Prix Renaudot des Lycéens. Dans "Panorama", Lilia Hassaine nous transporte dans une société futuriste, transparente jusqu'à la nausée

Contre-utopie ultraréaliste, "Panorama" plonge le lecteur dans une société à peine futuriste, dans laquelle le regard de l'autre est bien plus efficace que toute autorité policière. C'est en tout cas, ce qu'imaginaient les citoyens jusqu'à ce qu'un événement vienne tout bouleverser. Le troisième roman de Lilia Hassaine est en lice pour le prix Renaudot des Lycéens, qui sera décerné le 14 novembre prochain à Loudun.

Qu'oseriez-vous faire si vous n'étiez jamais à l'abri des regards ? Et si le crime disparaissait, emportant avec lui l'intimité, le libre arbitre, la liberté en somme ? Que seriez-vous prêts à sacrifier pour votre sécurité ? Ces questions épineuses se percutent entre les lignes de Panorama, le dernier roman de Lilia Hassaine, en lice pour le prix Renaudot des Lycéens, remis le 14 novembre prochain à Loudun (86).

Dans un futur pas si lointain, en 2049, le crime a presque disparu grâce au système de la Transparence. Volontairement, les citoyens ont troqué la pierre des murs de leurs maisons contre de vastes vitres qui confisquent toute leur intimité, exposant leur vie privée aux yeux des voisins et passants. Ces derniers, bien disciplinés, n'hésiteront pas à dénoncer tout comportement déviant.

Cette révolution architecturale a commencé 20 ans plus tôt, lorsque les citoyens ont estimé que les institutions judiciaires n'étaient plus à la hauteur pour les défendre. Pendant une semaine, la Revenge Week, de nombreuses personnes ont décidé de se faire justice elles-mêmes, jusqu'à ce que, pour sortir de l'impasse, une grande partie des pouvoirs soit rendue au peuple. Depuis, les lois et décisions de justice sont votées sur Internet, et le quotidien se joue dans des "maisons-vivarium".

Derrière les vitres, impossible de se livrer à une quelconque forme de violence. Le moindre écart de conduite, la moindre tricherie ou infidélité sont scrutés à travers les parois de verre. Seuls quelques espaces restent opaques, des quartiers, comme celui des Grillons, qui ont refusé la Transparence pour conserver leur liberté. Garder sa liberté est un choix de vie risqué et culpabilisant.

Pourtant, dans ce contexte, une famille s'évapore, et les investigations pour la retrouver se heurtent au mode de vie d'un quartier où le paraître est roi.

À la manière de la série d'anthologie Black Mirror, Lilia Hassaine dresse le portrait d'une France fortement inspirée de la nôtre. Elle grossit à peine le trait, module quelques paramètres, et laisse le lecteur avec le sentiment que malgré les bonnes intentions initiales, quelque chose a déraillé. Fractures sociales et économiques, narcissisme des réseaux sociaux, tentation sécuritaire, servitude volontaire... Dans cette contre-utopie, l'autrice décortique subtilement les écueils avec lesquels flirte notre société contemporaine.

Entretien avec Lilia Hassaine

D’où vous est venue l’idée de cette société qui soit aussi transparente ? De quels constats de la société contemporaine êtes-vous partie ?

Lília Hassaine : "On est dans une société qui parle de plus en plus de transparence. Par exemple, aux Etats-Unis, dans les collèges et lycées où il y a eu des tueries, maintenant, on oblige les élèves à venir avec des sacs à dos transparents. Dans les entreprises, ayant été journaliste, j’ai connu des salles de montage fermées et aujourd’hui dans plein de médias que j’ai vu, elles sont vitrées pour éviter que les salariés se rassemblent dans des lieux clos. Dans le langage politique, on entend ce mot-là. “En toute transparence”, devient une expression commune qu’on emploie sans même s'en rendre compte.

Et en plus de ça, il y a les réseaux sociaux, ce sont plein de fenêtres qu’on a sur nos vies privées, intimes, des fenêtres qu’on choisit d’ouvrir ou fermer, mais des fenêtres qu’on laisse de plus en plus ouvertes parce qu’on voit de plus en plus de choses, les intimités des uns et des autres."

Cette frontière entre vie publique et vie intime, qui me semble être de moins en moins sacrée, a été un point de départ assez fort.

Lilia Hassaine

Autrice de Panorama

Y a-t-il des choses dans la société comme elle fonctionne aujourd’hui qui font qu’on pourrait avoir envie de plus de transparence ? N’y a-t-il pas aussi des travers dans l’opacité ?

L. H. : "Bien sûr et c’est pour ça que cette notion est intéressante. Quand il y a de la transparence, on se rend compte que ça change certains comportements, il y a des vertus à tout ça.

"Ce n’était pas un sujet manichéen et ça m’a intéressée. Si j’étais contre la transparence à 100 %, ça n’aurait pas fait un livre, ça aurait fait un pamphlet.

