"On est dans une société complètement malade" : 11 000 cas dans la région, les chiffres inquiétants des violences faites aux femmes

Rien qu’au mois de septembre, 826 faits de violences sexuelles ont été recensés en Nouvelle-Aquitaine. Un chiffre en hausse de près de 28% qui témoigne d’une augmentation générale de ces violences malgré le travail des associations et des forces de l’ordre.

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Une femme sur dix est victime de violences sexuelles, soit 8 648 personnes. C’est le constat réalisé en 2023 en Nouvelle-Aquitaine. “On est dans une société complètement malade”, confie Annie Carraretto, présidente du Planning familial de Gironde.

11 000 faits de violences

Au contact des victimes, dans leurs locaux ou dans les tribunaux, l’association ne cache pas sa “frustration” face à des chiffres, en perpétuelle augmentation. “Toutes les associations croulent sous le travail”, assure la présidente de l’association girondine. Si l'effet de libération de la parole avec des victimes influence ces chiffres, “il y a tout de même une femme qui meurt, en France, tous les deux jours et demi de féminicide.”

Selon la préfecture de Gironde, au niveau national, 122 féminicides ont déjà été recensés depuis le début de l'année. L’année 2023, on en comptait 93. “Ces dernières années, une augmentation significative du nombre de faits constatés par les forces de sécurité est observable”, ajoute la préfecture, au sujet des agressions faites aux femmes. Ainsi, près de 11 000 faits de violences sexuelles ont été recensés dans la région en 2023, dont plus de 3 200 en Gironde. “Pour le seul mois de septembre 2024, 826 faits de violences sexuelles ont été constatés dans la région”, précise d’ailleurs la préfecture. Une augmentation qui dépasserait les 28 % selon la présidente du Planning familial de la Gironde.

Comme pour le procès de Mazan, on en est là parce que toute la société est imprégnée de cette culture du viol.

Annie Carraretto,

présidente du Planning Familial de la Gironde

Selon la préfecture, depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, 421 femmes ont été victimes de viols, dans le cadre intrafamilial, conjugales ou non, en Nouvelle-Aquitaine. Elles sont, pour la même période, 229 à signaler avoir subi du harcèlement ou des agressions sexuelles. “C’est une augmentation, légèrement en deçà de celle, nationale, de 12%”, détaille Annie Carraretto.

Ces chiffres, le Planning Familial les connaît par cœur. Pour autant, ils seraient, selon l’association, sous-évalués. “Pour les féminicides, par exemple, si on prenait en compte tous les suicides liés à des violences intrafamiliales, le nombre serait multiplié par trois”, souligne Annie Carraretto. Du côté des auteurs, selon la préfecture, 4 687 personnes ont été mises en cause pour des faits de violences sexuelles, dans la région en 2023, dont 1 465 en Gironde.

Amélioration de la prise en charge

Si les chiffres continuent de faire frémir les acteurs de lutte contre ces violences, la prise en charge des victimes, elle, est sur la bonne voie. “Il y a une amélioration sur la prise en charge, et sur la reconnaissance des victimes, indique Annie Carraretto. Pour autant, les chiffres ne baissent pas”. L’association regrette cependant des difficultés autour du parcours de reconnaissance. “Ça met beaucoup de temps. Il faut des mois, des années. Pour les viols, souvent, il faut la parole de plusieurs victimes pour que l’on croie avec certitude la première”, soupire-t-elle.

En Gironde comme dans tous les départements, suite au Grenelle de 2019, de nombreuses unités et cellules ont été créées pour permettre un meilleur traitement des violences, qu’elles soient intrafamiliales ou non. C’est le cas de la CAPE (cellule d’atteintes aux personnes) de Mérignac. Ces cellules, au nombre de sept sur le département (Arcachon, Blaye, Bouliac, Langon, Lesparre, Libourne et Mérignac), où évolue une cinquantaine de gendarmes volontaires qui ne traitent que des violences intrafamiliales, des agressions sexuelles et viols en dehors de cette sphère.

