Pour sa quatrième édition virtuelle du Vendée Globe, l’application chronophage entre en résonance avec les temps de cerveaux rendus disponibles par le confinement. Une déferlante de nouveaux joueurs aux profils complètement disparates se retrouvent ainsi dans le grand bain, mais au sec.
L’Everest des mers. Depuis 30 ans, le Vendée Globe réunit tous les quatre ans le fleuron de la course au large pour un tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Radical et émaillé d’évènements poignants, à l’image du breton Bertrand de Broc se recousant lui-même la langue à vif au milieu de l'océan, le Vendée Globe a construit sa légende, suscitant l’engouement d’un public sans cesse plus nombreux à suivre la course et ses péripéties.
Il y a quatre éditions de cela, Virtual Regatta, un jeu en ligne de simulation de courses au large, offrait la possibilité aux passionnés du Vendée Globe de s’affronter en parallèle dans un tour du monde virtuel, calqué sur le vrai et reproduisant les conditions météo rencontrées par les skippers.
L’application, créée par le Rochelais Philippe Guignon, réunit ainsi en 2008, pour sa première édition en ligne du Vendée Globe, 360.000 régatiers virtuels, ravis de vivre (un peu) au rythme des skippers durant les trois mois que dure la compétition. Les cartes météos actualisées toutes les six heures, obligent ainsi les participants à faire des points réguliers tout au long de la journée pour affiner les réglages de leur bateau, changer de voiles, corriger leur cap… le tout dans des conditions parfois extrêmes également : en se brossant les dents, à vif au milieu de la salle de bain, en réunion professionnelle, dans le métro aux heures de pointe, aux toilettes … Le modèle du jeu est tellement fidèle que le vainqueur virtuel mettra seulement 36 h eures de plus que Michel Desjoyaux, LE vainqueur, à boucler son tour du monde en ligne, au terme de près de trois mois de course.
Douze ans se sont écoulés depuis la première édition virtuelle
Virtual Regatta n’a cessé de gagner en notoriété auprès du grand public et en reconnaissance de la part des professionnels de la voile, multipliant les passerelles entre skippers et compétiteurs virtuels. La neuvième édition du Vendée Globe qui s’est élancée le 8 novembre 2020 des Sables-d’Olonne, voit ainsi s’affronter 33 compétiteurs IRL (In Real Life) avec bientôt un million de joueurs virtuels. Phillipe Guignon est aux anges.
Je ne voulais pas d’un jeu réservé aux voileux. Je voulais que les marins jouent en même temps que la fameuse Mme Michu qui n’a jamais fait de bateau. Et le miracle a eu lieu ! Le jeu s’adresse à tout le monde, à tous les âges, et cette année il y a même un petit jeune qui se nomme Loïck Peyron. Il a déjà fait trois fois le Vendée Globe, et là il s’est engagé pour sa quatrième course en solitaire, mais cette fois-ci derrière son écran.
Le triple vainqueur de la Transat Anglaise, entre autres, s’est ainsi élancé à la barre de son voilier virtuel Polarys, au bénéfice de l’association OSE, qui lutte contre la neurofibromatose, une maladie génétique rare.
Lors de l’édition 2008, j’ai pris le départ de la course sur Gitana Eighty, faisant partie des favoris. J’ai été en tête pendant trois semaines et j’ai démâté au large des îles Kerguelen. Je suis rentré en France, et là, frustré d’une défaite réelle, j’ai continué sur Virtual Regatta. Repartant au large, là où j’avais démâté, j’ai fini la course en virtuel.
L’édition 2020 voit à son tour se succéder son lot d’avaries, contraignant certains à l’abandon comme Nicolas Troussel, victime à son tour d’un démâtage, ou Kevin Escoffier, secouru par Jean Le Cam après que son bateau ait été plié en deux sous l’impact d’une vague, avant de couler. Et deux jours plus tard, ce mercredi, à quelques heures d’intervalle, deux skippers du top dix, Sébastien Simon puis Samantha Davies ont été contraints de se dérouter après avoir heurté un OFNI, un Objet Flottant Non Identifié. Un accident que la britannique a raconté lors de la vacation du jour.
J’avançais entre 15 et 22 nœuds (près de 40 km/h, ndlr) sur une mer compliquée. J’ai tapé comme si je talonnais un rocher : je me suis arrêtée net. Il y avait des craquements. J’ai volé, tout dans le bateau a volé, y compris mon dîner. C’était violent, je me suis fait mal.
Les écoles sont elles aussi engagées dans la course
La course de "Sam" et de son voilier Initiatives-Cœur, qui récolte des fonds pour sauver des enfants atteints de maladies cardiaques, est suivie de près par de nombreux écoliers hexagonaux. Initiatives.fr, partenaire du bateau, fournit en effet des kits pédagogiques aux enseignants qui se sont lancés avec leur classe dans l’aventure virtuelle du Vendée Globe, pour leur permettre d’exploiter au mieux tout ce que la course peut offrir d’enseignements à leurs élèves.
De participer à la course, ça nous permet tout simplement de découvrir la terre. Parce qu’on passe par tous les océans, on longe les pays. Du coup je travaille sur les positions, donc longitude, latitude, les degrés aussi. Et comme on a démarré 400 000 ème au classement, on aborde les grands nombres. Et je leur montre aussi de temps en temps les vidéos en anglais que la skipper Sam Davies nous envoie depuis notre vrai bateau.
Après trois semaines de course, les habitudes sont prises.
