Info France 3 Occitanie. D'anciens légionnaires d’origine roumaine, des notaires du Tarn et des employés de banques sont renvoyés devant la justice pour une vaste affaire de blanchiment d'argent et d’association de malfaiteurs. Elle concerne 74 transactions immobilières dans le sud de la France.
L’alerte lancée en janvier 2008 par le parquet de Carcassonne (Aude) a mis plus de treize ans avant d’arriver devant la justice. Lundi 28 juin 2021, vingt-deux personnes devaient comparaître devant le Tribunal correctionnel de Marseille pour des faits d’escroquerie, d’association de malfaiteurs et de blanchiment d’argent. L’audience a été reportée au mois de mai 2022 mais a permis de découvrir un dossier hors-norme. L’enquête menée par le JIRS de Marseille a révélé un vaste réseau de fraude aux crédits dans l’acquisition de biens immobiliers à travers tout le sud de la France, entre 2007 et 2014.
Au total, 94 biens ont été acquis grâce à des prêts de centaines de milliers d’euros, souscrits le plus souvent avec de faux documents et incluant des montants de travaux non réalisés pour la plupart. 74 de ces bâtiments achetés ont été parfois divisés en plusieurs lots et revendus à des prix artificiellement élevés. Une façon simple et efficace d’empocher l’argent des emprunts avec l'acquisition, en prime, d'un bien immobilier.
Un homme au centre du réseau
Au coeur de cette histoire, un homme. Sebastian Celea, un ancien militaire d'origine roumaine. Connu également sous ses noms d’emprunt de la Légion étrangère Sebastian Grecu et Zsolt Cosma, il a attiré l'attention de la justice en raison de son train de vie et de l'acquisition de nombreux immeubles, revendus ensuite rapidement à d’autres ressortissants roumains, essentiellement légionnaires.
En juillet 2005, il achète un appartement à Apt (Vaucluse) pour 146 000 euros. Il le cèdera un an plus tard pour 370 000 euros, soit plus du double. Il y a aussi ce bâtiment acquis 150 000 euros en avril 2007, que Sebastian Celea et sa femme revendront six mois après, pour 420 000 à des ressortissants roumains.
Sa "boulimie" d’acquisition immobilière semblait insatiable. Mais assez peu conforme à sa solde mensuelle de la Légion étrangère, qui ne dépassait pas les 2300 euros.
À partir de 2007, selon les enquêteurs, plus d’un million d’euros ont été déposés en chèques sur les comptes de Sebastian Celea et de sa femme. Une partie de cette somme, 774 000 euros, a été envoyée par la suite sur un compte en Roumanie. Ce sont ces investissements et ces mouvements financiers qui ont alerté la justice en 2008.
L'enquête démontrera que l’argent issu de ces ventes immobilières était réinvesti dans d’autres acquisitions, mais aussi envoyé sur des comptes bancaires ouverts à Monaco, en France, en Roumanie et en Lettonie. Avec ces sommes accumulées, investies dans une boîte de nuit en Roumanie mais aussi dans l'achat d'or, Sebastian Celea était considéré comme "un seigneur".
D’anciens légionnaires d’origine roumaine comme prête-noms
Pour faire fonctionner ce système, Sebastian Celea a employé des membres de sa famille, des proches mais également d’anciens camarades de la Légion étrangère. Tous servaient de prête-noms, notamment pour la vingtaine de sociétés contrôlées par celui qui est devenu au fil des mois un véritable homme d’affaire. Des biens acquis ou vendus, de Toulouse (Haute-Garonne) à Castres et Mazamet dans le Tarn, en passant par Béziers et Montpellier (Hérault) mais aussi sur la promenade des Anglais à Nice ou encore à Cannes.
Pour réaliser ces opérations immobilières, ces "hommes de paille" souscrivaient, en leur nom, des crédits auprès d’établissements bancaires du sud de la France. De faux documents, comme des relevés de compte n’existant pas ou des bulletins de solde falsifiés, étaient produits pour l’obtention de ces prêts.
Parfois, en contrepartie, ils pouvaient toucher entre 15 000 et 20 000 euros à chaque transaction d’appartement effectuée. Une aubaine, notamment pour les militaires dont la solde ne dépassait pas en moyenne les 1300 euros. Un système basé sur la confiance. Comme l’avouera l'un d'eux aux enquêteurs : Sebastian Celea était à leurs yeux, de par son argent gagné au cours de ces opérations, un véritable "seigneur".
Des complicités bancaires et notariales
Mais pour réussir ces arnaques, il a fallu bénéficier de complicités au sein de banques et d’offices notariaux.
Un ancien banquier, responsable de dix agences de la Société Générale dans la région de Nice, aurait proposé à Sebastian Celea de "faire passer les crédits" de ses proches d'origine roumaine, sans les garanties nécessaires, moyennant des rétro-commissions, se montant à 160 000 euros. Comme le rapporte les enquêteurs, il aurait mis "ses compétences techniques et les attributs de sa fonction de cadre au sein de la Société Générale pour faire accepter des dossiers de crédits frauduleux contre rémunération". Malgré les dénégations de l'intéressé, il sera finalement mis en examen pour escroquerie en bande organisée et blanchiment.
L'homme d'affaire aurait également obtenu l'aide de deux notaires du Tarn qu’il considérait "comme peu regardants". Selon lui, Me Céline Bories et Me David Brenac savaient qu'il était le bénéficiaire économique d’un ensemble de sociétés "louches" utilisant des prête-noms.
Me Brenac aurait enregistré de nombreux actes d’un ancien légionnaire, utilisant à la fois son nom de naissance et son identité militaire. Pour expliquer ces pratiques, le notaire se justifie en déclarant "ne pas être physionomiste". Des faits non-établis selon son avocat qui demandera un non-lieu pour son client. Sans succès.
Me Bories, malgré deux inspections de l’Ordre des notaires ayant mis en exergue l’illicité des agissements de Sebastian Celea et de ses proches, avait pourtant continuer à travailler pour l’homme d’affaire. La notaire du sud du Tarn et son avocat affirmeront ignorer tout de l'existence des fraudes à la plus-value et avoir réalisé des actes "ne présentant aucun caractère frauduleux".
Même s'il a reconnu être le véritable propriétaire de la myriade de sociétés créées pour ses acquisitions immobilières, Sebastian Celea a toujours réfuté le fait d'être le chef d'orchestre d'un réseau d'escroquerie.
Il sera pourtant jugé en mai 2022, comme les vingt autres personnes de ce vaste dossier, par le Tribunal correctionnel de Marseille.