Une spécialisation qui permet à ces militaires une meilleure “efficacité”. “En moyenne, en brigade classique, ces dossiers sont traités en 4 à 6 mois. Nous, parce que nous ne sommes pas pollués par le reste, nous les traitons en un mois maximum, 48 h pour les cas de flagrance”, indique Didier Maës, adjudant de la Cape de Mérignac. Parmi ces dossiers, les agressions sexuelles et viols constituent une large part : de 48 dossiers en 2020, les gendarmes en ont traité 67 en 2024.

Lors des auditions des victimes, on va faire le tour des violences que la personne a pu subir : psychologiques, physiques, religieuses, cyber, sexuelles.

Didier Maës,

Adjudant de la CAPE de Mérignac

Dans leurs ordinateurs et dans les bureaux, les témoignages révèlent autant des faits anciens que des violences encore vives. “On travaille soit sur des enquêtes préliminaires, donc sur des faits anciens, soit sur des flagrances, où là, il y a un caractère urgent, explique l’adjudant Didier Maës. On peut être saisi soit par la victime elle-même, mais parfois ce sont des signalements de voisins, de proches”. Les gendarmes vont alors convoquer la victime et prendre le temps d’échanger, “en moyenne cinq heures”.

À Mérignac, ces gendarmes traitent en majorité des faits de violences intrafamiliales, qui ont augmenté de 78 dossiers en 2023 à 95 dossiers cette année. “Souvent les faits sont des violences conjugales, perpétrées par le conjoint ou l’ex-conjoint”, explique l’adjudant Didier Maës. Nous, on cherche d’ailleurs à briser ce cycle de la violence qui pousse souvent la victime à revenir auprès de son agresseur.” Les militaires sont en lien permanent avec les institutions et les associations pour trouver des solutions lorsque les victimes acceptent de quitter le conjoint violent. 

Éduquer la société à un cout : 2,6 milliards d'euros

Après une lutte acharnée en janvier dernier pour perdurer au niveau local, le Planning familial confie aujourd'hui ses craintes, face aux restrictions budgétaires et aux équilibres financiers précaires des associations, mais aussi de tout le système judiciaire. “La police, la justice croulent sous le travail. C’est pour cela qu’on demande des moyens au niveau national pour que l’ensemble des demandes puissent être traitées”, martèle Annie Carraretto.

À contre-courant de la loi de finances, qui envisage de baisser les dotations allouées aux départements, et in extenso, aux associations, ces dernières réclament 2,6 milliards d’euros, au niveau national “nécessaires pour faire toutes les actions de prévention et transformer la société tout en protégeant les victimes, et en s'occupant réellement des auteurs”. “Nous exigeons une loi-cadre, globale et transversale sur les violences faites aux femmes et aux enfants”, ajoute le réseau Violences de la Gironde, qui réunit sept associations du département.

Si le Planning familial est connu pour son accompagnement des victimes vers des structures adaptées, il est aussi présent lors des procès, en tant que partie civile, et peut être amené à avancer les frais, pour certaines victimes “pour éviter qu’elles se ravisent”.

En parallèle de ce volet judiciaire, le Planning Familial, comme d’autres associations de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, assure des campagnes de sensibilisation dans les écoles. “On ne parle pas de sexualité à proprement parler. On va évoquer des notions de consentement, de respect des autres. Quand on travaille là-dessus, on se rend compte qu’on apaise de nombreuses tensions, au-delà même de la classe”, explique Annie Carraretto.

Un travail qu’elle réalise aussi pour que des collègues, des amis ou des membres de la famille puissent aussi prendre la parole. “Les affaires que nous suivons, comme celle du radiologue de Langon [condamné en première instance à 17 ans de réclusion pour viols sur huit femmes, ndlr], est un exemple de cette société qui sait, mais se tait. Il faut l’éduquer à libérer la parole dans le monde professionnel ou personnel”, assure la présidente du Planning Familial. 

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