l'Edito de Stéphane Ratinaud : Le FN en quête de respectabilité

Le phénomène médiatique accompagnant les candidatures du Front National impose une réalité amnésique. L’idée, à longueur de commentaires, d’un vote éruptif et soudain attaché à la famille Le Pen fait fi, dans le bruit médiatique, de la permanence historique de cette expression partisane.
Quelque soit l’équation personnelle des candidats frontistes ou soutenus par le FN à Perpignan, Béziers et Saint-Gilles, ces territoires s’inscrivent dans une longue trajectoire dont seule l’absence de conquête du pouvoir municipal  –exceptée la parenthèse de 3 ans à Saint-Gilles de 1989 à 1992- limite l’emploi du mot bastion.

Mais, incontestablement, nous sommes ici dans des lieux où la banalisation des thèmes portés par le FN et l’habitude de bons résultats électoraux ont forgé une tripartition de l’offre politique. Nous citerons deux chiffres pour étayer cette thèse : en 1997, le candidat FN Yves Untereiner, dans la circonscription de Béziers, obtient 19,59% des suffrages et en 1995, lors des municipales de Perpignan, Jean-Louis de Noell dépasse les 36%.

Cependant, pour le présent scrutin, cette réalité arithmétique pourrait être renforcée par le capital symbolique des candidats issus de la droite nationale dans les villes précitées.  A travers les têtes de liste (Louis Alliot, Robert Ménard et Gilbert Collard), le Front National a certainement gommé une de ses faiblesses pour un scrutin municipal : l’absence de notabilisation de ses candidats. La quête d’une certaine respectabilité et de la maîtrise des codes politiques –dont le  savoir-dire- pour ce « jeune mouvement politique »  s’avère une tâche importante que révèle en interne l’accent mis sur la formation des cadres.
A travers la professionnalisation de ses représentants, le parti de Marine Le Pen renforce son pouvoir d’attraction, notamment pour la partie de ses électeurs moins politisés. En effet, il est de règle une asymétrie entre les résultats des scrutins nationaux et locaux pour cette formation politique ; toujours plus hauts pour les membres de la famille Le Pen. La seule exception notable étant, jadis, en Languedoc-Roussillon le cas de Pierre Sergent, élu député des P-O en 1986, dont la personnalité et la trajectoire singulière dans l’histoire de la Guerre d’Algérie, autorisaient à des scores quasi voisins.

De la protestation à l’adhésion

Mais, dans le cadre du scrutin municipal de 2014 pour les villes précitées voire Beaucaire, Vauvert (où un médecin généraliste bien implanté porte les couleurs du Rassemblement Bleu Marine) et Lunel, la donne pourrait être différente.

En effet, la structuration du vote Front National est plus forte. Peu à peu ce qui était l’expression d’un refus de « la Bande des 4 » -aujourd’hui la dialectique frontiste utilise la formule lapidaire de « l’UMPS » - est devenue un vote d’adhésion. Par ailleurs,  la mobilisation de l’électorat convaincu par l’accent tribunicien de Marine Le Pen –il y a 40 ans le vote PC s’inscrivait dans un ressort identique- ne se démentira pas. Mécaniquement, tout comme lors du premier tour des cantonales de Brignolles dans le Var, l’abstention renforcera le FN.
L’abstention sera assurément un des déterminants du scrutin et l’allié objectif des candidats de la droite nationale. Par ailleurs, l’agenda politique a inscrit les thématiques privilégiées du Parti à l’ordre du jour : la fiscalité et la sécurité occupent un espace grandissant dans le débat de ces élections. En obtenant un quasi monopole et une parole sacralisée sur ces thèmes, le Front National a gagné une partie de la bataille symbolique et des mots, le cœur même du processus politique.

Dans un univers politique où les attaches partisanes sont moins grandes que naguère, le second tour n’interdit pas des reports de voix en faveur des candidats frontistes, y compris venant des électeurs ayant choisi un candidat de gauche au premier tour. Les cantonales de 2011, notamment dans l’Hérault, ont été un révélateur d’une certaine porosité dans l’électorat. Les dernières élections partielles, notamment à Villeneuve sur Lot, ont mis en exergue cette réalité dont la prégnance était moins vraie ne serait-ce qu’il y a une décennie. Dans le cadre d’un second tour avec une triangulaire, il sera intéressant de noter cette réalité arithmétique, sachant qu’au premier tour on vote pour et au second on vote contre. Néanmoins, la dynamique de vote se crée au premier tour et les différentes études d’opinion , notamment à Béziers, laissent apparaître celle-ci.

Un parti en quête de cadres intermédiaires

Toutefois, dans un certain nombre de villes de la région, le parti de Marine Le Pen ne devrait pas être en mesure de rééditer les scores de 2012. C’est l’envers du décor, au-delà des cas emblématiques de Béziers et Perpignan. La faible notabilisation des candidats, la difficulté , de fait, à mobiliser les réseaux- même si l’éclatement de la société en limite plus qu’hier l’effet multiplicateur- mais aussi la pression indirecte des pouvoirs locaux n’empêcheront pas l’expression réelle d’une adhésion à ce courant de pensée. Mais, elles en limiteront les capacités à jouer un rôle majeur, c'est-à-dire la faculté à s’emparer d’un exécutif.

Dans une région où l’emploi est rare, où la question du logement est cruciale comme réponse au problème du chômage, la maîtrise des institutions et des budgets qui l’accompagnent créent les conditions d’une capacité clientèlaire. Elle est un élément clef dans la conquête électorale, et de fait le FN en est écarté.

Cependant, le Front National va faire son entrée dans les Conseils Municipaux, y compris dans les zones rurales, il va gagner en visibilité et avoir, en outre, une faculté à la formation de ses cadres intermédiaires beaucoup plus importante. Ses ressources pour former un appareil de conquête du pouvoir s’en trouveront renforcé, ses relais multipliés et sa parole institutionnalisée sans être abîmée par la vicissitude du pouvoir et les aléas de ses résultats.

En un mot, si ces élections municipales sont bien un temps de conquête pour le Parti de Marine Le Pen , elles ne le sont pas pour le futur immédiat –même si une poignée des exécutifs pourrait être frontistes le 30 mars au soir- mais elles s’inscrivent dans le renforcement des représentations dont le but suprême reste l’élection présidentielle. Dans ce cadre-là, il n’y a pas à douter que pour le Front National ces élections locales en Languedoc-Roussillon devraient être un bon cru.

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