Deux anciennes employées de l'entreprise Cofaq (Coopérative nationale des quincailliers indépendants), basée à Poitiers, ont porté plainte pour harcèlement sexuel contre deux harceleurs présumés au sein de l'entreprise et contre la société qui n'a pas su les protéger.
C'est une parole rare, celle de deux femmes qui dénoncent des faits de harcèlement sexuel au travail. Deux anciennes employées du groupe Cofaq, spécialisé dans l'outillage, ont porté plainte pour harcèlement sexuel. En février dernier, le conseil des prud'hommes de Poitiers a condamné l'entreprise pour ne pas avoir assuré la sécurité de l'une de ses femmes qui dénonçaient ces faits.
"Je vois qu'il se touche à côté de moi"
Eva est arrivée chez Cofaq en septembre 2022. Peu de temps après avoir été embauché, un supérieur de l'entreprise se montre insistant avec elle, et lui propose même d'aller boire un verre, ce qu'elle a toujours refusé. "Un mois après avoir commencé chez Cofaq, il m'a fortement conseillé de l'accompagner chez un adhérent et ne m'a pas laissé le temps d'indiquer mon absence", précise Eva. Et c'est à ce moment-là que tout va basculer.
Il me répond : 'Ah bah ma salope, tu connais du beau monde !' Sur le coup, je ne comprends pas.
EvaAncienne employée
Sur le chemin, elle lui raconte ses projets de vie : "Je lui explique que j'envisage de créer ma propre entreprise d'ici à plusieurs années. Il me dit que pour cela, il faudrait connaître du monde. Ce que je lui réponds que j'ai déjà un carnet de contact parce que j'ai travaillé dans une pépinière d'entreprise. Et là, il me répond : 'Ah bah ma salope, tu connais du beau monde !' Sur le coup, je ne comprends pas", déclare-t-elle.
Après le rendez-vous, Eva et son supérieur reprennent la route, et la situation va empirer. "Il commence à me parler de mon couple, il se prend pour mon mari et commence à m'appeler 'ma petite salope'. Au chemin du retour vers l'entreprise, il me demande de décrire mes fantasmes. Je ne sais pas plus ce que je lui réponds, je suis dans un état de stress total, mon cerveau fait un blackout de ce qu'il s'est passé. Il me raconte encore une histoire avec une collègue dans son ancienne entreprise, et je vois qu'il se touche à côté de moi."
Une direction complice de ces agissements, selon les anciennes employées
Eva en parle à des collègues au sein de l'entreprise. La direction des ressources humaines lui apporte directement son soutien, mais cela va être de courte durée selon elle. "Le lendemain, je suis encore convoquée par la DRH et j'ai l'impression que c'est un procès à mon égard. Je suis considérée comme la harceleuse et l'on me dit que je fais ça pour l'argent, c'était affreux. Je rentre chez moi, je suis anéantie. Ça se retourne contre moi alors que je suis la victime. On me dit qu'il n'y a pas assez de preuves pour faire quelque chose."
Le fait que ma vie soit détruite, ils n'en ont rien à faire. En fin de semaine, on me dit de reprendre le travail comme si de rien n'était, sans protection
EvaAncienne employée
Lors d'un autre entretien, la DRH aurait même incité Eva à quitter l’entreprise. "Elle me dit : 'Madame, on ne peut pas détruire la vie d'une famille comme cela'. Mais moi, le fait que ma vie soit détruite, ils n'en ont rien à faire. En fin de semaine, on me dit de reprendre le travail comme si de rien n'était, sans protection. Je perds deux kilos en moins d'une semaine, je ne dors plus, je suis vraiment très mal."
Ce que dément la direction. Laurent Huntzinger, directeur général, indique avoir mis en place des mesures de protections pour sa salariée. "Nous avons activé tous les protocoles d’écoute et d’échanges entre Eva A., notre DRH et notre référente harcèlement, pris les mesures de précaution pour la protéger et décidé de la mise à pied immédiate de Monsieur X."
Pourtant, Eva n’aurait pas reçu de réponse à sa demande d’être protégée, qu’elle a envoyé par mail. "Je devais reprendre le travail comme si de rien n'était, sans aucune protection mise en place pour moi." Elle décide de porter plainte, contre l'entreprise et contre son supérieur hiérarchique. Ce dernier est licencié pour faute grave, le 7 décembre 2022, mais cette faute ne serait pas liée aux faits qu'Eva lui reproche.