"Aujourd’hui, on est dans une société où cette transparence, elle a parfois des vertus et elle peut dériver, déraper, et on peut glisser doucement vers une forme d’intégrisme du bien, ou dans une certaine forme de totalitarisme volontaire, qu’on s’inflige à nous-même, sans tellement s’en rendre compte, en pensant être libres."

Avec la transparence, dans votre livre, l’humain est en représentation permanente, avez-vous souhaité attirer l’attention sur ce phénomène qu'on trouve dans la société contemporaine ? Des lycéens vont lire votre livre, est-ce que c’est aussi un message à leur faire passer ?

L. H. : "Bien sûr, parce qu’il y a beaucoup d’adolescents, et je pense de lycéens qui se laissent prendre par une forme de mélancolie des réseaux sociaux. Quand on a passé trois ou quatre heures sur les réseaux sociaux, on ne se sent pas très bien. Les corps qui sont montrés sont des corps trafiqués, il y a des manières d’être qui semblent très normées, on nous parle de tolérance, de diversité alors qu’on nous vend plutôt une forme de standardisation. Ce sont beaucoup de communautés de gens qui pensent pareil, qui peuvent échanger, mais en réalité les gens sont très peu prêts à changer d’avis.

J’ai l’impression que si j’avais été lycéenne aujourd’hui, je serais très angoissée par tout ça, par la violence des images qui arrivent, par la perfection d’apparence du système qui encadre tout ça.

Lilia Hassaine

Autrice de Panorama

"Par exemple, une jeune fille aujourd’hui sur TikTok va comprendre très vite qu’entre une photo ou une vidéo où elle va danser à moitié nue, et une photo ou une vidéo où elle va juste être habillée normalement et avoir un discours intelligible, c’est la première qui sera valorisée par le réseau social, et si elle veut percer, elle est plutôt incitée à produire certains contenus. C’est une forme d’habitude où, à l’heure du féminisme, on n’a jamais autant sexualisé le corps des femmes, en leur faisant croire qu’elles sont libres de choisir ça. Si j’étais adolescente, je ne suis pas sûre que je gérerais très très bien cette société de l’exposition, où on est quand même appelés à s’exprimer sur tous les sujets, à se montrer, se dévoiler, sachant qu’on a encore le droit de changer d’avis, on est adolescent, il y a des comportements qu’on peut regretter. C’est une société qui fige énormément, tout en donnant l’impression d’être très fluide."

Dans cette société, le crime a presque disparu, mais ce n’est absolument pas le cas des inégalités sociales. Pourquoi était-ce important pour vous de garder cet aspect social ?

L. H. : "Au début, je pensais vraiment rassembler les quartiers par idéologie, un quartier féministe par exemple, et en fait, je me suis dit, au-delà de nos idées, entre une féministe -avec de gros guillemets- bourgeoise, d’un milieu aisé et une féministe qui viendrait d’un quartier populaire, les préoccupations ne sont pas les mêmes. Même s'il y a aujourd’hui des vecteurs idéologiques hyper importants dans la société, il y a quand même un truc qui reste, ce sont les différences sociales. Il y a des choses qui vont traverser toutes les classes sociales comme les violences conjugales, mais à côté de ça, sur certains types de violence, on voit que le fait d’être une femme racisée, issue de quartiers populaires, ses problématiques en tant que mère de famille par exemple ne seront pas les mêmes que celles d’une féministe qui sera en train de réfléchir de manière plus théorique -parce qu’elle aura eu le bagage culturel- à sa condition de femme, au partage des tâches avec son mari."

Une relation, y compris amoureuse, se noue dans la confiance qu’on accorde à l’autre, et la confiance implique de ne pas tout savoir. Si vous savez tout de l’autre, vous n’avez pas besoin de lui faire confiance.

Lilia Hassaine

Romancière, en lice pour le Renaudot des lycéens

Qu’est-ce que ça vous a fait d’apprendre que votre livre, Panorama, était en lice pour le Goncourt des lycéens ?

L. H. : "Je suis particulièrement contente que ce soit pour ce livre-là. C’est à la fois un univers très froid qui peut être inquiétant, et en même temps, en creux, c’est aussi la possibilité d’un refuge, le fait qu’il faut préserver le secret de nos vies, qu’on n’est pas des individus parfaits, on est plein de contradictions, plein de paradoxes et que ça fait partie de notre richesse. Toutes ces idées-là, le pouvoir, la force de la littérature, ça compose notre humanité. Si on nous enlève ça parce qu’on devient, comme je l’écris dans le livre, des avatars de nous-mêmes où on se regarde les uns les autres, on se juge, on se compare, on sera très malheureux. Ce message-là, je trouve qu’il est très important aujourd’hui, pour des jeunes, qu’ils comprennent qu’une relation, y compris amoureuse, se noue dans la confiance qu’on accorde à l’autre, et la confiance implique de ne pas tout savoir, si vous savez tout de l’autre, vous n’avez pas besoin de lui faire confiance. Si ça peut amener à une forme de réflexion, pour moi, c'est déjà une grande victoire."

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