe femelle de la plante, sans jamais, par la suite, récolter les fruits de son immense découverte. À travers ce roman, Gaëlle Bélem réhabilite un homme, un esclave, et lui attribue, au-delà de ce que la communauté des hommes lui doit, un statut, une voix et des rêves bien à lui, singuliers, uniques, dévoilant par touches, au plus près du cœur humain, son parcours hors du commun.
Entretien avec Gaëlle Bélem
Quelle figure est Edmond Albius dans l'imaginaire collectif sur l'île de La Réunion ?
Gaëlle Bélem : "C'est une personnalité sacro-sainte sur l'île de la Réunion. Son nom est celui d’un héros que l’on peut connaître, mais sans connaître sa vie. On connaît quel acte héroïque il a effectué —, c'est lui qui a découvert en 1841 le mode de pollinisation manuelle de la vanille —, et c’est tout. C'est comme s’il n’avait pas eu d’autre vie en dehors de ce moment précis, de comment on produit ce fruit du vanillier, la vanille. Il y a une relation paradoxale, ambiguë. Il est vénéré, mais ce dieu vénéré est en fait inconnu. C’est ça qui m’a amenée à écrire sur lui. Quelle vie a-t-il vécue ? Quelle était sa psyché ?
Je suis allée dans une bibliothèque municipale et je n’ai rien trouvé en matière de roman. C’est ce qui m’a amené à l’écrire. Je me suis dit, je vais l’écrire ce roman et, à Edmond Albius, lui insuffler une vie et lui donner une forme tangible, palpable.
Quel travail est-ce que ça a représenté de vous plonger dans les Archives ?
Gaëlle Bélem : "Il m'a fallu à tout prix me plonger dans les archives du XIXe pour connaître Edmond Albius. Il a vécu, été esclave jusqu’à l’âge de 18 ans et il y a très peu d’informations sur les esclaves. Ils étaient considérés comme une marchandise, une masse. J’ai dû chercher des informations sur un fantôme, sur des gens qui n’ont laissé aucune trace dans l’histoire. J’ai retrouvé d’autres traces, d'autres sources, des lettres, par exemple : son maître qui écrit à un ami, un acte civil qui dit qu’Edmond — il est identifié par son prénom — est venu et a reçu le nom d'Albius. On le connaît finalement par le biais d’autres personnes.
Pour ce roman, j’ai ré-endossé ma casquette d’historienne. J'aime ce statut d’éternelle apprenante ! J’ai réappris ce qu’était qu’être esclave au XIXᵉ, ce qu’était la société coloniale du XIXᵉ à la réunion.
Gaëlle BélemRomancière
"Il n’a laissé aucune trace écrite. Il ne savait pas écrire, il était analphabète. Il est possible qu’il savait signer d’une croix. On dit qu’il ne parlait pas français, mais le créole. Il est incroyable qu’un petit être ne maîtrisant pas le français, mais le créole et ayant des connaissances en grec et latin, va faire une découverte d’une portée internationale ! Capitale ! Qui n’a jamais mangé de glace à la vanille, de millefeuilles à la vanille ? Voilà comment cet individu a déjoué tous les pronostics, d’esclave anonyme sans destinée, à se retrouver face à une découverte qui le dépasse absolument. C’est incroyable ce que l’univers lui a réservé.
"Ça me rappelle une chanson de Céline Dion : Les derniers seront les premiers. Lui, dernier, de par sa condition sociale, se retrouve premier, au-devant des projecteurs de l’Histoire.
"J’ai fait des études d'histoire à la Sorbonne. Pour ce roman, j’ai réendossé ma casquette d’historienne. Je suis toujours professeur d’histoire et me plonger dans ce travail de recherche m'a donné l’impression de rédiger un devoir de master ou de thèse. J’avais choisi moi-même mon sujet et je me suis plongée dans mes travaux de recherche avec beaucoup de plaisir. J'aime ce statut d’éternelle apprenante ! J’ai réappris ce qu’était qu’être esclave au XIXᵉ, ce qu’était la société coloniale du XIXᵉ à la réunion.
Dès que vous vous éloignez des faits recueillis aux Archives, votre fiction se nourrit de la nature, des descriptions de paysage, de saveurs, d'odeurs... Est-ce finalement la nature qui nourrit le plus cette histoire ?
Gaëlle Bélem : "La nature, la végétation luxuriante de La Réunion est une source d’inspiration permanente pour moi. Ce sont les visites nombreuses, hebdomadaires dans les forêts, sur les sentiers, dans les vanilleraies, qui irriguent, enrichissent cette littérature que j’essaie de faire. J’ai besoin pour écrire un roman de m’inspirer très fortement des parfums de l’île de La Réunion, des odeurs de la nature. J’ai besoin de cela.
Dans le roman, le fruit le plus rare du titre n'est pas forcément celui que l'on croit…
Gaëlle Bélem : "Ce n’est pas celui que l’on croit effectivement. Le titre est absolument polysémique. C’est la vanille, certes, mais ne serait-ce pas l’amour ? L’amour que Ferréol porte à Edmond, celle qu’Edmond porte à sa mère morte, à sa femme Marie-Pauline. Je suis partie d’une épopée botanique à un périple d’amour. Grâce à Ferréol, il a droit à un amour paternel et ensuite, dans les bras de celle qui va devenir son épouse. Et puis, désormais, ce fruit le plus rare qu’est la vanille est aussi désormais l’un des fruits les moins rares, car tout le monde a consommé de la vanille.
Quelle a été votre réaction à l'annonce de la sélection de votre roman au prix Renaudot des lycéens ?
Gaëlle Bélem : "Je suis extrêmement fière qu'il soit retenu pour ce prix des lycéens. Je travaille moi-même avec des lycéens. Je sais qu'il y a une spontanéité dans la manière dont les ados perçoivent un livre. J’ai sauté de joie ! Je suis d'ailleurs presque tous les jours sur le Facebook du Renaudot des lycéens, car je découvre pour la première fois la manière dont se déroule ce prix !"