Ce qui a fait tenir Eva dans cette aventure, c’est le soutien de plusieurs salariés de l’entreprise. "On a du mal à la croire au début, avoue Bruno (ce prénom a été modifié). La première réaction, c'est : 'ce n'est pas possible, c'est dégueulasse'. J'ai essayé de la soutenir au mieux, de la conseiller, même si cela faisait un mois que l'on travaillait ensemble. Pour moi, ça me semblait évident de l'aider. Après, ça m'a mis en porte-à-faux quelques mois plus tard : je pense que je referai pareil. C'est juste normal, on ne devrait même pas se poser de question."
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"Je commençais à avoir des crises d'angoisse au travail"
Le cas d'Eva ne serait pas unique dans cette entreprise. Romane aurait été confrontée à un autre homme, marié et père de famille, qui à l'âge de son propre père. "Je suis arrivée dans l'entreprise Cofaq et très rapidement, j'ai été complimentée par mes collègues parce que je faisais un bon travail. Tout se passait très bien. Petit à petit, on est venu aux compliments personnels de la part de mon supérieur, du genre, 'Tu ne me laisses pas indifférent', 'Tu ne me laisses pas de marbre, mais surtout n'en parle pas, c'est très important'."
Son supérieur insiste et continue à lui envoyer des messages. "C'était un ou deux messages avant d'embaucher, des sortes de poèmes. Au final, je ne réponds pas et il me claque la porte au nez, il devient très désagréable. Je commençais à avoir des crises d'angoisse au travail. J'ai commencé à en parler avec mes collègues lorsqu'il est parti en vacances, pour ma sécurité. Il m'envoyait encore des messages : j'avais l'impression de détruire une famille, j'ai beaucoup culpabilisé. Au bout d'un moment, je me suis senti coupable."
Mon harceleur a creusé ma tombe, la direction de l'entreprise m'a poussée dedans.
RomaneAncienne employée
Romane, elle aussi, a eu le sentiment de se heurter à un mur, lorsqu'elle a informé la direction des ressources humaines. "Je ne pensais pas qu'en 2024, on pouvait recevoir ce genre de réflexion de la part d'une direction des Ressources humaines. On m'a dit : 'Pourquoi tu ne l'as pas dit avant ?' ou 'C'est toi qui t'es mis dans cette galère-là'. Mon harceleur a creusé ma tombe, la direction de l'entreprise m'a poussée dedans."
Une autre ancienne salariée témoigne anonymement, par crainte des représailles. Elle évoque un climat délétère au sein de l'entreprise Cofaq. "Depuis l'arrivée de cette nouvelle direction, c'est une succession de licenciements : pour faute, pour burnout... Il n'y a pas uniquement que des cas de harcèlements sexuels".
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Des séquelles à vie
Romane a porté plainte pour harcèlement sexuel contre son supérieur et une procédure est en cours. Cette rencontre a fait de sa vie un calvaire : "J'ai totalement perdu confiance en moi. J'ai été face à une direction qui était complice, et qui a fait en sorte que le harceleur puisse continuer ses agissements. Moi, j'ai été licenciée pour inaptitude au travail. On voit bien qu'il y a un problème. Je n'ai pas pu reprendre un travail à présent, parce que j'en étais incapable. Je ne peux pas être potentiellement sous les ordres d'un homme."
Je suis détruite : quand je croise le même véhicule de la DRH, j'ai des crises d'angoisse au volant.
EvaAncienne employée
Eva aussi a le sentiment que cette journée avec son supérieur a détruit sa vie. "Je ne me promène plus toute seule parce que j'ai peur des représailles de mon harceleur et de mon entreprise. Je prends des traitements pour dormir la nuit, je suis suivie depuis un an au centre de psychotraumatologie de Poitiers. Je suis détruite : quand je croise le même véhicule de la DRH, j'ai des crises d'angoisse au volant. Le comportement de la direction de Cofaq m'a anéanti."
Eva a déjà gagné aux prud’hommes en février dernier contre l'entreprise Cofaq et a obtenu des dommages et intérêts. L'entreprise a été reconnue coupable d'avoir violé son obligation de sécurité à l'égard de sa salariée. La société Cofaq a fait appel de cette décision le 25 mars dernier.