Le "fisha" ou la publication de photos ou de vidéos à caractère sexuel sur les réseaux sociaux sans le consentement de la personne. Laura Pereira Diogo en a été victime. Cette jeune femme de 23 ans, originaire de Poitiers, partage aujourd'hui son expérience et défend les femmes qui le subissent.
Laura Pereira Diogo fait partie des fondatrices de Stop Fisha. Douze femmes de 16 à 50 ans qui, en novembre 2020, se sont associées pour lutter contre le cyberharcèlement en ligne à caractère sexuel. Elles ont sorti un livre "Combattre le cybersexisme" (Leduc). Laura Pereira Diogo a 23 ans et est devenue coordinatrice de l'observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur. Elle a témoigné sur l'antenne de France 3 Poitou-Charentes dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Qu’est-ce que le fisha ?
Le terme "fisha" signifie "affiche" en verlan. Ce qui implique que ce sont des comptes, des groupes sur les réseaux sociaux où sont affichées des photos nues ou des contenus à caractère sexuel de jeunes femmes.
Vous avez été concernée…
Une vidéo avec un contenu sexuel a été récupérée à mon insu et diffusée ensuite sur le compte privé d’un ami du lycée. Cela s’est passé avant la rentrée de terminale. J’ai d’abord reçu des insultes en ligne, ensuite de manière physique au lycée. Et cela n’a pas impliqué que des personnes de mon lycée, puisqu’il y a eu une multitude de personnes d’autres villes aux alentours qui me faisaient des remarques en ligne. Cela a duré le temps de la terminale et peu à peu cela s’est calmé. Je recevais de temps en temps une notification comme quoi la vidéo avait été partagée dans telle équipe de foot. La dernière fois, un faux compte m’a contactée me disant qu’il avait la vidéo. Si je ne voulais pas qu’il diffuse la vidéo, il fallait que je le rencontre et que j’aie un rapport sexuel avec lui.
Avez-vous porté plainte contre la personne qui a diffusé la vidéo ?
Non, car il a été coopératif pour m’aider ensuite à faire disparaître cette vidéo. Et j’étais mineure à l’époque et je ne voulais pas que mes parents l’apprennent. Mais j’ai retrouvé plus tard ce garçon sur deux groupes "fisha". Je me suis rendu compte que finalement, il n’avait pas changé. Il faisait partie d’un groupe de garçons qui notaient les conquêtes des copains, et pour noter, il faut des preuves. Donc il fallait qu'ils filment pour noter. Quand j’ai vu ça, je me suis dit que finalement, j'aurais dû porter plainte. Mais j’ai supprimé tout ce que j'avais. Et grâce à "Stop Fisha", dans ces moments-là aujourd’hui, j’ai une équipe autour de moi pour en parler.
Comment avez-vous vécu cette épreuve ?
Comme j’avais à cœur que mes parents ne le sachent pas et que cela ne perturbe pas ma scolarité, j’ai tenté de garder la face. À mon entourage, je ne laissais rien transparaître et je disais : "Je gère ! Je gère !" Mais j’ai plongé dans une hypervigilance. Dès que je recevais des messages d’amis, je m’attendais au pire. Et j’ai fini par me battre avec une fille qui m’avait insultée.
Il est important d’avoir une très bonne cybersécurité sur son téléphone ou son ordinateur pour éviter que n’importe qui puisse en récupérer le contenu.
Laura Pereira DiogoAssociation Stop Fisha
Comment avez-vous surmonté ?
Je n’ai pas vu de psy, mais la même année de terminale, je suis devenue ambassadrice "anti-harcèlement" au lycée. Et nous avons participé à un concours de court-métrage dont le thème était le harcèlement sexuel. J’ai mis ma propre histoire dans ce court-métrage et nous avons gagné le prix académique. Avec ce film, je suis allée de classe en classe, dont celles où se trouvaient des personnes qui m’avaient insultée. Cela a été la première reprise de pouvoir sur ma vie.
Le cyberharcèlement est un phénomène qui touche majoritairement des femmes ?
Aux niveaux national et international, ce sont 85 % de femmes qui sont exposées à des formes de violence en ligne et au niveau des statistiques européennes, les femmes sont 27 fois plus vulnérables concernant la violence en ligne.
Votre association Stop Fisha accompagne les victimes
Nous avons un pôle "accompagnement" et un pôle "signalement" qui travaillent de concert. Quand une personne nous contacte, il y a déjà un contact humain, bien que ce soit en ligne. Nous allons chercher à comprendre la situation, à rediriger la personne vers le pôle juridique, s’il y a une volonté de porter plainte. Nous proposons aussi un pôle "accompagnement psychologique". Et nous aidons à faire supprimer les contenus en nous appuyant sur les liens que nous avons avec les plateformes.
Est-ce compliqué ?
Oui, cela peut l’être. Ce sont des liens qu’il faut entretenir. Il existe des types de contenus et de vocabulaire qui parfois sont en verlan. On pense que ce n’est pas une insulte, mais en fait c’en est une. Il y a des codes générationnels qui font que certains mots sont des insultes sans que le dictionnaire le mentionne par exemple.
Quels conseils donnez-vous aux femmes pour éviter d’être victimes de cyberharcèlement ?
Dans tous les cas, si cela leur arrive, il faut qu’elles se disent que ce n’est pas de leur faute. Que ce soit du contenu envoyé volontairement ou utilisé à leur insu. Car on peut même être victime de cyberharcèlement avec des montages qui paraissent très réalistes. Quelqu’un qui ne ferait jamais de nude [photos de soi nu, NDLR] peut quand même se retrouver affichée sur un site. Et si on fait des nudes, il faut éviter de prendre sa tête afin de limiter le fait qu’on puisse être reconnu. Et ce qui est important, c’est d’avoir une très bonne cybersécurité sur son téléphone ou son ordinateur pour éviter que n’importe qui puisse en récupérer le contenu.
Il faut porter plainte pour faire supprimer les photos ou les vidéos ?
Quand on passe par une plainte, la procédure n’est pas rapide. Contacter des associations ou des organismes comme Pharos permet d’avoir une action directe pour faire supprimer ces contenus.
Pour rappel, diffuser des photos ou des vidéos à caractère sexuel sans le consentement de la personne est un délit qui peut être condamné en France à deux ans de prison et 60 000 euros d’amende.