« Alto Braco » : quand l’Aubrac devient le héros d’un roman

Difficile de faire d’un territoire le personnage principal d’un roman. Vanessa Bamberger y est pourtant parvenue avec « Alto Braco ». Ce livre nous plonge dans une véritable atmosphère : celle de l’Aubrac.

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Que les choses soient dites dès le départ : « Alto Braco » signifie en Occitan « haute boue », la tourbe de l’Aubrac qui lui a donné son nom. L’identité c’est justement la quête de la narratrice qui part à la (re)découverte de cette terre et de ceux qui la peuplent. Brune est une quadra parisienne, directrice de crèche. Elle n’aime ni la viande, ni les couteaux. Bref mal partie pour vivre en Aubrac… Sa mère étant morte peu après sa naissance, Brune a été élevée par sa grand-tante « Granita » et sa grand-mère « Douce ». Le livre s’ouvre sur le décès de cette dernière.

Le visage de la défunte décrit à lui seul ses origines. « Douce Rigal avait emporté son pays sur son visage. Son front bombé, une prairie éclaboussée de lumière, ses dents blanches, des pétales de narcisse du poète, sa fossette au menton, une combe, son corps long et délié, la rencontre d’un chemin pierreux et d’un cours d’eau. Elle est aussi belle que le Nord-Aveyron, reconnaissait Granita. »

On ne voulait pas vivre à Lacalm mais on voulait y mourir 

La maladie d’Alzheimer avait, depuis quelques temps déjà, entraîné dans l’oubli les souvenirs de Douce. Seul lui revenait le nom de son village natal « Lacalm » (Attention prononcer « Lacan »). Un jour, encore lucide, la grand-mère avait confié à sa petite-fille : « Je veux toucher une dernière fois la terre d’Aubrac, même morte ». Brune, elle, n’y est pas retournée depuis ses quinze ans, quand elle y passait encore tous ses mois d’août. Mais elle fera tout pour que Douce repose là-bas. Et ce malgré les réprimandes de la sœur fusionnelle de la défunte, Granita, autre personnage central du livre.

« Quelle idée d’aller reposer avec ces cons… Quand on pense qu’ils ne sont jamais sortis de chez eux. Ils vendent leurs veaux en Italie sans même savoir où c’est. » Ma grand-tante règlerait ses comptes jusque dans la tombe. » Les dernières volontés de la défunte seront malgré tout respectées. « On ne voulait pas vivre à Lacalm mais on voulait y mourir. Entre les paysans d’ici et les cafetiers de Paris, la liste d’attente était peut-être longue. J’imaginais qu’en Aubrac, même la terre du cimetière s’avérait chère et disputée »

Tout ce que tu gagnes, tu ne le dépenses pas

Cette histoire est aussi celle des fameux « cafetiers aveyronnais » de Paris dont font partie Douce et Granita. Arrivées dans la capitale à la fin des années 60, l’une comme serveuse, l’autre comme aide cuisinière, elles appliquent rapidement à la lettre la sacrosainte consigne qui leur est délivrée : « Tout ce que tu gagnes, tu ne le dépenses pas, si tu peux travailler sept jours sur sept, tu le fais, si tu trouves des extras, tu les prends. »

Après vingt années à trimer plus de 13 heures par jour, les deux sœurs avaient racheté « la Catulle », café au-dessus duquel a grandi la narratrice. Brune qui parle ainsi de celles qui l’ont élevée : « Le mot « congés » ne faisait pas partie de leur vocabulaire, pas plus que celui de « médecin ». Elles se prétendaient dures comme leur pays. » Un pays où seule la mort va les ramener. « Je ne croyais ni aux gènes, ni aux racines attachant l’être humain à une seule terre » affirme sentencieusement Brune au début du récit. Pourtant, il ne faut jamais oublier d’où l’on vient.

Mais Brune appartient-elle vraiment à cet Aubrac qui « provoque toujours la même réaction chez ses visiteurs : on dirait la Mongolie, on croirait la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Namibie, l’Islande, le Pérou, le Tibet, le Canada, l’Ecosse… » ? Là-bas, elle va retrouver sa famille mais aussi les secrets de ses origines et les rancœurs qui vont avec. « L’information circulait donc à la vitesse du vent par ici. Malgré la sensation d’immensité qu’il offrait, le plateau de l’Aubrac était minuscule, quarante kilomètres de long, vingt de large. Bien qu’on s’y sente isolé, au milieu de nulle part, il s’avérait impossible d’y pénétrer sans se faire remarquer, et ce constat m’a instantanément oppressée. »
 

Un plateau de quarante kilomètres de long sur vingt de large

« Alto Braco » livre enfin à son lecteur un panorama du monde agricole tel qu’il vit ou plutôt tel qu’il survit aujourd’hui. « Les paysans souffraient en France. Je ne m’attendais pas à autre chose en Aubrac. Je m’attendais à la fin d’un monde. Je me trompais » avoue Brune. « On s’est jeté sur les terres mais on a laissé s’effondrer les maisons » résume aussi le cousin Gabriel. « Depuis que les éleveurs recevaient les aides de l’Europe, qu’ils s’étaient modernisés, qu’ils possédaient de grandes fermes et de gros troupeaux, ils ne construisaient plus de poulaillers, ne gardaient plus de lapins. Ils étaient devenus égoïstes, jaloux les uns des autres » raconte encore Armand, le cafetier qui rêvait d’être paysan.
On ne s’improvise pas paysan. Brune s’en rendra compte à ses dépens. Mais même si l’on ne travaille pas ses terres ou ses bêtes, l’Aubrac semble pouvoir se laisser apprivoiser, ou du moins nous le laisser croire. 

« Alto Braco » de Vanessa Bamberger, Editions Liana Levi
 Pour rencontrer l’auteure
  • Mardi 26 mars Librairie « La Maison du livre » Rodez 18h
  • Mercredi 27 mars Librairie » La Cité du vent » Saint Flour 18h30
  • Jeudi 28 mars Librairie « Point-Virgule » Aurillac 17h dédicace + 18h rencontre
  • Vendredi 29 mars Librairie « La Folle Avoine » Villefranche de Rouergue 18h30
  • Samedi 30 mars Librairie « Point-Virgule » Espalion 10h-12h30 et La Préface Colomiers à 16h30
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