Sur son compte TikTok, la députée Françoise Ballet-Blu partage des vidéos de géopolitique depuis août 2021, avec l'ambition de mieux expliquer ce qui se passe dans le monde, et de lutter contre la désinformation.
Trois millions de vues, 376.000 j'aime et plus de 11.000 commentaires... pour une vidéo sur la situation en Ukraine sur TikTok. L'autrice de la vidéo, Françoise Ballet-Blu, en est elle-même étonnée. La quinquagénaire, députée LREM de la première circonscription de la Vienne vient du monde de la communication digitale, mais pour elle, ce réseau social n'est pas forcément évident : "moi c'est plus Facebook, Instagram et Twitter", confesse-t-elle, "mais j'ai un collaborateur de 24 ans qui est en pointe sur TikTok !"
Dans ce court format, elle fait le point sur les tensions entre la Russie et l'Ukraine, un sujet qu'elle maîtrise plutôt bien puisqu'elle est membre de la commission de la défense nationale et des forces armées à l'Assemblée nationale, et membre suppléant à l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Sur son compte Tiktok, elle compte quatre autres vidéos qui évoquent notamment la condition des Ouïghours en Chine ou la crise des sous-marins entre la France et les Etats-Unis.
Informer avec les codes de TikTok
Pour réaliser ces vidéos, Françoise Ballet-Blu a donc fait appel à ses collaborateurs parlementaires : "on travaille en équipe", nous raconte la députée, "on travaille le fond, on doit souvent couper pour faire une minute, puis on fait le montage avec la voix dessus."
Cela peut paraître simple à première vue, mais pour Enrique Prazian, 24 ans, collaborateur à mi-temps et chef d'une entreprise poitevine de communication, la tâche est conséquente, surtout quand il doit fouiller dans les archives : "c'est un travail colossal, il faut que je fasse en sorte d'avoir des images qui correspondent à ce qu'on dit".
L'enjeu est ensuite d'adapter le fond à la forme attendue sur ce réseau social, très prisé des adolescents et jeunes adultes : "il faut rendre ça dynamique, très court avec des coupes rapides, pas plus de trois secondes par plan", explique-t-il. Le montage accompagné de musique, ne semble pas d'emblée approprié pour des thèmes tels que la géopolitique, mais le jeune homme estime que ce travail est nécessaire : "quand on est sur TikTok, on tombe sur beaucoup de fausses informations", déplore le jeune homme, "il suffit de taper #Ukraine ou #Russie et on voit des choses qui font peur".
Lutter contre les fausses informations et le complotisme
C'est bien ce qui a motivé Françoise Ballet-Blu en août 2021. Mère de deux filles de 16 et 20 ans, la députée a découvert avec inquiétude les divers contenus de TikTok : "on en avait marre de voir toutes les fake news que gobent les jeunes, et pas que les jeunes d'ailleurs, de les voir gober les thèses complotistes qui tendent vers les extrêmes."
Quand on touche les très jeunes, on travaille pour demain, pour la démocratie de demain
Françoise Ballet-Blu, députée de la Vienne
Pour contredire les messages qu'elle qualifie de mensongers, la députée doit donc se montrer irréprochable sur son propre compte. En plus de choisir des sujets qu'elle maîtrise, Françoise Ballet-Blu multiplie les sources d'informations : "j'essaye d'être en accord avec la vérité qui émane d'organes fiables, de l'actualité, notre contenu, on le challenge à plusieurs, on est trois à se pencher sur les sources, sur les images... On est droit dans nos bottes, on explique mais on n'essaye pas de convaincre."
Résultat : des vidéos au ton presque journalistique, que la députée veut aussi neutre que possible. Dans sa lutte ouverte contre les fake news, il n'est pas question pour autant de se substituer aux professionnels de l'information : de fait, elle reste une députée de la majorité, avec son propre agenda sur lequel figurent les élections présidentielle et législatives de 2022.
L'angle reste choisi, il reste de fait partisan, il faut toujours regarder qui parle, et est-ce que cette personne a son propre intérêt
Samuel Attia, responsable du Master communication publique et politique à Science Po Bordeaux
Pour le consultant en communication, Samuel Attia, la présence de femmes et d'hommes politiques sur des plateformes comme TikTok, Facebook, Twitter ou même Instagram n'a rien de nouveau, et la plupart des candidats à l'élection présidentielle l'ont bien compris : "le fait d'utiliser les réseaux sociaux comme canal de communication c'est une relation directe avec le public sans passer par le canal médiatique, et sans passer par le filtre de la réflexion des journalistes".
Une démarche originale, mais pas forcément efficace contre les complotismes
En revanche, il note que la présence de Françoise Ballet-Blu sur TikTok, les contenus qu'elle diffuse et le ton qu'elle emploie sont moins habituels, décentrés de sa personne au profit des informations qu'elle propose : "elle s'exprime sur un ton informatif, c'est une particularité par rapport à ce que font d'autres politiques (...) les vidéos sont montées, ce n'est pas le même usage de TikTok que le public."
Cela étant dit, le responsable du Master communication publique et politique reste réservé quant à l'efficacité de ces vidéos contre les complotismes : "il s’agit d’une communication descendante uniquement, qui plus est émanant d’une personne qui, du point de vue du public, est plus là pour représenter le pouvoir que pour représenter « ses » administrés". Selon lui, "l’enjeu face aux complotismes, est surtout de réapprendre à dialoguer, à débattre, à argumenter, ce qui implique d’écouter l’autre, de prêter attention à ce qu’il dit et d’échanger avec lui". Il déplore lz fait que le débat se limite aujourd'hui à des "monologues parallèles" et craint que le compte TikTok de Françoise Ballet-Blu ne soit en fin de compte qu'un "monologue de plus".
Un atout en campagne ?
Quand on l'interroge sur le rôle de ces vidéos pour sa future campagne législative, la députée de la Vienne balaie l'idée : "ce n'est pas mon souci premier, je ne me suis pas posée la question en ces termes et ce n'est pas une idée d'influence, mon souci c'est de donner des informations et de lutter contre les extrêmes".
Samuel Attia, de son côté, salue la qualité des vidéos, leur montage et leur valeur informative, mais souligne qu'elles sont également "un bon moyen d'atteindre une cible plus jeune que dans les permanences".