Pour son premier roman, "Les Conditions idéales", Mokhtar Amoudi suit le parcours de Skander, jeune garçon vivant en famille d'accueil, dont le destin va basculer à l'occasion d'un nouveau placement. Brillant élève, son parcours va le mener du côté dangereux des petits trafics de cité. De quel côté s'orientera la boussole morale du jeune Skander? C'est tout l'enjeu de ce récit d'apprentissage épique et déstabilisant.
Dans sa vie de jeune garçon, Skander a deux boussoles : l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et le dictionnaire. L'une le place de famille d'accueil en famille d'accueil, l'autre lui ouvre une porte vers les mots et un puits de connaissance. Si les deux semblent là pour le protéger, sa vie s'installe pourtant dans un équilibre précaire, semblant toujours sur le point de basculer du côté obscure. Celui de l'illégalité et des petits trafics de drogue. À moins que son humour et sa vivacité d'esprit ne le sauvent une nouvelle fois d'un mauvais pas. Tout au long de ce roman, le lecteur ne saura jamais tout à fait la voie que le jeune Skander choisira. Et, c'est tant mieux. Cette hésitation installe une tension narrative qui porte le lecteur et l'invite à suivre l'épopée du jeune homme.
Mokhtar Amoudi a puisé dans sa propre vie l'histoire de Skandar. Lui aussi a été placé en famille d'accueil et a grandi accompagné par l'Aide sociale à l'enfance. Mais Les Conditions idéales (Gallimard) est bel et bien un roman, "plus qu’un témoignage, car ça donne plus de liberté", confie le romancier. "Le roman permettait de faire cela, de faire passer une sensation au lecteur", ajoute-t-il.
Son roman est l'une des réussites de la dernière rentrée littéraire, l'une des voix nouvelles qui pourrait séduire les lycéens appelés à choisir un roman pour leur Renaudot, remis à Loudun le 14 novembre prochain.
Rencontre avec Mokhtar Amoudi
Les Conditions idéales (Gallimard) est un premier roman. Quelle est la part autobiographique de ce roman ?
Mokhtar Amoudi : "J’ai été cet enfant de l’ASE. J’ai connu ces banlieues assez dures. Il y a des personnages qui sont inspirés de ce que j’ai pu connaitre. Des dialogues que j’ai connus. Mais c’est un vrai roman, plus qu’un témoignage, car ça donne plus de liberté. Mon ambition de romancier était de faire quelque chose qui ressemble à un roman d’apprentissage. Je tenais à faire déployer des personnages sur 10 ans, y a des voyages, des chutes, des renaissances. Le roman permettait de faire cela, de faire passer une sensation au lecteur. C’est moi qui suis devenu Skander à la fin, je suis devenu le personnage. Skander, ce n’est pas moi, mais il a tout de moi. Il est autonomisé. Je voulais l’autonomiser. Ça vient de mes lectures…"
Vos lectures ? Lesquelles ?
Mokhtar Amoudi : "Il y a La Vie devant soi de Romain Gary. Martin Eden (de Jack London) aussi. Des romans avec un personnage central qui va se déployer sur des années et évoluer. Ce sont des romans qui m’ont influencé. Je n’ai pas de problème à convoquer des romanciers comme eux... On a tous des romanciers préférés."
Ce qui résonne, ce sont ses réactions assez simples, parfois décalées même, et il fallait respecter le fait que l’enfant ne soit pas un adulte, qu’il envisage la vie comme une découverte. C’est vraiment la découverte de la vie par Skander qui donne ce ton, qui en fait une sorte d’éponge qui enregistre et découvre beaucoup de choses.
Mokhtar AmoudiRomancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens
Parlez-nous de la voix de votre narrateur. Vous avez fait le choix d’une voix d’enfant, puis de pré-adolescent, pour quelles raisons ?
Mokhtar Amoudi : "Dans la mesure où je faisais un roman à la première personne, il était essentiel d’adapter le ton du roman, au texte, en fonction de l’âge du narrateur, en faire un narrateur omniscient qui soit un enfant. Ce qui résonne, ce sont ses réactions assez simples, parfois décalées même, et il fallait respecter le fait que l’enfant ne soit pas un adulte, qu’il envisage la vie comme une découverte. C’est vraiment la découverte de la vie par Skander qui donne ce ton, qui en fait une sorte d’éponge qui enregistre et découvre beaucoup de choses. Et le ton, je l’ai adapté au fur et mesure qu’il grandit."
Cette voix s’est-elle imposée dès le début de votre travail d’écriture ?
Mokhtar Amoudi : "Oui. J’avoue que j’ai resserré un peu le style. Ça m’est venu un peu après avoir débuté l’écriture du livre. Je me suis dit qu’il faillait quelque chose de plus direct. Il était évident que j’utiliserais Skander en personnage principal omniscient et que je n’utiliserais pas trop mon point de vue d’auteur pour influencer Skander."
