Témoignage. Violences conjugales : comment se reconstruire

Publié le Écrit par Alicia Girardeau
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À l'occasion de son quarantième anniversaire, l'Apafed, association d'aides aux femmes et enfants victimes de violences, était reçue au salon d'honneur de la mairie de Bordeaux. Un moment empreint d'émotion où les parcours des femmes accompagnées ont été valorisés.

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Il faut du courage, et surtout beaucoup de résilience pour lever le voile sur son passé cabossé. Il en faut encore davantage pour oser faire face à un public d'une cinquantaine de personnes, bienveillant certes, mais toutefois effrayant. Pour Gré*, le temps est aujourd'hui venu de raconter son histoire afin d'aider toutes celles qui ont peur de "se lever et de partir". Quand elle était jeune maman, la Camerounaise, arrivée en France par regroupement familial, décide de quitter son conjoint violent, tout comme les deux autres femmes présentes à ses côtés, qui ont, elles aussi, accepté de témoigner. Le début d'un long chemin, "comme un long puzzle sans savoir comment reconstituer les morceaux".

"Je ne savais pas où j'allais"

Sur scène ce mercredi 16 octobre, dans le prestigieux salon d'honneur de la mairie de Bordeaux, Gré s'accompagne de quelques notes pour retracer son histoire. Dès son arrivée en région parisienne, la jeune Camerounaise découvre une "autre facette de son ex-époux". "Il a voulu me soumettre à des pratiques sexuelles que je ne connaissais pas, une forme de prostitution." Elle refuse, puis tout dégénère. "Ça s'est suivi par des insultes, des rabaissements. Quand les coups ont commencé, je suis partie de la maison, enceinte et avec mes deux enfants en bas âge."

Seule et sans repère, la mère de famille se dirige d'abord vers le 115 mais "monsieur parvient sans cesse" à la retrouver, la suivant dans les parcs ou à l'école de ses enfants. "À un moment donné, affaiblie par ma grossesse, j'y suis retournée, accompagnée par des associations de famille, mais là c'était de mal en pire."

Une fois j'ai rencontré un travailleur social qui m'a dit : "Vous quittez la région parisienne, avec vos trois enfants en bas âge, vous venez ici, vous pensez qu'on va faire quoi pour vous ? Vous pourriez retourner au Cameroun par exemple ?" J'ai pleuré toutes mes larmes.

Gré

femmes victime de violence conjugale accompagnée par l'Apafed

Gré s'appuie par la suite sur l'une de ses connaissances dans la ville de Bordeaux, "une personne bienveillante" qui lui tend la main. "Je ne savais pas où j'allais, mais je me suis dit que j'allais saisir cette chance."

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"Reconnaître mon statut de victime"

Cette chance prend le nom de l'Apafed, une association d'aides aux femmes et enfants victimes de violences, présente sur le territoire girondin depuis quarante ans. "J'ai tout de suite été apaisée par leurs mots, j'ai trouvé là-bas des femmes à l'écoute qui nous encourageaient malgré nos écarts de comportements dus à nos traumatismes", se souvient-elle.
Stéphanie Espinard a, elle aussi, bénéficié de l'accompagnement de l'association. Lors de sa première consultation, elle se souvient d'une écoute attentive, de paroles "justes qui résonnaient comme des phares". "Reconnaître mon statut de victime, c'était ouvrir la voie à la guérison." 

J'ai eu un espoir et là je me suis dit qu'une nouvelle vie était possible. 

Gré

femme victime de violences accompagnée par l'Apafed

L'association pour l'accueil des femmes en difficulté dispose de quatre services. Une ligne d'écoute accessible 24h/24, un centre d'accueil, d'hébergement et un pôle enfance. "Nous les accueillons comme elles sont avec leur histoire, détaille Marie Daniel, cheffe de service. Ces femmes ont été privées de leur pouvoir d’agir. Quand elles sont accompagnées, elles sont repositionnées dans une posture de sujet en mesure de s’autodéterminer."

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Gré raconte son parcours de reconstruction après des violences conjugales. ©Alicia Girardeau France 3 Aquitaine

Mise à l'abri

Très vite, Gré se verra proposer une place dans le centre d'hébergement puis dans un logement individuel avec ses enfants. "Je recommençais à dormir, je me sentais en sécurité", insiste-t-elle. Elvyre aussi intègre le foyer avec sa fille en novembre 2023. "C'est petit, très petit, mais je me sens comme dans un château." Quelques mois plus tard, une fois prête, elle emménage dans son propre "logement d'insertion". 

En quatre décennies, l'Apafed a accueilli plus de 40 000 victimes, 311 femmes et enfants ont été hébergées sur l'année 2023. "C'est vertigineux, relève Naïma Charaï, directrice de l'association et ex-conseillère régionale. Loin d’être une fierté, c'est un constat effrayant."

Papa était souvent énervé. Quand je suis arrivée j’ai cru que je n’allais pas avoir de copine j’avais peur. J’ai dormi dans la même chambre que ma maman ça m’a embêtée. Quand je serai grande je serai éducatrice. 

Lili

petite fille de 8 ans accompagnée par l'Apafed

Plus de moyens

En Gironde, Naïma Charaï note une augmentation de 12 % des violences faites aux femmes sur le département. "D'abord il y a eu #Metoo qui a permis aux femmes de libérer leur parole et le confinement a fait augmenter les faits de violence conjugale et donc fait augmenter notre activité." Des besoins de plus en plus forts, qui contrastent avec des moyens insuffisants.

"Les politiques publiques délèguent l'accompagnement des femmes aux associations, mais ne nous donnent pas les moyens de le faire, pointe Catherine Abeloos, présidente de l'Apafed. Les personnes en situation de vulnérabilité seront les premières victimes indirectes de ces conditions."  Elle regrette la baisse des aides de l'Etat, "heureusement compensées par les collectivités territoriales".

Je souhaite que les pouvoirs publics se saisissent de la question de l'éducation sinon on continuera d'accueillir.

Naïma Charaï

directrice de l'Apafed

L'éducation

Pierre Hurmic, le maire EELV de Bordeaux, assure faire de ce combat une priorité. "Faire de la prévention aux inégalités ne suffit pas à protéger les victimes, il faut pouvoir leur venir en aide dans l'urgence", indique l'élu. "Il y a indéniablement une prise de conscience sociétale au-delà du politique, ajoute Naïma Charaï. Les politiques ne sont pas en dehors, ils ont été embarqués dans ce mouvement."

Au travers de son accompagnement, l'Apafed espère "faire passer un message d'espérance". "On veut montrer qu'un autre chemin est possible", insiste la directrice. Depuis sa prise en charge, Gré a repris confiance en elle. "J'ai fait une formation d'aide soignante pendant onze mois, j'ai réussi mon examen, et aujourd'hui je suis fière de moi." Elle exhorte toutes les femmes qui hésitent "à fermer la porte de leur passé et regarder vers l'avenir".

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