Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne (Aude) débute ce lundi 22 janvier à la Cour d'assises spéciale de Paris. Il va durer 5 semaines. Sept des complices présumés du terroriste Radouane Lakdim seront jugés. Retour minute par minute sur cette tragédie au lourd bilan : quatre morts dont le colonel Beltrame qui a sauvé la vie d'une otage en se substituant à elle.
"L’Aude, le quotidien à l’époque, c’était plus les cambriolages, les violences intra familiales ou les accidents de la route que les attentats terroristes," se souvient le Colonel Gay, commandant de la gendarmerie départementale (août 2015- juillet 2018). Ce vendredi 23 mars 2018 allait pourtant devenir le théâtre de la folie meurtrière d'un homme, Radouane Lakdim, se revendiquant comme un soldat de l'Etat Islamique.
Vers 10h13, il braque un automobiliste, parking des Aigles, à Carcassonne, pour lui voler sa voiture. Il ouvre le feu, tuant le passager, Jean-Michel Mazières. Natif de la commune voisine de Villedubert comme sa famille depuis quatre générations, marié, père d'un fils, il était impliqué dans de nombreuses associations et notamment au comité des fêtes. Le conducteur, Renato Gomez est très grièvement blessé.
Quatre morts
Quelques minutes plus tard, un CRS rentrant d'un footing avec plusieurs collègues est blessé par balle avenue du Général Leclerc. Les CRS (de Marseille, en déplacement à Carcassonne) n'étaient pas armés. Le pronostic vital du gendarme blessé "n'est pas engagé", précise le Premier ministre Edouard Philippe. L'homme a deux côtes cassées et un poumon perforé.
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Vers 10h40, Radouane Lakdim roule vers Trèbes (Aude), à 8 km de là. Il s'arrête au Super U où il abat aussitôt arrivé Christian Medvès, boucher du magasin et Hervé Sosna, un client, chacun d'une balle dans la tête. "Christian Medvès avait embauché à 5 heures et au moment où il a été tué, il se trouvait à la caisse. Il aurait dû être parti depuis déjà quelques minutes," se souvient Maître Alberti, avocat de la partie civile.
Radouane Lakdim se déplace dans le magasin, crée la panique et revient près des caisses de l'accueil. "Ah! Ben voilà mon otage."
Ah! ben voilà mon otage.
Redouane Lakdim à Julie, hôtesse d'accueil
Julie va lui servir de bouclier humain. "J'ai levé le nez et j'ai vu un bras tendu en l'air avec un pistolet, j'entends un coup de feu et crier "Allah Akbar". Je dis simplement à ma collègue avant de raccrocher: "appelle les flics! " L'hôtesse d'accueil poursuit : "Il m'explique lui-même qu'il a tué assez de gens, que pour lui, c'est une petite action et qu'il lui reste à présent à mourir en martyr en essayant de faire le plus de mal possible en visant les forces de l'ordre."
Bouclier humain
Des clients et des salariés sont encore allongés entre les caisses. "Allez ! Cassez-vous avant que je change d'avis !"
À l’extérieur, les forces de l'ordre s'organisent. Et un premier groupe de cinq gendarmes pénètre dans le magasin et tient en joue l'assaillant et l'otage. "Il s'était glissé derrière moi et là, il a posé son arme sur mon crâne et un couteau au niveau des côtes. J'avais très peur que le coup parte car je sentais le canon de l'arme qui tremblait. Je lui dis assez bêtement: "Fais attention, tu trembles, ne me tire pas dessus sans faire exprès."
"Vos gueules, reculez ! Je prends !" "Mais chef ! proteste un gendarme, vous n'êtes pas équipé !" Arnaud Beltrame, puisque c'est lui, réitère son ordre: "Vos gueules, reculez! Je prends!" (Extrait du livre de Julie Grand "Sa vie pour la mienne", éditions Artège)
"On est là pour discuter, la petite dame n'y est pour rien. Regarde, je me désarme. J'ai une famille, je ne veux pas faire le cow-boy." Radouane Lakdim accepte. Le Colonel Arnaud Beltrame prend alors la place de Julie qui s'enfuit. Il est 11h45.
Pour lui, à partir du moment où il retirait l’otage civil de l’équation, il mettait un terme à la crise. Après, c’était l’affaire entre un soldat et un terroriste.
Colonel Gay, commandant du Groupement de gendarmerie de l'Aude
"Le fait qu’il s’échange avec le dernier otage, c’est vrai que ce n’est pas conforme à la doctrine. C’est vrai qu’il a poussé son engagement au-delà de la doctrine. Mais je le connaissais suffisamment. Pour lui, à partir du moment où il retirait l’otage civil de l’équation, il mettait un terme à la crise. Après, c’était l’affaire entre un soldat et un terroriste", explique le Colonel Gay, commandant du groupement de gendarmerie de l'Aude.