Skander est encore plus marginal que les marginaux - il est sans famille ! - et pourtant, c'est un peu le rêveur. Il a ce caractère-là qui lui donne cette voix singulière.
Mokhtar AmoudiRomancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens
Skander, votre héros, ne cesse de passer à côté de ses chances… Est-ce que vous souhaitiez donner vie à une voix marginale confrontée au regard souvent condescendant du reste de la société ?
Mokhtar Amoudi : "Il est à part. Étant donné qu’il est abandonné, mis en famille d’accueil. C’est un marginal parmi les marginaux en lutte dans leur vie, à l’exception de son assistante sociale. Skander s’inscrit par une sorte de double identité, il est encore plus marginal que les marginaux - il est sans famille - et pourtant, c'est un peu le rêveur. Il a ce caractère-là qui lui donne cette voix singulière. Son identité est faite du dictionnaire et de l’ASE. Il va trouver dans sa vie sociale des gens qui vont s’occuper de lui, mais sa vie intérieure, ce sont les livres ; ils lui ont permis d’avoir une vie intérieure très forte. Même quand il grandira, c’est le souvenir de la culture et de cette ambition scolaire qui va lui rappeler qu’il peut se redresser."
Quel a été votre parcours avec les personnages ?
Mokhtar Amoudi : "J’ai écrit ce roman sur cinq ans. J’ai vraiment vécu dans le roman, je suis rentré dedans ! Comme il a fallu convoquer des souvenirs, j’ai passé de longs moments à somnoler et à penser au passé. Je suis revenu des années en arrière et j’ai même été prisonnier dedans car, malgré tout, l’enfance de Skander qui ressemble à la mienne, les amis qui se confondent parfois à des ennemis, c’est un peu le paradis perdu de l’enfance qui m’a profondément bouleversé et que j’ai été content de quitter."
L’entrée dans la littérature s’est faite par "Guerre et Paix" de Tolstoï que j’ai lu par hasard à 22 ans. Ça a été un choc, qui m’a modifié.
Mokhtar AmoudiRomancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens
Et votre envie d’écrire, comment est-elle venue ?
Mokhtar Amoudi : "Elle est venue de la lecture. L’entrée dans la littérature, dans les livres, s’est faite par Guerre et Paix (de Léon Tolstoï) que j’ai lu par hasard à 22 ans. Ça a été un choc, qui m’a modifié. Qui fait que j’ai commencé à lire des auteurs majeurs de la littérature. J’ai lu des auteurs de ce genre et j’allais d’émerveillement en émerveillement. La suite aurait pu être rien et je me serais arrêté, mais non, ça a été une succession de chocs littéraires, démystifiant. En lisant, j’ai vu que les personnages vivaient une vie qui me ressemblait. Y a eu Martin Eden, pauvre parmi les pauvres, Lucien de Rubempré (personnage de La Comédie humaine de Balzac), la déambulation ironique de Bardamu dans Voyage au bout de la Nuit (de Louis-Ferdinand Céline). Ça m’a permis de voir que la vie ressemblait à ça et ça me confrontait à la vie à Paris où la vie était dure et sourde. J’ai dû avancer dans mes jeunes années de jeune adulte avec ce sentiment de déclassement face à la vie qui s’annonçait, avec un profond désarroi."
Votre roman est en lice pour plusieurs prix, dont le Renaudot des lycéens. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
Mokhtar Amoudi : "Ça représente beaucoup de voyages. Je suis comme ces artistes, en VHR, en voyage-hébergement-restauration (rires) ! J’ai la chance que le livre soit lu, sélectionné, critiqué et ça, c’est important. Ça aurait pu ne pas se passer comme ça, j’en suis très content, ça me donne beaucoup de joie, de satisfaction pour le texte. Il y a des moments qui étaient plus effervescents que d’autres. Je suis chez moi, je fais une valise, pas le temps de faire la vaisselle ! J’ai des rencontres avec le public, en librairie, de voir le formidable engouement pour la littérature en salons…"
Les Conditions idéales est un premier roman lu par un jury de lycéens. Certains auront peut-être aussi un jour envie de franchir le pas et de prendre la plume. Qu’aimeriez-vous leur dire ?
Mokhtar Amoudi : "Je me suis rendu compte qu’il fallait se dégager du temps libre pour écrire, car ce n’est pas une activité principale. J’ai dû me sacrifier pour écrire et j’ai eu des difficultés financières pour pouvoir écrire, j’ai dû dégager du temps. C’est très beau comme pratique, mais elle appelle beaucoup de travail. C’est très beau et j’aurais certainement aimé écrire au lycée, et je pense que ça m’aurait beaucoup aidé. Donc, écrivez !"