Du quartier populaire des Izards, où a grandi "le tueur au scooter", à celui, cossu, de la Côte Pavée où il mourut les armes à la main, la simple évocation de Mohamed Merah ravive de douloureux souvenirs à Toulouse et provoque l'agacement d'habitants qui ne veulent plus en entendre parler.
Si le traumatisme des crimes de Merah, perpétrés de sang froid au nom du jihad, s'estompe progressivement à Toulouse un an après, le malaise suscité par la dérive radicale et meurtrière d'un enfant de la ville demeure entier. "Je pense que la souffrance, l'émotion et l'horreur de ce qui s'est passé feront qu'on ne tournera jamais la page, au sens de l'oubli", estime le maire de la ville, Pierre Cohen (PS).
Toutefois, veut croire l'élu, "les Toulousains ne sont pas convaincus que, parce que ça s'est fait une fois à Toulouse, ça se reproduira. Je n'entends pas : "ça y est, Toulouse est devenue une plaque tournante du terrorisme"". "Pendant quelques semaines les gens parlaient de l'affaire Merah. Ils étaient choqués, bien entendu. Chacun pensait à ses propres enfants. Et en fin de compte, les gens sont revenus à leur quotidien qui les préoccupe plus que l'affaire Merah", abonde Hafid El Alaoui, président de la maison de quartier de Bagatelle.
"On a eu la catastrophe d'AZF en 2001 (...) et puis on a eu la révolte de 2005, où tous les quartiers ont été embrasés. Ce sont des moments que les gens vivent intensément puis ils passent à autre chose", résume le travailleur social qui rappelle les ravages de la "stigmatisation" et de la précarité dans ce quartier sensible affichant un taux de chômage supérieur à 25%. Même combat aux Izards, où les habitants, excédés d'être sans cesse associés à Merah, se soucient plus de la destruction prochaine d'une petite barre HLM devenue un point noir du trafic de drogue dans ce quartier du nord de la ville.
Un effet Merah
Les riverains de la rue Sergent-Vigné, siège de l'assaut final contre Merah, ont semble-t-il tourné la page eux aussi, à l'image de Simone, habitante de longue date de la Côte-Pavée: "Tout est revenu dans l'ordre". Seule Idil, trentenaire, confiera sa peur rétrospective d'avoir "côtoyé un tueur sans le savoir" et le questionnement de ses enfants qui lui demandent si la famille de Mohamed Merah "habite à côté, s'il est puni, si cela va recommencer".
Petit délinquant multirécidiviste ayant embrassé l'islamisme radical, Merah a assassiné trois parachutistes et grièvement blessé un quatrième, puis abattu trois enfants et un enseignant juifs entre le 11 et le 19 mars 2012 à Toulouse et à Montauban, crimes qu'il avait pris soin de filmer avec une caméra fixée sur son torse.
Du 15 au 19 mars, sous les objectifs des caméras du monde entier, la Ville rose avait viré à l'écarlate, le niveau maximum du plan vigipirate pour la première fois activé en France. A 23 ans, Merah tombait finalement sous les balles du Raid le 22 mars.
Les arrestations ponctuelles d'anciennes connaissances de Merah à Toulouse viennent régulièrement raviver le douloureux souvenir de mars 2012. Mais, au-delà du ressenti des Toulousains, responsables politiques, religieux et associatifs doivent faire face au legs empoisonné des crimes de Merah, qui s'était vanté d'avoir mis "la France à genoux".
Nicole Yardeni, présidente régionale du Conseil représentatif des institutions juives de France, concède que le dialogue entre communautés juive et musulmane "va demander beaucoup d'efforts", déplorant "des échanges très limités" en l'absence d'émergence d'une "figure charismatique musulmane" à Toulouse.
De son côté, le procureur de Toulouse Michel Valet a constaté "un effet Merah" qui "demeure heureusement limité, mais ça reste trop". "A l'occasion d'interpellations par les services de police, l'évocation de Mohamed Merah est un moyen facile de manifester son sentiment de protestation, de révolte", explique le magistrat, mentionnant la condamnation en février d'un mineur "qui s'était réclamé de Merah".