Arnaud Beltrame et Radouane Lakdim sont à partir de ce moment-là enfermés dans un local derrière l'accueil du magasin. L'assaillant exige la libération de Salah Abdeslam (principal auteur encore vivant des attentats de Paris du 13 novembre 2015)...
L’antenne locale du Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) de Toulouse se positionne autour de la pièce où sont enfermés le gendarme et le terroriste. Elle doit attendre les unités du GIGN national qui ont décollé de Satory à bord de trois hélicoptères pour préparer un assaut à leur arrivée.
Un huis clos de plus de deux heures
Que s'est-il passé à l'intérieur du local dans ce face-à-face ? Le huis clos dure près de deux heures. Quand vers 14h, "Je suis à l’extérieur, à côté de la porte de la station-service, quand on entend à la radio que des coups de feu ont été tirés, raconte le colonel Gay. Il se trouve que je suis en ligne avec le directeur de la gendarmerie qui donne l’ordre de l’assaut. Je transmets l’ordre d’assaut au commandement de l’antenne du GIGN."
"À l’issue de l’assaut du GIGN, poursuit le militaire, quand on me rend compte que l’assaut est terminé (NDLR: le terroriste a été abattu), je rentre avec deux militaires du PSIG (Peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie) qui sont mieux équipés et protégés que moi et je découvre l’intérieur du Super U qui est assez chaotique. Il y a un gendarme du GIGN qui est assez sérieusement blessé, il y a beaucoup de sang dans le supermarché et là je m’approche de la caisse centrale, je sais que le Colonel Beltrame est blessé parce que je le vois inanimé sur le sol et des médecins du SAMU qui lui portent secours. Et là, on se dit qu’il est vivant mais manifestement sérieusement blessé."
À quelques centaines de kilomètres de Trèbes, chez elle, en Bretagne, Nicolle Beltrame part faire ses courses à Vannes, avec son compagnon. À la radio, elle entend "un lieutenant-colonel blessé à Carcassonne". "Je l’ai ressenti dans tout mon corps. C’était lui. On ne peut pas l’exprimer. Ce ne sont pas des paroles. J'ai mal au ventre, mal aux tripes. Je savais que c’était lui, voilà."
Bon courage... Gros bisous. Maman
Nicolle Beltrame, mère du gendarme
Il est 15h. Elle ne panique pas et décide d'envoyer un texto à son fils : "Bon courage... Gros bisous. Maman". Il ne lui répondra jamais. Le Colonel décède de ses blessures dans la nuit.
La France sous le choc
L'acte héroïque d'Arnaud Beltrame va provoquer une déflagration dans tout le pays et même à l'étranger. Le premier ministre du Royaume-Uni, Theresa May ou le président américain Donald Trump s'inclinent devant le geste. "Un officier est mort après avoir bravement échangé sa place avec celle d'un otage lors d'une attaque terroriste liée à Daesh."
La France est sous le choc. L'hommage aux Invalides est retransmis par de nombreuses chaînes de télévision. Le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, prononce l’éloge funèbre du gendarme : un homme "droit, lucide et brave".
C'était sa place, son rôle et s'il ne l'avait pas fait, il n'aurait pas été Arnaud Beltrame. Il s'est levé contre le mal
Nicolle Beltrame
Nicolle Beltrame ne veut pas entendre parler de sacrifice, comme certains l'ont fait. "Il s’est dit : "Je vais aussi réussir cette mission." Tout simplement. À aucun moment il n’a pensé mourir évidemment. Il était formé pour ça. C'était sa place, son rôle et s'il ne l'avait pas fait, il n'aurait pas été Arnaud Beltrame. Il s'est levé contre le mal."
La mère de l'officier de gendarmerie n'a pas encore décidé si elle allait venir témoigner lors du procès: "Moi, ma souffrance, je n’ai pas envie de la partager avec les autres, je suis pudique", expliquait-elle en 2019.
Ils n'auront pas le plaisir d'avoir ma haine mais ils n'auront pas mon silence non plus
Julie Medvès, fille du boucher assassiné dans le Super U de Trèbes
Ce sera le cas par contre de Julie Medvès, la fille du boucher assassiné. Un an après l'attentat, elle témoignait, s'adressant aux terroristes : "Je vous rassure, je ne suis pas née pour vivre dans la haine. Mon père m'a élevée dans l'amour et c'est bien ce sentiment que je veux m'acharner à transmettre. Ils n'auront donc pas le plaisir d'avoir ma haine mais ils n'auront pas mon silence non plus car me taire serait trahir, trahir le souvenir de mon père mais aussi l'attachement qui est le mien à l'égard de mon pays".
Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne s'ouvre lundi 22 janvier à la Cour d'assises spéciale de Paris. Pour cinq semaines. Sept des complices présumés de Radouane Lakdim y seront jugés.