Un grand nombre de procureurs se sont mobilisés, lundi 7 juin, pour demander davantage d'effectifs pour lutter contre les violences conjugales. C'est notamment le cas des procureurs de Bayonne et de Périgueux, Jérôme Bourrier et Solène Belaouar.
"À l'heure ou nous recevons de très nombreuses instructions et circulaires ministérielles, et où la lutte contre les violences conjugales a été décrétée grande cause nationale, nous demandons plus de moyens humains pour traiter ce contentieux massif", explique Jérôme Bourrier, procureur de Bayonne.
Comme un grand nombre de ses collègues en France, il a signé, ce lundi 7 juin, un communiqué pour demander formellement la nomination dans chaque parquet d'un juriste spécialisé.
À lire : le communiqué de presse du procureur de Bayonne Jérôme Bourrier
166 enquêtes en cours à Bayonne
À Bayonne, les septs magistrats du parquet ont traité environ 5.000 procédures "poursuivables" en 2020, dont 300 concernaient des violences intrafamiliales.
Actuellement, 166 enquêtes sont en cours dans ce domaine, et 85 personnes condamnées doivent être suivies dans le ressort du tribunal, précise le procureur.
Pour Jérôme Bourrier, la mesure la plus urgente pour améliorer la lutte contre les violences conjugales serait la dotation, "dans chaque parquet, d'un assistant spécialisé ou d'un juriste assistant dédié spécifiquement à cette grande cause nationale".
La nomination de ce spécialiste pourrait permettre un meilleur échange d'informations entre toutes les parties prenantes à l'enquête : "les gendarmes, la police, le juge aux affaires familiales, les services pénitentiaires", énumère le procureur de Bayonne.
Une meilleure communication qui "permettrait d'éviter les trous dans la raquette", souligne-t-il.
En France, le nombre de procureurs par habitant est bien en dessous de la moyenne européenne, comme le note l'Union Syndicale des Magistrats citant des chiffres de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, la CEPEJ.
"La France compte presque 4 fois moins de procureurs pour 100 000 habitants que ses voisins européens (2,9 procureurs pour 100 000 habitants alors que la moyenne européenne augmente de 11,3 à 11,7)", relevait le syndicat en 2018.
→ regardez l'interview de Jérôme Bourrier au JT de mardi 8 juin :
"Nous sommes 5 au lieu de 30 ! "
À Périgueux, le constat est le même : les magistrats du parquet ne sont pas du tout assez nombreux, selon la procureure Solène Belaouar. "Nous ne sommes que cinq procureurs au parquet de Périgueux", indique-t-elle. "Si on suivait les recommandations de l'Europe, qui préconise 12 magistrats pour 100.000 habitants, nous serions 30 !
"Ce sous-effectif considérable n'est pas récent. Pendant des années, nous avons accepté les choses, mais les procureurs sont des humains comme tout le monde !" pointe-t-elle.
Si l'on a des objectifs ambitieux pour lutter contre les violences conjugales, il faut des moyens à la hauteur. Nous ne sommes pas dimensionnés pour faire notre travail correctement, ce qui génère beaucoup de frustration
Dans le domaine de la justice de proximité, un juriste spécialisé est venu assister le parquet depuis janvier. "Les résultats ont été spectaculaires" souligne Solène Belaouar.
De la même façon, la nomination d'un juriste assistant pour les affaires de violences conjugales, qui jouerait un rôle de "facilitateur" (n'étant pas magistrat) serait également d'une très grande aide, estime Solène Belaouar.
Deux fois plus de plaintes en 2020
En 2019, sur le ressort du parquet du Périgueux, 285 plaintes et procès verbaux pour violence entre conjoints avaient été enregistrés, un chiffre en faible hausse par rapport aux années précédentes.
Mais en 2020, ce chiffre a pratiquement doublé, avec l'enregistrement de 435 plaintes et procès verbaux "Il y a eu le contexte du confinement, bien sûr, mais aussi une libération de la parole, et l'amélioration de l'accueil dans les commissariats et les gendarmeries", précise Solène Belaouar.
Autre chiffre significatif, entre 2019 et 2020, le nombre de comparutions immédiates a également bondit de 122% pour les violences conjugales à Périgueux, indique la procureure.
"Cela illustre l'augmentation de la gravité des affaires auxquelles nous sommes confrontés. La comparution immédiate nous permet de placer la personne en détention plus rapidement, pour protéger la victime".
Un manque de moyens généralisé
Si Solène Belaouar déplore le manque d'effectifs de la justice, elle regrette que ce soit également le cas "de nos partenaires, les services de police et de justice notamment".
Elle pointe également un sous-effectif extrême en ce qui concerne la médecine légale, à l'unité médico-judiciaire l'hôpital de Périgueux, qui n'est financée que sur les frais de justice, à l'acte.
"Il n'y a pas de médecins légistes de garde le week-end. Si une femme se présente après avoir été frappée par son conjoint un samedi matin, elle ne pourra pas être prise en charge avant le lundi. Pour les faits les plus graves, les médecins se déplacent pendant leur temps libre" déplore-t-elle, notant aussi l'absence de bureau ("ils travaillent dans des préfabriqués"), ou encore celle d'un gynécologue dédié.
Après les féminicides de Mérignac et d'Hayange, deux missions d'inspection ont été lancées par le gouvernement pour faire la lumière sur d'éventuelles défaillances de l'Etat. Concernant l'assassinat de Chahinez, à Mérignac, les conclusions de cette mission sont attendues jeudi 10 juin.