Tous les matins on regarde où on en est par rapport aux autres. C’est surtout ça qui les intéresse, en fait. Mais on regarde où on est sur le globe aussi, c’est plus intéressant. Donc là on a passé l’équateur et aujourd’hui on va couper le méridien de Greenwich. Science ! On longe l’Afrique du Sud et on va bientôt passer le Cap de Bonne-Espérance. Hop, géographie. Dans ma classe, y a un élève qui a lancé son propre bateau, mais comme il le suit pas trop, il vient de s’emplafonner le Brésil. Boum ! De plein fouet ! Maintenant, lui, il sait où est le Brésil, y a pas de souci.
Car petit à petit, les semaines de courses s’enchaînant, le bateau classe des CM2 a suscité des vocations. Avec l’idée d’avoir un deuxième voilier sur la carte pour motiver les troupes, sa collègue Sophie Dreule s’est lancée à son tour avec sa classe de CE2/CM1, rapidement rejointe par le reste de l’équipe enseignante. Enfin presque. Une dernière collègue fait de la résistance, "mais elle va finir par y venir, à force qu’on lui casse les oreilles avec notre Team".
Car aux cinq bateaux de classes, viennent désormais s’ajouter ceux que les élèves ont lancé depuis à titre personnel. Et ils viennent de surclasser (en nombre…) la flottille officielle de l’école. Sept ! C’est chaud ! La Team Bellefois est maintenant une flotte. Bientôt une armada…
Sur l’école ça progresse petit à petit, mais plus ça va, plus les jeunes ont envie d’y aller. Pour l’instant on est douze, mais d’ici la fin de la semaine prochaine, on devrait être le double. En plus on se tire la bourre avec les collègues d’autres écoles. A Pouzioux-La-Jarrie, tous les instits ont leur bateau. Avec l’école de Cissé aussi. C’est leur directeur qui m’a lancé sur le Vendée.
Le confinement, partenaire officieux de Virtual Regatta
A Poitiers, Axel, juste trentenaire, s’est lui aussi lancé dans l’aventure du Vendée Globe virtuel, sans y connaître rien. Confiné jusqu’en janvier, il était à la recherche "d’un truc pour s’occuper". Il a découvert l’existence du jeu en lisant un papier de l’Equipe qui parlait de la course, il a soumis l’idée à son père, en arrêt à la suite d’une opération, et "Feu! c’était parti pour une compétition père/fils".
Laborieuse au début, la navigation s’est vite affinée, le temps de prendre leurs repères avec l’application.
Là, c’est très serré. On a pris des options complètement différentes, mais au classement ça se joue à même pas 2000 places. On va passer l’île de Sainte Hélène, et on est au niveau du bateau de La Mie Câline, dans le deuxième peloton, dans les 300 000. On fait attention aux dépressions et aux anticyclones pour pas tomber dans la pétole.
Le vocabulaire s’est donc visiblement affiné lui aussi, et avec le jargon de voileux, c’est toute une organisation qui se met en place pour optimiser les phénomènes météo et les tactiques de course qui vont avec, comprendre le fonctionnement du voilier, échafauder une stratégie. En quelques semaines, à la faveur du confinement, le novice est devenu compétiteur.
Vu que la météo est actualisée quatre fois par jour, je fais le premier point au saut du lit pour savoir où j’en suis. Et puis après à midi, 18h et minuit si je suis encore debout. Du coup, j’apprends la météo, les différents vents et les angles des voiles . On se donne hein ?! C’est hyper-prenant ! Avec mon père on s’appelle tous les jours. "T’en es où ? Tu prends quoi comme cap ?"
Mais d’avoir pris des routes très différentes, leurs bateaux se retrouvent très éloignés. "Il est parti plein Est, cap sur le Brésil pour profiter des vents dominants, alors que moi je suis descendu en longeant l’Afrique".
Du coup l’un et l’autre manquent de références pour challenger. Mais Axel a découvert qu’il pouvait appliquer un filtre sur le jeu pour afficher la ville de résidence des différents skippers. Pardon, leur port d’attache…
Sur Poitiers, on doit être dans les 800. Du coup, j’ai mis un post sur la page Facebook « Sortir à Poitiers », pour avoir justement des gens qui sont sur l’application. Je me prends leurs bateaux en ligne de mire, en me boostant un peu tous les jours pour les rattraper. Et mon père fait pareil de son côté. En prenant d’autres options de cap, on arrive à leur passer devant.
Et Axel ne manque pas de lièvres à courir. Avec la crise sanitaire et les différentes mesures de confinement mises en place de par le monde (près de 200 pays sont représentés parmi les compétiteurs), le nombre de skippers virtuels a plus que doublé par rapport à la précédente édition du Vendée Globe, frisant le million. Et nous ne sommes qu’à un tiers de la course …
Moi je suis confiné jusqu’au 20 janvier. Je vais donc pouvoir profiter pleinement de l’application, parce qu’avec mon activité pro, j’aurais jamais pu y passer autant de temps et être aussi assidu sur le jeu. Là, je refais le point cinq à six fois par jour, peut-être même un peu plus.
"C’est un bon jeu de confinement" conclut Dominique, resté en retrait jusque-là.
Rester raisonnable
Nicolas, lui, n’ayant jamais cessé son activité, était bien conscient du piège.
On le savait avec ma collègue, qu’en mettant le nez là-dedans, on allait se retrouver sans arrêt à regarder notre bateau pour savoir où on en était. Et ça ne rate pas. Mais il faut rester raisonnable. Même si on a vite fait de se prendre au jeu et de vouloir remonter dans le classement. Moi j’ai gagné 200 000 places à force de soigner mon bateau. Je ne me lève pas la nuit, mais c’est vrai que la première chose que je fais en me levant, c’est de regarder mon téléphone pour voir où j’en suis. Et puis le soir avant de me coucher, je refais un dernier petit réglage.
Raisonnable, donc. Le bateau de Nicolas, pardon, de la classe de Nicolas, est 109.611 ème. De toute façon, les grands nombres, ils les reverront l’année prochaine …