A Poitiers, l’association Min’de rien met en relation des habitants avec des jeunes majeurs étrangers sans solution d’hébergement. Une initiative positive et essentielle. Mais qui ne panse pas la souffrance d’une jeunesse en exil qui souffre d’être dépendante malgré sa volonté de travailler.
« La famille d’accueil, c’est un soutien moral, un appui, un toit aussi. On a de tout, des gens ouverts pour t’accueillir, ça montre qu’il y a la fraternité », reconnait Mamadou. En 2017, le jeune homme est parti de Guinée. Aujourd’hui, il a 21 ans. Arrivé en France à l’âge de 16 ans et demi, il n’a jamais été reconnu comme mineur par le département de la Vienne. En 2019, sa demande de titre de séjour est rejetée. Sans aucune aide financière ni revenus depuis cinq ans, c’est grâce aux bénévoles de l’association Min’de Rien que le jeune homme peut dormir au chaud.
J’aimerais qu’on me donne ma chance. Cotiser comme tout jeune français le fait. Avoir une autonomie, mon propre appart, un travail, ma copine. C’est comme ça que tu fondes ta vie.
Mamadou, jeune en situation de migration
Un hébergement solidaire
« Institutionnellement, ils contestent une attache familiale alors que ça fait trois ans et demi que Mamadou vit chez moi, ce n’est pas innocent », déplore Nicole. A 65 ans, elle ne se présente pas comme une militante. En offrant une chambre de libre dans son T3 à Mamadou, elle a « l’impression de réparer des choses qui ne devraient pas se faire, laisser des gens dormir à la rue ». La vie avec Mamadou lui apprend une « façon de vivre quotidienne », « une force ».
On agit avec eux comme avec nos enfants.
Chantal Bernard, responsable de l'association Min'de Rien
Pour Chantal Bernard, responsable de l'association Min' de Rien, beaucoup de gens ont un lien filial avec les jeunes hébergés. Tant qu'ils ne sont pas autonomes, on ne les lâche pas. On agit avec eux comme avec nos enfants. Malgré les refus de la préfecture, Mamadou ne baisse pas les bras. Et Martine admire sa ténacité. C'est une leçon pour nous tous. Jeunes comme vieux. Sans statut identitaire, comment garder la foi, le sourire, avoir de bons résultats se battre. Cette force, Mamadou la reçoit autant qu'il la transmet. La famille d'accueil, les associations, me remontent le moral un peu.
De la Guinée à l’obtention de papiers administratifs, un long périple
Avant d’arriver en France, Mamadou a fait un long périple. Parti de Guinée en 2017, il passe par le Niger, le Mali, le Burkina Faso, puis la Libye pour rejoindre l’Italie. Un trajet gravé dans sa tête. « Surtout la Libye. Tu vois des êtres humains vendus comme on te vend un pain au chocolat dans les boulangeries ». Les prisons, les centres de rétention, les travaux forcés, reviennent dans sa mémoire entre deux pauses de cours.
« Si je n’avais pas perdu mes parents, je ne serais pas parti de chez moi », souffle celui qui a traversé le désert du Sahara et la mer méditerranée. « J’ai toujours dit à mes amis. Personne ne part de chez lui parce que ça va bien ». En France pourtant, le périple ne s’arrête pas. Après une formation en lycée professionnel où il apprend à poser la fibre, sa demande de titre de séjour est rejetée. Il ne peut travailler, mais refuse de se laisser abattre. Il reprend une formation, comme mécanicien.
Une solidarité qui se heurte à des rapports de dépendance
Après cinq ans d’instabilité, après avoir traversé un désert et la mer méditerranée, l’interdiction de travailler en France pourrait presque le décourager. « Depuis 2017, je fais des formations, je pourrais travailler. L’État ne me donne pas cette chance ». Privé d’autonomie financière, le jeune homme souffre de demander service à celle qui l’accueille sous son toit.
Quand tu as 21 ans et que tu demandes à une dame de 65 ans, ça ne te fait pas honneur. C’est moi qui devrais lui donner
Mamadou, jeune en situation de migration
Nicole, hébergeuse, a conscience aussi des limites que la dépendance de Mamadou envers elle imposent à leur relation : « c’est valable pour tous ces jeunes qui vivent depuis longtemps avec nous, qui partagent nos vies et qui ne partagent pas nos droits. C’est hyper violent ». Passer son permis, avoir un travail, une alternance. Sans papiers, Mamadou en est privé. « Tout ce dont t’as besoin, quand tu sors dehors avec tes amis, tu ne peux pas l’acheter. On part au MacDo, tu ne peux pas suivre ».
C’est valable pour tous ces jeunes qui vivent depuis longtemps avec nous, qui partagent nos vies et qui ne partagent pas nos droits. C’est hyper violent
Nicole, hébergeuse solidaire
Pour Chantal Bernard, de l’association Min’de Rien, Mamadou est « un exemple parmi d’autres de jeunes qui pourraient travailler et qui sont toujours hébergés par des familles, parce qu’ils leurs problèmes administratifs qui ne sont pas réglés ». Ces jeunes, évalués par le pôle MNA, ne sont pas reconnus comme mineurs non accompagnés (MNA) pouvant être pris en charge par le département. Ils se retrouvent alors sans aide. Pour la responsable de Min’de Rien, qu’un jeune soit reconnu mineur ou non ne change rien à l’aide dont il a besoin : « Après un tel périple, ces jeunes ne vont pas retourner en arrière, observe-t-elle. Nous considérons que nous avons face à nous une personne qui vient de se former, en maçonnerie, en cuisine, qui est connue sur le territoire, intégrée, et qui souhaite travailler. »
Personne ne part de chez lui parce que ça va bien », Mamadou, jeune en situation de migration.
Une BD qui illustre la vie des jeunes migrants
Depuis 2017, le laboratoire de recherche sur les migrations internationales, Migrinter, tente de comprendre les problématiques quotidiennes de ces jeunes migrants à Poitiers. Le chercheur en sciences sociales Louis Fournier, salue la démarche des familles d’accueil : « il y a un élan de solidarité, capital, qui palie aux manques de l’État. Sans elles, il y aurait plein de jeunes à la rue ». En septembre 2020, il lance avec Daniel Senovilla Hernandez le projet du « Migration positive ». En 2021, une BD illustrée par Maxime Jeune illustre des scènes de la vie quotidienne de ces jeunes, observées par les chercheurs de Migrinter.
Il y a un élan de solidarité, capital, qui palie aux manques de l’État. Sans elles, il y aurait plein de jeunes à la rue
Louis Fernier, chercheur en migrations internationales
Parmi toutes les situations vécues par les jeunes migrants, celle de l’hébergement : « un accompagnement pas toujours tout rose ». Après avoir recueilli plus d’une soixantaine de témoignages, Louis Fournier constate qu’il est compliqué d’éviter un déséquilibre relationnel induit par une forme de dépendance : « Si je te donne quelque chose que tu ne peux pas rendre, il y a une relation de pouvoir qui s’instaure. L’autre m’est redevable. C’est une position délicate ».
Mamadou rappelle que beaucoup d’autres jeunes partagent la même situation : « On rit ensemble, mais ce n’est pas parce qu’on rigole que tout va bien. » Comme Mamadou, ils voudraient ne peser sur personne. Travailler pour avoir une autonomie financière, payer leurs impôts, mener une vie de jeune adulte indépendant. Mais devant les obstacles : « On fait juste comme les français, même si ça va pas, il faut sourire. »