Quand Morante et le Juli se Zlatanisent…

La décision de Julian Lopez el Juli et de José Antonio Morante de la Puebla de ne pas se rendre, hier mardi 1er avril, à la remise des prix 2013 de Séville, provoque de nombreuses et vives réactions dans les médias espagnols…

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La colère de Zocato, ici même hier soir, montrait bien que l’enjeu de ce nouveau défi fait à l’institution sévillanne est essentiellement moral : c’est l’équipe médicale, chirurgiens en tête, qui souhaitait d’abord, à la mi-journée, honorer les deux toreros, pas les patrons des arènes avec lesquels Juli et Morante sont en conflit. Et comme le rappelait Vincent, on ne manque pas de respect à quelqu’un qui vous a sauvé la vie l’année dernière : c’est le docteur Ramon Vila, celui-là même qui devait lui remettre le prix mardi midi, qui a opéré et sauvé le Juli au printemps dernier, après le gravisime coup de corne reçu par un toro de Victoriano del Rio !... Le Juli – c’est un fait beaucoup moins commenté – n’avait pas alors forcément goûté les soins reçus : quelques jours après sa blessure, il avait signé une décharge de sortie contraire à l’avis de Ramon Vila, pour aller se faire soigner à Sarragosse par le docteur Val Carreres, ce qui, à l’évidence, était une façon de mettre en doute le traitement administré à Séville. On en eut confirmation au mois de septembre, lorsque, pour la féria de San Miguel, le Juli se présenta à la Maestranza accompagné du même Val Carreres !... Il n’empêche. Traditionnellement, les chirurgiens, on leur brinde un toro la saison suivante, on ne leur tourne pas le dos de la façon la plus grossière qui soit. Car à Séville, peut-être plus qu’ailleurs, tous ces actes solennels de remise de prix, ce trafic de magnifiques objets d’art, statuettes de bronze ou plats gravés, cuivres repoussés ou pâles lithographies, qui nous semblent ici un peu convenues, un peu ridicules, sont regardées comme des moments importants de reconnaissance, et il ne viendrait à l’idée de personne de les négliger. Comme le faisait remarquer hier avec tristesse et amertume Ramon Vila, « C’est la première fois en 34 ans que quelqu’un ne vient pas chercher son prix !... »
Dans la soirée, cette fois-ci lors de la manifestation officielle de la Maestranza pour ses propres prix 2013, le Juli, pourtant triomphateur du cycle, a choisi d’envoyer son valet d’épée pour recevoir le trophée !...
Le bras de fer, initié par le Juli il y a trois mois contre les gérants des arènes de Séville, conflit dans lequel il a réussi à entraîner Morante de la Puebla, José Mari Manzanares, Alejandro Talavante et Miguel Angel Perera, et qui s’est traduit par l’absence de ces cinq poids lourds de l’escalafon pour toute la saison de la Maestranza, a donc rebondi hier de la pire des façons. Et l’on constate aujourd’hui, dans la presse espagnole et sur les réseaux sociaux, que le geste des toreros va peut-être faire plus de dégâts qu’ils ne l’avaient imaginé…
C’est Ignacio Sánchez-Mejías, prestigieux héritier, qui a réagi le premier sur twitter : « Je n’ai pas aimé le lapin posé par les deux toreros aux chirurgiens de Séville. Les chirurgiens, eux, ne posent jamais de lapin… »
Dans la soirée, on a pu suivre quelques twitt-clash, version numérique de l’engueulade en 140 signes, comme celui qui opposa vivement Fernando Cepeda, l’apoderado de Perera, au journaliste sévillan Emilio Trigo : Cepeda reprochait à la presse de monter en épingle l’absence du Juli et de Morante, alors que selon lui, lorsque Perera est allé recevoir son prix, personne ou presque n’en a parlé…
Ce matin, c’est Antonio Lorca, dans les pages Culture d’El País, qui revient sur l’événement. Sous le titre, « Morante et le Juli mettent en scène leur rupture avec Séville », il note que cet incident contribue à accentuer leur « éloignement de l’aficion ».
La presse souligne surtout que cette nouvelle affaire ne va pas contribuer à apaiser le climat sévillan, actuellement très tendu. Car les aficionados, et une partie des médias, très critique sur le niveau des cartels proposés cette année, a du mal à comprendre pourquoi, alors que les toreros les plus en vue, et donc les plus chers, sont absents de la féria, les prix restent les mêmes : ainsi les places pour la corrida du dimanche de Résurrection, la date la plus sévillane de l’année, qui ouvre traditionnellement la saison taurine, sont au même prix cette année (mano a mano Luque/Escribano) que l’an dernier (Morante/Juli/Manzanares)… Ainsi entre autres, la corrida qui réunit Adame, Nazaré et Galván, est-elle au même prix que le seul contre six de Manzanares l’an dernier. Sans faire offense à qui que ce soit, on sait bien que les cachets ne sont pas les mêmes…
Alors l’union des abonnés, ainsi que différentes parties de l’aficion sévillane, peñas et tertulias, ont décidé de manifester pendant la prochaine féria d’avril – qui se déroulera cette année en mai – contre Eduardo Canorea y Ramón Valencia, les deux gérants des arènes, ainsi que contre la « passivité » des maestrantes, les propriétaires des arènes qui ont, malgré le conflit ouvert, renouvelé leur confiance aux deux hommes. Au programme, sifflets et salade de mouchoirs au début de chaque corrida, entre la fin du paseo et la sortie du premier toro…
On verra bien si cette colère résiste à la douce ambiance de la Maestranza. Méfions nous des colères d’hiver qui, Dieu merci, ne subsistent pas au premier triomphe !
De la même manière, et dans d’autres arènes, on pourra mesurer, tout au long de la saison, si le fossé « moral » qui semble se creuser entre Morante et une partie de l’aficion, survivra au premier envol ralenti de sa cape de soie, à la musique de ceinture de ses véroniques magiques. Ce sera peut-être plus compliqué pour le Juli, qui depuis l’an dernier semble répéter sans grâce une tauromachie incroyablement puissante et dominatrice, dont la magie s’est envolée… Mais que savons-nous de cette saison qui n’a pas encore commencé ?...

Jean-Michel Mariou

 

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