L'ASAP, accueil et soins pour adolescents en psychiatrie a été créé en 2016 à l'hôpital Henri Laborit de Poitiers. Il reçoit des jeunes juste après leur passage aux urgences psychiatriques. Découverte d'un lieu rare en France.
« Racontez l’histoire des trois petits cochons, à votre manière ». Léa* écrit : « Les trois petits cochons revisités », comme une recette. Celle de la guérison, pour sortir de son mal être qui lui pourrit son adolescence.
Léa a 17 ans, elle est passée par l’ASAP il y a deux ans et aujourd’hui elle revient pour un atelier hebdomadaire pendant huit semaines. ASAP, as soon as possible en anglais, « dès que possible » en français, ou plutôt accueil et soins pour adolescents en psychiatrie. Un drôle de nom pour une structure de l’hôpital psychiatrique Henri Laborit à Poitiers qui accueille des adolescents très dépressifs qui sont parfois passés par une tentative de suicide.
Le lieu a été créé en 2016 pour prendre le relais, après un passage aux urgences du CHU. Ces jeunes ne souffrent pas de psychose ou de maladie qui doit être soignée au fil du temps. Les adolescents qui viennent à l’ASAP ont besoin d’une prise en charge rapide et intense pour être remis sur la route...
Léa n’y croyait pas vraiment quand sa mère l’y a amenée à l’âge de 15 ans. « C’était pas de mon fait, mais avec le recul, je vois que c’était nécessaire. J’étais persuadée de pouvoir m’en sortir toute seule, mais en fait … non. » Aller à l’ASAP, cela veut dire passer cinq demi-journées d’affilées au sein d’un groupe avec cinq autres adolescents de 10 à 18 ans, et faire ensemble des ateliers. Certains vont s’exprimer et se révéler à travers un atelier sur le corps et la musique. D’autres vont utiliser la séance photos et langage, une autre parlera de sa scolarité, de son présent à travers les vidéos de YouTube utilisées comme support. La famille est abordée via la création d’un génogramme, un arbre généalogique.
Des ateliers d'accompagnement
Ces ateliers sont encadrés par une équipe (six équivalents temps plein), composée d’infirmières, éducateurs spécialisés, une assistante médico administrative, une psychomotricienne, un médecin, une psycho-sociologue. L’aspect pluridisciplinaire est essentiel pour que cela fonctionne. Chaque ado est différent, à chacun son chemin pour s’apaiser.
Tom* lui n’est pas passé à l’acte mais il a dit deux fois à ses parents qu’il voulait se suicider. « Je voulais susciter une réaction brute. Je me sentais oppressé, stressé, anxieux et je n’arrivais pas à l’exprimer ». Ce jour-là Tom fait sa première séance d’atelier écriture dans le groupe de Léa. Lui aussi doit écrire sur la thématique des trois petits cochons. « Au début je me suis dit que c’était inutile. » Finalement Tom est l’un des premiers à se lancer pour lire son texte. « En fait cela m’a permis d’exprimer plein de choses qui se passent dans ma vie, il faut que ça sorte ». Tom termine sa première séance, enthousiaste, prêt à faire d’autres choses la semaine suivante. Les soignants ne sont pas là pour analyser les travaux des jeunes. « C’est un atelier de médiation, un outil pour accompagner la parole. Quand on est déprimé, on ne pense plus. Nous sommes là pour relancer leurs pensées », explique Vanessa Violet infirmière à l’ASAP depuis deux ans.
Aux côtés de Vanessa, Charles Vergnaud intervient en tant qu’éducateur spécialisé. Tous deux font aussi l’exercice d’écriture et lisent leur texte, comme leurs jeunes patients. « La notion de groupe et d’entraide est fondamentale pour ces adolescents. On est là pour les revaloriser, leur montrer qu’ils ne sont pas seuls dans la galère », explique Charles. Léa et Tom ont accepté de nous parler mais pas à leurs copains. « J’en ai pas ou presque, des copains", assène Tom. « Moi j’ai une identité « publique », c’est difficile d’admettre ses faiblesses », rétorque la jeune fille. Tom croit savoir d’où vient son mal-être « je vois la source, j’ai besoin de parler pour être moins vulgaire et violent par rapport à ma famille. » Léa, elle, ne sait absolument d’où cela vient. « Et c’est bien là mon problème », soupire la jeune fille.
* Les prénoms ont été modifiés
À voir : Interview du docteur Damien Mallet, pédopsychiatre, co-créateur de l'ASAP
L’ASAP en chiffres
L’idée est née en 2016 pour pallier la fermeture de lits en psychiatrie.
Avant le COVID, l’ASAP était particulièrement efficace en terme de non récidive des tentatives de suicide, entre 3% et 4% contre 30 % lorsqu’il n’y a aucune prise en charge. Aujourd’hui, le taux de récidive est passé à 10%.
Avant le Covid, cinq jeunes par an étaient hospitalisés en structure psychiatrique fermée pour des séjours de 15 jours à 3 semaines. Aujourd’hui ce sont 20 jeunes par an.
Dans la Vienne en 2016, 300 adolescents par an arrivaient aux urgences psychiatriques. En 2021, ils étaient 600.
Entre janvier et mi février 2022, cinq adolescents se sont suicidés dans la Vienne contre deux dans toute l’année 2021.
Reportage de Marie-Noelle Missud, Marine Nadal et Bénédicte Biraud