"C'est un deuil !" : le cri du cœur de la famille d'accueil de Mahfoud, jeune algérien en cours d'expulsion

Mahfoud, un algérien de 22 ans installé depuis sept ans à La Cavalerie (Aveyron) est ce jeudi 17 août sous le coup d'une expulsion. Une décision de justice que sa famille d'accueil, mobilisée en soutien, ne comprend pas et vit comme un drame.

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Ces dernières 24 heures, tout est allé très vite pour Mahfoud et sa famille d’accueil. Le jeune algérien placé au centre de rétention administratif de Toulouse, s’envolera ce jeudi 17 avril vers son pays d’origine, avec une escale à Paris, d'après les dernières informations. Quant à Mahfoud, il n'a toujours eu aucun contact avec un avocat. “Je ne sais pas grand chose mis à part que c’est foutu”, soupire Corinne Dubois, sa mère d’accueil, qui s’est démenée pour éviter cette expulsion qu’elle juge “injuste” et “précipitée”.  

Début juillet, une Obligation de quitter la France (OQTF) pour troubles à l’ordre public a été émise contre le jeune algérien de 22 ans, suivie d’un recours de la part de la famille, rejeté hier par le tribunal administratif. Cette décision a précipité des adieux déchirants, comme le raconte Corinne Dubois, 54 ans : “J’ai vu un gamin qui retenait ses larmes, mais je le connais, il n’était pas bien du tout. Nous, on s’est effondrés en sortant.” 

Une séparation forcée

L'histoire de son arrivée en France ne peut être communiquée car gardée par le secret professionnel, mais c'est en 2016, à l’âge de 15 ans, que Mahfoud et son petit frère de 12 ans sont placés à l’aide sociale à l’enfance du Val-de-Marne, avant d’être accueilli par cette famille aveyronnaise qui dépeint d’une même voix un “chouette” adolescent, bienveillant, respectueux, courageux, altruiste et aimant.  Pour Corinne et son fils Aurélien, ces deux frères arrivés en 2016 dans leur maison à La Cavalerie sont rentrés dans leur famille et “en feront partie pour la vie” : “Pour moi, c’est un deuil. On m’enlève une partie de moi,” confie Corinne avec la voix qui se brise. “C’est quelqu’un que j’aime, c’est le frère que je n’avais pas”, ajoute Aurélien Dubois, 25 ans. 

"Pour moi, c’est un deuil. On m’enlève une partie de moi."

Corinne, mère d'accueil de Mahfoud

Même après le départ de Mahfoud de la maison, en 2019, leur proximité est restée de mise : géographiquement d’abord, avec un logement à 500 mètres; affective ensuite, pour soutenir Corinne après une double fracture à la cheville, aider ses grands-parents à rentrer du bois ou sauver cet oiseau trouvé au bord de la route. Avec son frère, ils ont également été entraîneurs bénévole dans un club de foot du village "afin de se rendre utiles". =

Mahfoud s’est également investi dans ses propres projets, que sa mère d’accueil énumère : l’apprentissage du français, son arrivée au lycée, ses trois CAP en bar-brasserie-café, hôtellerie-restauration et vente passés en deux ans, son travail de nuit dans un Ehpad catholique pendant le covid, son apprentissage, le permis, l’achat d’une voiture… Il a ensuite travaillé en tant que serveur, avant de recevoir son OQTF et de devoir démissionner pour respecter son assignation à résidence. 

Tout ça pour rien ?

Un parcours qui fait la fierté de Corinne mais qui renforce son désarroi : “C’est une belle personne avec un avenir qui était prometteur et on vient de tout casser. J’ai l’impression qu’on m’a pris mon énergie. Quand on est famille d’accueil on se tuent à la tâche, on fait don de soi, de sa famille, de sa maison. On fait son maximum pour ces jeunes partis de rien du tout, à qui on met des étiquettes préjudiciables, et tout ça pourquoi ?”, s’enquiert-elle avant d’imager sa frustration : “On lui a inculqué des valeurs. On a vu le tronc pousser et si on avait vu les feuilles, on aurait eu un arbre magnifique”. D’après ses proches, la même incompréhension taraude les personnes qui ont un jour côtoyé Mahfoud : des gendarmes à l’ASE, en passant par ses anciens professeurs, dont certains ont écrit des attestations pour son dossier en justice.  

