Renaudot des lycéens. Avec "Taormine", Yves Ravey se place à la lisière du roman noir

Un couple sur le bord de la rupture s'offre des vacances en Sicile. Alors qu'il circule sur un chemin, leur voiture heurte quelque chose: une pierre ? un animal ? un être humain ? C'est le pitch de "Taormine", le formidable roman d'Yves Ravey, dans la sélection 2022 du prix Renaudot des lycéens remis le 15 novembre à Loudun.

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Le lecteur raisonnable le sait : lorsque l'on heurte quelque chose avec sa voiture, il est généralement convenu de s'arrêter pour évaluer la nature de l'objet non identifié que l'on vient de percuter. Une pierre ? Un animal ? Un être humain ? Dans Taormine (Editions de Minuit), le lecteur aura beau lutter, Melvil, le personnage principal, en vacances en Sicile avec sa compagne Luisa avec qui il espère renouer après une lourde dispute, entendra les choses différemment et s'obstinera à creuser un sillon contraire. Surtout prendre la fuite et faire comme si de rien n'était. Il suffira de trouver un carrossier pour faire disparaître toute trace de choc et rendre la voiture de location comme si de rien n'était.

Mais bien sûr (et le lecteur le sait...), c'est une très mauvaise idée. Il n'est pas là question de connaître les conséquences judiciaires d'un délit de fuite, mais bien d'ouvrir la possibilité d'un récit engagé dans une voie sans issue qui, comme si souvent dans l'œuvre d'Yves Ravey, se situe à la lisière du roman noir et du polar.

Taormine, ses plages, ses terrains vagues

La plume d'Yves Ravey ne s'embarrasse pas de psychologie mais s'attache à décrire et à installer l'équilibre "instable" du couple, à l'image des tasses du café acheté dans un snack-bar de bord de route au début du roman, "retenues par les soucoupes, (qui) tremblotaient et s'entrechoquaient entre mes doigts".

Si Melvil "redit à Luisa (sa) promesse de vacances réussies", Luisa, elle, considère tout compte fait que "l'essentiel à (ses) yeux, (...) c'est le moment présent". Sur ce chemin de terre qui devrait mener à la mer mais qui conduit d'abord à un espace de travaux bordé d'un campement sauvage, la route des vacances se retrouve contrariée par un autre récit, hors champs.

Les romans d'Yves Ravey se révèlent souvent courts et ramassés à une intrigue aussi saisissante qu'à l'issue inéluctable. C'est à nouveau le cas dans Taormine (Editions de Minuit), son dix-huitième (et brillant) roman. En quoi ce campement de migrants au début du roman peut-il avoir quoi que ce soit à faire avec les protagonistes ? Entre les lignes, il semble qu'à travers ses héros au bord de la rupture, Yves Ravey veuille, in fine, confronter ses personnages (voire ses contemporains) à une réalité invisibilisée. Qu'à trop attendre l'insouciance des routes estivales menant aux plages de sable fin sans en observer les marges, on se retrouve dans la même condition de celles et ceux que l'on ne veut pas voir. À devoir passer la frontière en clandestin.

Taormine de Yves Ravey (Editions de Minuit) est en sélection pour le prix Renaudot des lycéens, remis le 15 novembre à Loudun (Vienne). 144 pages, 16€.

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