Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne ( quatre morts dont le colonel Beltrame) se déroule à Paris du 22 janvier au 23 février. Une épreuve pour les victimes qui réactive des souffrances très profondes. Associations et avocats les accompagnent dans ce moment difficile mais indispensable.
"Les victimes ne doivent pas culpabiliser sur ce qu'elles ont vécu, que rien n'est de leur faute. Ce ne sont pas elles qui font souffrir leur entourage ni fragilisent l'édifice. C'est ce qu'elles ont subi," assure Julie, l'hôtesse d'accueil, otage, à qui Arnaud Beltrame s'est substitué avant d'être tué par Radouane Lakdim, le terroriste, dans le Super U de Trèbes le 23 mars 2018.
Le procès est une étape importante pour les victimes. "C’est toujours une épreuve mais il y a une vraie attente des familles, explique Éric Ménassi, maire de Trèbes. Une forme d’appréhension, une forme de soulagement. Cela fait partie du processus de deuil qui est indispensable."
Elles vont pouvoir entendre, essayer de comprendre, exprimer leur point de vue. Il est pourtant très redouté. "Certains procès terroristes arrivent très longtemps après les événements. Cela replonge les victimes dans des souvenirs, qu'elles essaient non pas d’oublier mais de surmonter. Et la violence d’un procès les remet au cœur de ces événements et ça réactive des souffrances très très importantes", analyse Marie-Claude Desjeux, membre de la FENVAC (Fédération nationale des victimes d'avocats et d'accidents collectifs)."
Cela fait partie du processus de deuil qui est indispensable
Eric Ménassi, maire de Trèbes
Elle poursuit: "Certaines personnes n’ont jamais mis les pieds dans un tribunal. Être confronté aux accusés est quelque chose de très violent pour eux et psychologiquement, il faut qu’ils soient parfaitement bien préparés ".
Comme la FENVAC, l'Association française des victimes de terrorisme (AFVT) apporte son aide. "On organise ce que l’on appelle des "victimes à victimes". Ce sont des rencontres entre celles qui ont déjà vécu un procès et d'autres qui n'en ont jamais vécu. C’est libre parole," explique Laure Legrand, chargée du suivi des victimes à l'AFVT. "Elles posent des questions sur le ressenti. Comment ça fait d’aller parler à la barre? Lorsque le président nous appelle, il y a quelqu’un qui vient nous chercher ? Ou alors, vous étiez angoissé, est-ce que ça vous a fait du bien après ? Avez-vous parlé avec d’autres victimes ? C’est comment une salle d’audience. Est-ce que les familles des accusés seront à côté de nous sur les bancs ? Ça, c’est quelque chose qui les inquiète beaucoup".
Comment ça fait d’aller parler à la barre ? Lorsque le président nous appelle, il y a quelqu’un qui vient nous chercher ?
Paroles de victimes
C’est une espèce de dédramatisation du moment. Ce travail, les associations le font bien sûr en collaboration avec les avocats. Franck Alberti, avocat de nombreuses parties civiles dans ce procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, partage son expérience : "Elles ont toutes les mêmes réactions presque 6 ans après. Avec dans un premier temps, une volonté de se tenir éloigné de ce procès. Ça, c’était il y a quelques mois quand on a su que le procès allait être fixé. Après une longue période de reconstruction, se replonger au cœur du sujet avec tout ce que ça peut comporter de compliqué, de violent, ils ont un peu eu une réaction de rejet au départ. Et puis, il y a eu un point de basculement. Tous ont vécu ça. Au fur et à mesure, ils ont été sensibilisés que ce procès, il était utile voire nécessaire et qu’il fallait y participer, pour certains y assister et pour d’autres même prendre la parole. Et dire ce qu’il n’avait pas dit ou enfoui depuis des années".
"Il tarde à Julie que ce procès ait lieu car elle a l’impression que tant qu'il n’a pas eu lieu, il y a quelque chose qui n’aura pas été soldé," confirme son avocat, maître Henri de Beauregard.
Rassurer les victimes
Il faut rassurer les victimes : " On accompagne selon les besoins. On peut aller tenir la main d’une victime sur le banc le jour où elle va témoigner, on peut rester déjeuner avec elle le midi si elle arrive toute seule à Paris. On peut aller la chercher à la gare, l’emmener au palais," se souvient Laure Legrand. "Ils se sentent entendus, ils ont parlé devant la justice et les accusés. Ils ont besoin de dire surtout "qui j’étais avant l’attentat et voilà qui je suis maintenant. Ce que vous avez fait, voilà ce que ça a changé chez moi". Ce sont souvent des témoignages très humbles. "
Mais attention prévient maître de Beauregard : " Il y a toujours un côté insatisfaisant parce que notre justice humaine ne permet pas d’appréhender la totalité d’un geste criminel". "Maître Alberti confirme : "elles attendent beaucoup de ce procès. D’où la nécessité comme l’a fait le procureur national antiterroriste, venu à Carcassonne rencontrer des victimes avant le procès, d’attirer leur attention sur un risque de frustration liée d’abord au fait que celui qui a tiré, qui a tué, est mort. Il ne sera pas dans le box des accusés". La réponse au : "Pourquoi ?" n'est pas évidente.
La gestion de l'après procès
Les associations de victimes de terrorisme veillent également à l'après procès. "Pour les attentats de Paris, vous avez neuf mois de procès, d’audience. Tous les jours vous vous retrouvez, les gens se mettent toujours à la même place. Il y a toujours les mêmes petits groupes. Le lendemain du verdict, les victimes sont seules, chez elles. C’est le moment où il ne faut pas les lâcher. Certaines risquent de nouveau de sombrer alors qu’elles avaient fait des pas de géants pour se reconstruire".