"On a vu le tronc pousser et si on avait vu les feuilles, on aurait eu un arbre magnifique."

Corinne, mère d'accueil

Cela n’a pas suffi à calmer la situation. Tout s’est en effet complexifié en 2023 : Corinne raconte qu'une altercation à l'initiative d'un autre jeune homme a dégénéré en bagarre et s'est suivie d’une plainte à l’encontre de Mahfoud. Également sujet à des “contrôles intempestif tous les jours, voire plusieurs fois par jour de la part de la bac”, selon Corinne, un outrage à agent est venu s’ajouter à son dossier.

Sa mère d'accueil y voit le déclencheur de l'OQTF. Mais n'ayant pas la nationalité française en raison des règles de naturalisation en vigueur lors de son arrivée, contrairement à son petit frère, le seul espoir de la famille résidait dans le recours, rejeté. 

Une justice pressante

Depuis, Mahfoud s’est soumis à toutes les procédures : l’assignation, le don de son passeport “la mort dans l’âme”, le pointage deux fois par semaine à la gendarmerie. “Un jour il m’a dit : ‘les autres seraient partis se cacher, mais je veux montrer que je suis quelqu’un de bien et que je veux m’en sortir la tête haute”, rapporte Corinne, émue.

Après la décision du tribunal, la famille pensait avoir 48 heures pour faire un nouveau recours, mais impossible, faute de temps avant le départ. “On ne comprend pas cette urgence pendant les vacances d’été. Les tribunaux fonctionnent au ralenti et les avocats sont en vacances. On est coincés de tous les côtés, déplore-t-elle. J’ai même demandé à une association s’il fallait que je m’enchaîne”, plaisante tout de même Corinne. 

"Les autres seraient partis se cacher, mais je veux montrer que je suis quelqu’un de bien et que je veux m’en sortir la tête haute."

Propos de Mahfoud recueillis par Corinne

Finalement, seul moyen d’action, un rassemblement devant la gendarmerie de La Cavalerie s’est organisé en une heure, mercredi 16 août dans l’après-midi. 25 personnes étaient présentes en soutien, tels que cette orthophoniste en vacances ou d’anciens professeurs. “Imaginez ce que ça aurait été en deux jours !”, s’exclame Corinne, qui en profite pour raconter une anecdote sur la popularité de son fils : “Quand on se promène à Millau, je me demande qui est né ici, il connaît plus de personnes que moi”, dit-elle dans un rire. 

Le méchoui de l’espoir

Pourtant, pas de droit à l’erreur pour lui. “On manque d'empathie face à ces enfants, peu importe qu’ils soient ouverts d’esprit et dans un cheminement positif”, regrette Corinne. “Il avait une situation et ça a pris des proportions énormes. Je ne pensais pas que ce pays était capable de faire ça à quelqu’un comme Mahfoud, c’est pour ça que l’on se bat pour lui”, affirme Aurélien Dubois.

"C’est tellement injuste. Mais apparemment on a enlevé l’humanité de la justice."

Corinne, mère d'accueil

Sa mère tient notamment à souligner l’absurdité de la situation : “On accepte de prendre en charge des jeunes étrangers et au moment où ils sont intégrés, travaillent et paient des impôts, on les met dans un avion. Les humains ne sont pas des données papiers. C’est tellement injuste. Mais apparemment on a enlevé l’humanité de la justice”, assène-t-elle.

Quant à cette famille, elle affirme déjà épauler au mieux le petit frère de Mahfoud, resté en France. “J’espère que ça va aller, concède la maman. J’espère aussi que l’on va pouvoir faire appel. S’il ne peut pas revenir, il va refaire sa vie et on aura perdu un membre de notre famille. Ça ne va pas être facile.” Pourtant, en hommage à Mahfoud qui a fait preuve de bonne humeur durant tout le processus judiciaire, Corinne et ses proches ont souhaité se séparer sur une note d’espoir : “Pendant les au revoir, on lui a dit qu’on préparait le méchoui pour quand il allait revenir, parce qu’on veut y croire.”

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